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Abus de biens sociaux, corruption et blanchiment : actualité récente en droit pénal des affaires et en procédure. Par Naguin Zekkouti, Elève-avocat.
Parution : vendredi 3 février 2017
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La fin de l’année 2016 a notablement marqué les règles de fond et de procédure applicables en droit pénal des affaires. De ces apports récents de la chambre criminelle de la Cour de cassation (à travers notamment trois arrêts du 7 décembre 2016) s’évince une recherche d’équilibre entre opportunité de la répression et droits de la défense.

Cass. Crim. 23 novembre 2016, n° 15-83.649, publié au bulletin
Cass. Crim. 7 décembre 2016, n° 16-80.879, publié au bulletin
Cass. Crim. 7 décembre 2016, n° 15-87.335, publié au bulletin
Cass. Crim. 7 décembre 2016, n° 16-81.698, publié au bulletin
Cass. Crim. 14 décembre 2016, n° 16-84.043, publié au bulletin

I - Prescription de l’action publique et motivation des ordonnances du juge des libertés et de la détention autorisant les perquisitions en enquête préliminaire : les rappels de la Cour de cassation

La double cassation prononcée par la chambre criminelle le 23 novembre 2016 est riche d’enseignements. A titre liminaire on évoquera la cassation rendue au visa de l’article 594 du Code de procédure pénale (les arrêts et jugements en dernier ressort sont déclarés nuls s’ils ne contiennent pas de motifs ou si leurs motifs sont insuffisants et ne permettent pas à la Cour de cassation d’exercer son contrôle), la Haute juridiction reprochant à la cour de Versailles, dans le cadre de poursuites pour escroquerie en bande organisée et blanchiment aggravé, de n’avoir pas recherché si le délai de prescription de l’action publique avait été interrompu par un acte de poursuite ou d’instruction, ce que ne constitue ni le rapport de synthèse d’enquête, ni la transmission de celui-ci au procureur de la République. Cette interprétation stricte des règles de prescription avait déjà été retenue dans un arrêt du 3 novembre 2015 (Cass. Crim. 3 novembre 2015, pourvoi n° 14-80844, publié au bulletin). Ainsi, enquêter ne suffit pas.

La seconde cassation, rendue au visa de l’article 76, alinéa 4, du Code de procédure pénale, ensemble l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, concerne les ordonnances du juge des libertés et de la détention autorisant, sur requête du procureur de la République à l’occasion d’une enquête préliminaire, les perquisitions au domicile des mis en cause. Ainsi que l’énonce la Cour de cassation, les visites domiciliaires effectuées sans l’assentiment de la personne suspectée doivent être motivées au regard des éléments de fait et de droit justifiant de leur nécessité, cette exigence d’une motivation « adaptée et circonstanciée » s’imposant au regard des droits protégés par la Convention européenne des droits de l’homme. Par ailleurs, pour la Haute juridiction, cette motivation constitue une « garantie essentielle contre le risque d’une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de la personne concernée et doit permettre au justiciable de connaître les raisons précises pour lesquelles ces opérations ont été autorisées ».

Appliqués au cas d’espèce, les principes fermement rappelés par la Cour de cassation ont la conséquence suivante : l’ordonnance du juge des libertés et de la détention, qui se borne à se référer aux éléments de faits exposés dans la requête du ministère public n’était conforme ni à l’article 76, alinéa 4, du Code de procédure pénale, ni aux garanties fondamentales offertes par le droit européen. Dès lors que l’ordonnance ne contenait aucune motivation justifiant de la nécessité de la mesure, l’arrêt de la cour d’appel de Versailles ne pouvait s’exposer - là encore - qu’à la censure.

II - Le principe de proportionnalité ne s’applique pas à la confiscation du bien produit ou l’objet des infractions de blanchiment et d’escroquerie

L’arrêt du 7 décembre 2016 (Cass. Crim. 7 décembre 2016, n° 16-80.879, publié au bulletin) fait état de ce que la cour d’appel de Bastia a condamné un prévenu du chef de blanchiment et escroquerie, à une peine d’emprisonnement avec sursis et, à titre de peine complémentaire, a prononcé une mesure de confiscation d’un bien immobilier. Le condamné allait toutefois contester la conventionnalité de la mesure, invoquant notamment la jurisprudence européenne et l’article 1 du Protocole n° 1 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit de propriété. Ainsi, pour le demandeur au pourvoi, si la confiscation rejoint bien l’intérêt général permettant de porter atteinte au droit de propriété, c’est à la condition que la sanction imposée ne soit pas disproportionnée au regard du manquement commis. Dès lors, en prononçant la confiscation de l’ensemble immobilier dont le mis en cause était propriétaire, alors que ledit ensemble ne participait pas à la commission de la prise illégale qui a rendu possible l’acquisition de la parcelle et que en tout état de cause, il resterait redevable, après la confiscation, d’une somme de près de 500 000 euros de remboursement de prêt tout étant définitivement privé de la jouissance de son bien, la cour d’appel a prononcé une peine disproportionnée et violé cette exigence conventionnelle.

