Village de la Justice www.village-justice.com

Moderniser les Ordres « sans se perdre ! » Par Jean-Luc Medina, Avocat.
Parution : mercredi 25 janvier 2017
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/Moderniser-les-Ordres-sans-perdre-Par-Jean-Luc-Medina-Avocat,24066.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

En 2013-2014, sous la présidence de Jean-Luc Forget, président de la Conférence des bâtonniers, dix rédacteurs réunis en commission ont travaillé pendant près de deux ans à la préparation d’états généraux des Ordres qui se sont tenus le 3 octobre 2013.
Ce travail a donné lieu à l’édition d’un ouvrage intitulé : «  Avocats et Ordres du XXIe siècle  » publié au début de l’année 2014 [1]. Ce travail a été dirigé et synthétisé par le professeur Marie-Anne Frison-Roche.
Il reste une référence pour les bâtonniers de province et il est plus que jamais d’actualité pour l’ensemble de la profession.

L’ouvrage «  Avocats et Ordres du XXIe siècle  » comprend quatre parties :
- L’avocat et l’économie.
- L’impact de la dématérialisation et des nouvelles technologies sur la profession et les Ordres.
- Les Ordres et l’Europe.
- La valorisation de la prestation de l’avocat.

Un certain nombre de préconisations méritent d’être mises en œuvre de manière impérative et sans délai.

Ce travail nécessite simplement d’être toiletté à l’aune de la loi Macron du 6 août 2015 et des différents décrets qui l’ont suivie. Les auteurs avaient d’ailleurs anticipé, dès 2012, les évolutions inéluctables (même si certaines sont contestables) de notre profession.

Le président Forget, lui-même, dans l’avant-propos, reconnaissait que certaines propositions ébauchées étaient révolutionnaires pour nos confrères.

Mais pourquoi moderniser les Ordres ?

Nous pensons communément que l’Ordre est indispensable pour assurer l’indépendance des avocats, condition de leur participation efficace au service public de la justice.

Mais, privés de justifications tirées du service rendu au consommateur, les pouvoirs conférés à l’Ordre professionnel pourraient beaucoup plus facilement être remis en cause et ses compétences considérablement restreintes. L’Ordre professionnel est donc confronté à la nécessité d’apporter aux citoyens un service d’une meilleure qualité que celui qui devient progressivement disponible sur les réseaux, au risque de voir son existence et sa légitimité remises en cause.

Aujourd’hui, l’inscription à l’Ordre est obligatoire pour tout avocat. Ce principe de l’inscription obligatoire a été validé par la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire Ebert du 3 février 2011.

L’Ordre a été reconnu, au travers du bâtonnier, comme un organe de régulation par l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’Homme dans l’affaire Michaut (CEDH, 6 décembre 2012).

Si la menace ne pèse pas aujourd’hui directement sur l’Ordre en tant que tel, elle pèse sur les règles de notre corpus déontologique qui sont susceptibles de constituer un frein et une entente restrictive à la concurrence au sens de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Or, depuis l’arrêt Wouters du 19 février 2002, l’Ordre professionnel des avocats est considéré comme une association d’entreprises au sens du droit de la concurrence.

L’Ordre professionnel peut imposer des règles d’organisation, de qualification, de déontologie, de contrôle et de responsabilité nécessaires pour garantir l’intégralité des services juridiques et une bonne administration de la justice. Mais ce rôle risque de ne plus être suffisant. Il est donc impératif et urgent que L’Ordre puisse élargir ses missions au-delà de ses missions régaliennes.

La mise en place de services est sans doute la voie à suivre mais elle est susceptible d’entraîner des distorsions entre les différents barreaux.

Dans le cadre de la campagne au bâtonnat de Paris 2016, les candidats ont rivalisé de propositions en ce sens, propositions de plus en plus audacieuses (et coûteuses).

Au bout de ce processus, un confrère inscrit à un barreau dont la cotisation est élevée et dont les services seraient médiocres ou inexistants pourrait se poser la question du maintien de son inscription à son Ordre de rattachement. Cette question est d’autant plus pertinente que les contours géographiques de la postulation s’élargissent et que les avocats, grâce aux nouvelles technologies, peuvent exercer de manière plus ou moins nomade ou virtuelle.

L’un des enjeux majeurs des dix prochaines années pour les Ordres tournera autour de l’offre de services aux avocats.

Le projet «  base nationale des avocats  » qui fait l’objet actuellement d’une concertation entre la Conférence des bâtonniers et le barreau de Paris devrait permettre à chaque Avocat via son ordre de bénéficier à coût réduit de l’accès à une base de données juridiques, base de données essentielle pour permettre à chaque avocat de délivrer une prestation de qualité.

Ce projet qui devrait voir le jour courant 2017 complétera l’offre Praeferentia qui permet déjà depuis 2013 aux 62.000 avocats de France de bénéficier de tarifs de fournitures, papeteries et autres services à des coûts défiant toute concurrence.

Rappelons qu’antérieurement à 2013, seuls trois barreaux étaient susceptibles d’offrir à leurs avocats ce type de services, par ordre chronologique, Grenoble, Lyon et Paris.

Il convient de rajouter à ces services ceux que peuvent offrir Avosactes (archivage numérique des actes d’avocats) et le réseau social Vox Avocats, ainsi que la plateforme de consultation Avocats.fr. Il est impératif de multiplier ce type de services dans l’avenir et de veiller surtout à leur mutualisation. Il en va de la modernisation des Ordres et de leur survie.

Cependant, comme l’indique le titre de cet article, tout en se modernisant, les Ordres ne devront pas se perdre en chemin. L’Ordre devra conserver son lien intime avec l’avocat, sa proximité, car il est impératif de gommer toute distance entre l’avocat et l’Ordre.

Il appartient notamment à l’Ordre d’affirmer l’identité de l’avocat nouveau dont le socle doit reposer sur le triptyque : indépendance, secret professionnel et déontologie.

Les avocats, quelle que soit la diversité de leur exercice professionnel, doivent avoir le sentiment très fort d’appartenir à une seule et unique profession. Dans une profession de plus en plus hétérogène et éclatée aussi bien en termes de modes d’exercice que de revenus, cet objectif reste également majeur

L’Ordre doit enfin rester vecteur du statut politique de l’avocat, «  adversaire insoumis  » du pouvoir exécutif dans un État de droit et rester le premier garant des droits de citoyens.

L’ouvrage publié par la Conférence des bâtonniers s’achève d’ailleurs sur une conclusion implacable :

«  Grâce aux ancrages territoriaux des Ordres, ceux-ci peuvent être proches des personnes pour que les droits de chacun soient effectifs.
Parce que l’effectivité des droits est la condition de la société politique démocratique, les Ordres sont ainsi, de fait et de droit, les garants des droits de citoyens
  ».

L’Ordre dernier rempart des libertés, cette fonction la plus traditionnelle, malgré tout, reste encore et toujours la plus moderne.

Article initialement paru dans les Affiches Parisiennes.
(Crédits photo : Affiches Parisiennes)

Par Jean-Luc Medina, Avocat et ancien Bâtonnier.

[1J’ai l’honneur de figurer parmi les dix auteurs de cet ouvrage entouré de sept anciens présidents de la Conférence des bâtonniers, dont trois ont également occupé la fonction de président du Conseil national des barreaux.