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La vérité sur le divorce sans juge, la circulaire du ministère de la Justice du 26 janvier 2017. Par Brigitte Bogucki, Avocat.
Parution : samedi 4 février 2017
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Ce divorce présenté comme simple et pas cher s’avère en réalité compliqué, technique, administrativement lourd et plus coûteux au final que le précédent... De nombreuses inconnues le rendent en outre peu sûr juridiquement ce qui transparaît clairement de la circulaire du 26 janvier 2017.

Entrée en vigueur au 1er janvier 2017, la réforme du divorce par consentement mutuel est issue d’un véritable sprint. Que ce soit l’adoption de la loi, obtenue au forceps en novembre 2016, sans tenir aucun compte de l’avis des professionnels ou des décrets, publiés en dernière minute le 28 décembre 2016, tout a été fait dans la plus grande précipitation au point que la « Circulaire de présentation » est datée … du 26 janvier 2017.
Cette « malpréparation » d’une loi établie sans aucune réflexion, ni d’ailleurs nécessité, aura à l’évidence des effets néfastes sur la validité des divorces à venir, ne serait-ce que par ses conséquences encore inconnues puisque comme le plait à le rappeler cette circulaire, l’interprétation reviendra in fine aux juges…
Cela n’a toutefois pas empêché les pouvoirs publics de communiquer sur le « divorce sans juge » soit disant plus rapide et moins cher, insistant sur le coût de 50 euros pour le notaire… Les médias, rois de la simplification, ont pour beaucoup relayé le propos, que je ne peux appeler information.
La réalité est bien différente et les futurs divorcés en font d’ores et déjà les frais.

La circulaire comprend neuf fiches et trois annexes sur ce nouveau divorce…

Si l’on confronte le texte de la réforme, la circulaire et les propos relayés par les médias, on s’aperçoit que le nouveau divorce va au final être plus compliqué, plus technique, potentiellement assez long, plus cher, au final beaucoup moins sûr et il est clairement déconseillé aux expatriés.

Ce nouveau divorce s’annonce comme beaucoup, beaucoup plus complexe que le précédent et nécessite de la part des rédacteurs que sont les avocats non seulement une compétence accrue de spécialiste de la matière mais encore une exigence de collecte de documents et de vérification considérable.

Les avocats devront en effet, non seulement reprendre dans l’acte toute une série d’articles de loi qui auparavant n’étaient pas intégrés aux divorces, mais en outre, ils devront insérer des explications spécifiques, des informations complémentaires nombreuses ; exiger de leurs clients des éléments justificatifs de leurs situations financières et patrimoniales très pointues à vérifier.

Les parents auront aussi l’obligation de faire signer à leurs enfants mineurs un formulaire dont le modèle a été fixé par arrêté, afin de leur faire prendre conscience que de leur signature dépend la liberté pour leurs parents de divorcer sans juge (et oui !, ce n’est pas une plaisanterie).

En outre, si lors du rendez-vous de signature l’un des époux veut changer, ne serait-ce qu’une virgule du projet initial, il faudra recommencer l’établissement du projet et son envoi en RAR, refaire courir le délai de 15 jours et reprendre un rendez-vous commun…

Voici un résumé du déroulé de ce divorce
- 1er rendez-vous de chacun des époux chez son avocat ;
- Transmission par chacun des époux à son avocat de tous les documents nécessaires ;
- Audit financier de la situation de revenus et patrimoine de chaque époux par son avocat ;
- Signature du formulaire par chaque enfant mineur en âge de discernement ;
- Contact et négociation, au besoin avec rendez-vous communs en direct ou virtuels ;
- Rédaction du projet, échanges sur le projet ;
- Rédaction par le notaire, s’il y a lieu, ou par l’avocat du projet liquidatif, échanges sur le sujet ;
- Accords sur les projets définitifs ;
- Envoi par chaque avocat à son client en LRAR du projet définitif avec toutes ses annexes ;
- Attente d’un délai de 15 jours après réception ;
- Rendez-vous de signature à 4, la circulaire confirme la nécessité d’un rendez vous commun ;
- Transmission sous huitaine de l’acte au notaire ;
- Dépôt par le notaire à l’enregistrement sous quinzaine.

Une fois le dépôt fait, le divorce est validé mais il faut encore faire les transcriptions à l’état civil.

Pour “vendre” sa réforme, le gouvernement n’a pas hésité à déclamer que ce divorce étant simple et rapide, les avocats devraient faire un effort de réduction de leurs tarifs. Ce serait avec plaisir, Monsieur le Ministre, mais dans ce cas proposez-nous effectivement une réforme correctement préparée qui fixe un divorce simple, sûr et rapide. Or, nous en sommes très très loin. En l’état, votre divorce plus cher, plus complexe et moins sûr sans compter que comme je l’ai déjà expliqué ici, il est impossible de le faire exécuter à l’étranger, ce qui est d’ailleurs confirmé par la circulaire du 26 janvier 2017. Cela concerne non seulement les expatriés mais encore les divorces avec des conséquences financières à exécution successive au cas où le débiteur de l’exécution quitterait la France ensuite.

En réalité, les obligations des avocats rédacteurs deviennent beaucoup plus lourdes avec une responsabilité professionnelle qui en est le corollaire accru également. Dans un pays comme le nôtre où l’on justifie les salaires conséquents des grands dirigeants et des politiques par l’importance de leurs responsabilités, que l’on m’explique pourquoi et comment une augmentation de notre responsabilité devrait avoir pour conséquence une baisse de nos honoraires.