La démonstration n’a toutefois pas convaincu les magistrats du quai de l’Horloge, observant, ainsi que l’avait jugé la cour d’appel, que l’acquisition du bien litigieux avait pour partie permis de blanchir les fonds provenant des délits d’abus de biens sociaux commis par son oncle et avait été, pour le surplus, financée avec le produit des escroqueries commises par le demandeur. Bien que de rejet, l’arrêt de la Cour de cassation, dans une formule aux allures de principe, prend soin d’énoncer que l’exigence de proportionnalité ne peut s’appliquer à la confiscation d’un bien qui, dans sa totalité, est le produit ou l’objet des infractions dont le prévenu a été déclaré coupable.
A contrario, le principe européen de proportionnalité n’a vocation à opérer que si est en jeu la confiscation d’un bien qui n’est pas en totalité le produit ou l’objet d’une infraction. Sévère pour les prévenus, la solution l’est d’autant plus que les préventions visées - blanchiment et escroqueries - ont des champs d’application particulièrement larges, facilitant par conséquent la mise en œuvre d’une mesure de confiscation. Surtout lorsque l’on sait qu’au stade même de l’information, le juge d’instruction peut ordonner la saisie préventive de tous les biens susceptibles d’être confisqués à l’issue de la phase de jugement (le champ d’application des saisies spéciales des articles 706-141 et suivants du code de procédure pénale se calquant sur celui de la confiscation au sens de l’article 131-21 du code pénal, v. Crim. 29 janv. 2014, F-P+B+I, n° 13-80.062 ; F-P+B+I, n° 13-80.063).

III - Application de la règle non bis in idem aux délits d’abus de biens sociaux et de blanchiment : exclusion du cumul de qualifications

Le troisième arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 7 décembre 2016 (Cass. Crim. 7 décembre 2016, n° 15-87.335, publié au bulletin) rappelle en des termes clairs le rejet du cumul pour les mêmes faits des délits d’abus de biens sociaux et de blanchiment. Dans un attendu de principe rendu au visa du principe Ne bis in idem, la chambre criminelle énonce que « des faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes ».

En adoptant cette solution, la Cour de cassation allait casser l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux qui, pour déclarer le prévenu coupable d’abus de biens sociaux et de blanchiment, a constaté qu’il avait fait effectuer, par une société, des virements d’un montant total de plus de deux millions d’euros au profit d’une autre société en justifiant ces virements par des prestations qui étaient en réalité inexistantes. Aussi, les juges du fond avaient-il retenu deux déclarations de culpabilité (abus de biens sociaux et blanchiment) pour des faits relevant d’une action unique - les versements litigieux - caractérisée par une seule intention coupable.

Ainsi, à défaut d’avoir retenu des faits constitutifs de blanchiment distincts des versements pour lesquels elle a déclaré le prévenu coupable d’abus de biens sociaux, la cour d’appel ne pouvait voir son arrêt que censuré par la Haute juridiction. Si la décision, rendue au visa d’un principe général dépourvu de fondement textuel, attire l’attention, la solution n’est pas nouvelle. L’analyse, qui confirme l’exclusion du cumul de qualification pour des mêmes faits, est en effet conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation (Dalloz actualité, 7 novembre 2016, obs. S. Fucini ; récemment, v. Cass. Crim. 25 octobre 2016, FS-P+B+R+I, n° 15-84.552). Elle est au demeurant des plus logiques, tant il est certain que les délits d’abus de biens sociaux et de blanchiment protègent la même valeur sociale, à savoir la propriété. Elément original : dès lors sont censurées les seules dispositions de l’arrêt d’appel relatives au délit de blanchiment et aux peines, « toutes autres dispositions étant expressément maintenues », il semblerait que la chambre criminelle ait d’autorité choisi de régler le conflit de qualification en vertu des règles du concours idéal, favorisant ainsi la qualification d’abus de biens sociaux.

IV - Interprétation stricte des conditions de la corruption passive de l’article 432-11, 1° du Code pénal au bénéfice d’un notaire dans le contexte de la cession de ses parts de SCP

Par arrêt du 7 décembre 2016 (Cass. Crim. 7 décembre 2016, n° 16-81.698, publié au bulletin), la Cour de cassation consacre une approche restrictive du délit de corruption. On rappelle qu’en vertu de l’article 432-11 du Code pénal, caractérise le délit précité le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public, ou investie d’un mandat électif public, « de solliciter ou d’agréer, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques pour elle-même ou pour autrui :

1° Soit pour accomplir ou s’abstenir d’accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat ou facilité par sa fonction, sa mission ou son mandat ;

2° Soit pour abuser de son influence réelle ou supposée en vue de faire obtenir d’une autorité ou d’une administration publique des distinctions, des emplois, des marchés ou toute autre décision favorable ».

En l’espèce, un notaire exerçant son activité dans le cadre de la société civile professionnelle (SCP) a été cité devant le tribunal correctionnel du chef de corruption passive pour avoir, alors qu’il négociait la cession de ses parts, proposé à un acquéreur potentiel de lui vendre celles-ci au prix de 700 000 euros moyennant le versement occulte d’une somme de 100 000 euros. Le tribunal correctionnel l’a déclaré coupable de ce chef et condamné à huit mois d’emprisonnement et 10 000 euros d’amende. Le notaire fait appel de la décision. Pour infirmer le jugement et prononcer la relaxe du prévenu, la cour d’appel retient que « la cession des parts que le notaire détenait dans la SCP au sein de laquelle il exerçait son activité, ne constitue pas un acte relevant des missions d’un notaire ou facilité par elles », de sorte que le délit visé à l’article 432-11, 1° n’était pas constitué.

Fidèle à l’interprétation stricte de l’article 432-11, 1°, du Code pénal et au principe de légalité criminelle, la chambre criminelle rappelle que la corruption passive exige la caractérisation d’un acte relevant des missions de l’agent ou facilité par elles. Si la solution se concilie difficilement avec le nécessaire renforcement de la lutte contre les manquements à la probité souligné lors des travaux relatifs à la loi Sapin II (Dalloz actualité, 5 avril 2016, obs. X. Delpech, cité dans Dalloz actualité, 6 janvier 2017, obs. D. Goetz), on rappellera que les faits litigieux n’en sont pas moins susceptibles d’être sanctionnés sur le terrain de l’ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels (D. Goetz, op. cit.,).

V - Conception restrictive des droits de la défense au stade d’une information pour abus de confiance et abus de biens sociaux

Dans son arrêt du 14 décembre 2016, la chambre criminelle de la Cour de cassation retient une lecture minimaliste des droits de la défense en matière de confrontation.

Dans le cadre d’une information pour abus de confiance aggravé et abus de biens sociaux, un mis en examen reçoit deux convocations aux fins de confrontation avec des témoins, sans toutefois connaître leur identité. C’est alors qu’en vue de préparer lesdites confrontations, l’avocat du mis en examen demande au juge d’instruction de lui communiquer l’identité des témoins ou la copie des convocations adressées à ces derniers, ces documents ne figurant pas au dossier. A la suite du refus opposé par le magistrat instructeur dans un courrier du 31 décembre 2015, le mis en cause a déposé une demande d’acte aux fins d’obtenir communication de la copie des convocations adressées aux témoins. N’ayant pas obtenu, le mis en examen décide de ne pas se présenter au cabinet du juge d’instruction, lequel rejettera par suite la demande d’acte par ordonnance. En conséquence, le mis en cause a saisi la chambre de l’instruction d’une requête en nullité de la procédure en invoquant une atteinte aux droits de la défense résultant du refus du juge d’instruction de communiquer les noms des témoins et du caractère incomplet du dossier mis à la disposition de son avocat avant les confrontations.

Pour rejeter la requête, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rouen a considéré - non sans ironie - qu’il n’y a pu avoir eu violation des règles relatives à la confrontation dès lors que le mis en examen n’a pas comparu et que donc - de façon imparable - il n’y a pas eu confrontation. Surtout, l’arrêt retient que rien ne révélait la présence de la moindre irrégularité qui aurait entaché les auditions de témoins litigieuses dont la défense pouvait se prévaloir (soit qu’elle lui fît grief au cas particulier, soit par principe nécessaire, soit même sans grief), ce qui n’est pas le cas d’une absence au dossier de toute convocation en qualité de témoin (ou de partie civile) avant réalisation et immédiate cotation des auditions.

Confirmant l’arrêt de la chambre de l’instruction, la chambre criminelle de la Cour de cassation estime, d’une part, que le fait pour la chambre de l’instruction d’exprimer des réserves sur la stratégie de défense adoptée par le mis en examen ne révèle aucune atteinte au principe d’impartialité au sens des articles 6.1 et 6.3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Et, d’autre part, il ne résulte d’aucune disposition du Code de procédure pénale ni d’aucune disposition conventionnelle l’obligation pour le juge d’instruction de communiquer au mis en examen les noms des personnes avec qui il veut le confronter, de sorte que, pour la Haute juridiction, il n’a été porté aucune atteinte au droit de la personne mise en examen d’être confrontée aux témoins à charge.

Ainsi, au stade de l’instruction, l’arrêt du 14 décembre 2016 retient avec autorité une lecture restrictive tant du principe d’impartialité, la mention de réserves sur la stratégie de défense n’emportant pas violation de ce principe, que des droits de la défense, le mis en examen pouvant valablement être convoqué à une confrontation sans même connaître l’identité de ses contradicteurs. En ce contexte, disposer au préalable du temps et des facilités nécessaires est loin d’être aisé.

Naguin Zekkouti Avocat à la Cour Docteur en droit Certificat de sciences criminelles - université Paris 2 Panthéon-Assas