Mais outre la responsabilité, le travail à effectuer va lui aussi augmenter. En effet, le principe du divorce par consentement mutuel ancienne manière était que le jugement purgeait toutes les irrégularités éventuelles. Tel n’est plus le cas ici, pas de jugement donc pas de purge. Les avocats devront donc s’assurer de l’absence d’irrégularité même infime pour éviter que le jugement de divorce ne puisse être attaqué. Ils devront donc procéder à bien plus de vérifications et y faire référence dans la convention de divorce.

La conséquence directe en est : plus de temps de travail, plus de documents à étudier, des conventions beaucoup plus lourdes à rédiger. Ainsi, alors qu’auparavant, nous avions des conventions de divorce de quelques pages, désormais, elles auront quelques dizaines de pages plus des annexes… On est donc très loin de la simplification promise.

Ce nouveau divorce par consentement mutuel nécessite des connaissances pointues alors que précédemment le divorce par consentement mutuel était assez simple. Les conséquences sont si inquiétantes aujourd’hui, qu’il faudra raisonnablement que les époux s’assurent pour avoir un divorce de qualité de choisir un avocat spécialiste en droit de la famille ou au moins à un avocat qui pratique la matière comme activité dominante.

En outre, la circulaire insiste clairement sur la nécessité pour chaque époux d’avoir des avocats indépendants, donc il y aurait un risque majeur à avoir recours à ceux qui proposent un divorce « tout » compris avec les deux avocats fournis. Le recours à un second avocat n’est pas une simple formalité car chacun doit accompagner son client et vérifier si les projets soumis au regard des pièces et de la volonté des parties, correspondent à l’objectif choisi et poursuivi par son propre client.

Ce divorce coûtera aussi bien plus que 50 euros comme certains médias l’avaient présentés à la va-vite et ce, dans tous les cas.

Voici la réalité du coût de ce divorce :
- Deux avocats obligatoires, chaque époux devant avoir son propre avocat. Auparavant, lorsque les époux étaient d’accords sur tout, ils pouvaient divorcer en prenant le même avocat, ce qui réduisait notoirement le coût. C’est terminé. Désormais peu importe qu’ils soient totalement en accord, il leur faudra un avocat chacun ;
- La liquidation et le partage de leurs biens donnent lieu à un droit d’enregistrement qui, lorsqu’ils ont peu de chose est de 125 euros et sinon de 2,5% de la masse à partager. S’il n’y a pas de bien immobilier, cette liquidation pourra être faite soit par les avocats soit par le notaire, dans tous les cas des honoraires seront également dus ;
- S’ils ont des biens immobiliers, il leur faudra impérativement passer par un notaire et des honoraires seront dus en pourcentage de leurs biens à partager (cf article …) ;
- Des frais d’envoi postaux sont à prévoir compte tenu de l’obligation d’adresser des documents (qui seront volumineux) par RAR ;
- La loi prévoyant que le divorce doit être signé par les époux et leurs avocats ensemble, ils devront se déplacer tous au même endroit pour signer ;
- Le dépôt de l’acte chez le notaire coûtera effectivement 50 euros (le montant annoncé par les médias) mais il faudra y ajouter 125 euros de droit d’enregistrement de l’acte du notaire ;
- Le coût des éventuelles copies que délivreront les notaires est à prévoir également.

On est donc très loin du coût réduit annoncé à grands renforts de publicité puisque par rapport à l’ancienne procédure de divorce s’ajoutent le second avocat qui n’était pas obligatoire et le notaire pour le dépôt des actes, dépôt qui n’existait pas.

Mais le plus grave est sans doute l’insécurité juridique, c’est-à-dire le risque auquel le justiciable va se confronter de voir contester a posteriori le divorce qu’il a signé.

En effet, le passage devant le juge avait pour effet de purger les éventuelles nullités. En clair, même s’il y avait des irrégularités dans la requête en divorce, passer devant le juge, réglait définitivement le problème.
Le fait qu’aujourd’hui la requête en divorce ne soit plus homologuée par le juge change donc considérablement la donne.
La circulaire le rappelle dans sa fiche 2, le nouveau divorce est soumis au droit des contrats et en conséquence la convention de divorce peut « être attaquée en cas de vice du consentement, de défaut de capacité ou encore de contrariété à l’ordre public ».

Or, les éventuelles nullités peuvent être soulevées postérieurement au divorce en saisissant un tribunal et le délai quinquennal de certaines de ces nullités ouvre la porte à des contestations plusieurs années après le divorce…

La question la plus grave est de savoir si le divorce lui-même pourrait être annulé… la circulaire précise à ce sujet le penser mais « sous réserve de l’appréciation des juridictions »

Des questions se posent encore quant à savoir exactement quelles contestations seront possibles et leurs conséquences et il faudra attendre des années pour que la Cour de cassation se prononce.

Il apparait donc qu’il sera possible de contester a posteriori le divorce et ses conséquences… on est donc loin de la sécurité juridique.

Au final, un divorce moins sûr, inadapté pour les expatriés, nécessitant une compétence plus pointue des avocats rédacteurs, dont le coût global sera plus élevé… Remercions nos politiques pour ce cadeau empoisonné fait aux justiciables qui n’avaient rien demandé…

Me Brigitte BOGUCKI, spécialiste en droit de la famille, des personnes et de leur patrimoine, Professionnel collaboratif Avocat à Paris et Lille http://www.adr-avocats.com
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