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Nouvelles règles pour la surveillance médicale des salariés : vers une intervention du médecin du travail plus sélective mais plus efficace ? Par Magali Baré, Consultante.
Parution : mardi 7 février 2017
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L’évolution de la règlementation concernant la surveillance médicale des salariés semble porteuse d’une contradiction apparente : d’un côté la prise en compte de la santé au travail et son corollaire juridique « l’obligation de sécurité de résultat » ne cesse de se renforcer dans les relations individuelles et collectives de travail (voir notre article « Un refus de mutation peut être justifié par le droit au repos et à la santé du salarié ») et de l’autre, chaque réforme de la médecine du travail semble assouplir les conditions dans lesquelles la santé des salariés est suivie par les services de santé au travail. Une nouvelle illustration de ce mouvement nous est donnée avec la loi Travail du 8 août 2016 qui a profondément remanié le suivi médical des salariés.

S’agit-il uniquement de remédier à la pénurie de médecins du travail en allégeant les obligations de l’employeur ? Ne peut-on pas voir derrière ces évolutions un meilleur ciblage du rôle du service de santé et, notamment, du médecin vers les postes à risque et l’intervention en milieu de travail ?

Quiconque a déjà cherché à recruter un médecin du travail a été confronté à l’immense difficulté de trouver des candidats pour occuper ce poste. Les postulants sont rares, la concurrence entre les entreprises est rude.

Le bilan 2013 des conditions de travail montrait qu’au 31 décembre 2013, l’effectif des médecins du travail s’élève à 5 048 équivalents temps plein (ETP), soit un total en baisse de 5 % par rapport à l’année précédente. La diminution d’effectif attendue pour les médecins du travail entre 2006 et 2030 est estimée à moins 62 %, passant d’un effectif de 6 139 médecins du travail en 2006 à 2 353 en 2030.

Quant au nombre de médecins du travail formés chaque année, l’arrêté du 1er juillet 2013 fixe les chiffres pour la période 2013-2017. En Ile-de-France, 129 internes seront formés en médecine du travail entre 2013 et 2017, 87 pour la région Rhône-Alpes Auvergne, dont 30 à Lyon, soit 6 chaque année…

Ces chiffres sont insuffisants au regard du nombre de départs actuels et il est évident que la surcharge actuelle des Services de Santé au Travail (SST) découle en partie de la faiblesse des effectifs des médecins du travail.

Ce constat ne doit toutefois pas supprimer toute possibilité de discussion sur la pertinence des modalités du suivi médical des salariés car on peut aussi voir dans le dispositif antérieur à la réforme issue de la loi Travail un certain nombre de points qui méritaient une amélioration.

Si on prend l’exemple de salariés du secteur tertiaire, en bonne santé et sans antécédent, les visites d’aptitude systématiques étaient souvent subies et perçues comme ayant peu d’intérêt. Ils en ressortaient avec une image peu favorable de la médecine du travail car jugées peu pertinentes.

Le rapport « Aptitude et médecine du travail » remis au Gouvernement le 18 mai 2015 soulignait que la surcharge des SST était liée, en partie, à l’obligation de vérifier l’aptitude des salariés à chaque visite médicale et préconisait un allégement de la fréquence des visites pratiquées par le médecin du travail et un recentrage de la surveillance médicale vers les salariés occupant un poste à risques. C’est cette voie qui a été suivie par le législateur

Le suivi médical « classique »

Pour les salariés nouvellement embauchés qui ne sont pas affectés à un poste à risques, la visite médicale d’aptitude est remplacée par une Visite d’Information et de Prévention (appelons la « VIP »), réalisée dans les 3 mois de leur arrivée dans l’entreprise et qui peut être effectuée par n’importe lequel des membres de l’équipe pluridisciplinaire (collaborateur médecin, interne en médecine du travail ou infirmier du service de santé au travail). Cette visite est ensuite renouvelée périodiquement dans un délai fixé par le médecin du travail qui ne peut être supérieur à 5 ans.

Il n’y a donc plus de visite systématique visant à apprécier l’aptitude du salarié à son poste, ce qui peut faire craindre un recul de la capacité à détecter certaines pathologies. Rappelons que selon le rapport parlementaire de 2015, les visites qui conduisaient à des avis d’aptitude avec réserves ou d’inaptitude étaient pour l’essentiel les visites de reprise et les visites à la demande du salarié, de l’employeur ou du médecin du travail, mais très rarement les visites d’embauche ou périodiques. En effet, le taux d’aptitude lors des visites d’embauche était de 97,80 %, et lors des visites périodiques de 95,20 %.

La VIP permettra qu’un professionnel explique au salarié les missions de la médecine du travail, souvent méconnues hors ces visites obligatoires, l’interroge sur son état de santé, lui présente les risques professionnels qu’il peut rencontrer dans le cadre de son activité et les moyens de prévention (posture, travail sur écran, risque routier le cas échéant). Le salarié sera informé à cette occasion qu’il peut demander à tout moment à rencontrer le médecin du travail s’il l’estime nécessaire. Et si le besoin est détecté par le praticien, celui-ci aura toujours la possibilité d’orienter le salarié vers le médecin du travail.

Ces nouvelles modalités d’accueil pourront contribuer à redorer le blason de la médecine du travail auprès des salariés qui ne sont pas confrontés à une situation médicale particulière.

Le suivi médical renforcé pour les postes à risques

La liste de ces postes jugés à risques est définie par l’article R. 4624-23 du Code du travail. Il s’agit notamment de ceux qui exposent les salariés à l’amiante, au plomb, aux rayonnements ionisants et au risque de chute de hauteur lors des opérations de montage et de démontage d’échafaudages.

Pour ces salariés, il est maintenu l’obligation d’une visite médicale d’aptitude (VMA) visant à constater leur aptitude au poste de travail avant leur entrée en fonction. Ils bénéficient ensuite d’une vérification régulière de leur aptitude selon un délai déterminé la aussi par le médecin du travail qui ne peut excéder 4 ans. De plus, une visite intermédiaire effectuée par un professionnel de santé a obligatoirement lieu au plus tard deux ans après la visite avec le médecin du travail.

La liberté désormais laissée au médecin de fixer lui-même la périodicité de la VMA comme de la VIP des salariés dont son service assure la surveillance en fonction des conditions concrètes de leur activité professionnelle fait évoluer significativement son rôle puisqu’il n’est plus uniquement l’exécutant d’obligations règlementaires parfois inadaptées.

On peut espérer que la réalisation effective des VMA périodiques sera facilitée par une plus grande disponibilité compte tenu de la baisse du nombre de visites obligatoires.

Le constat de l’inaptitude

Désormais, un seul examen par le médecin du travail est suffisant pour constater l’inaptitude du salarié contre deux auparavant. Cette évolution ne devrait pas avoir de conséquences, en pratique un médecin du travail ne changeait pas d’avis entre les deux visites précédemment nécessaires. Cette obligation de double visite avait surtout pour rôle de préparer l’employeur à engager une procédure de reclassement. Cela dit, le médecin du travail conserve la possibilité s’il estime qu’un second examen est nécessaire, de le programmer dans un délai de 15 jours.

Une disposition encore largement méconnue a renforcé le rôle consultatif des délégués du personnel (DP) en la matière. Auparavant les DP n’étaient consultés que dans le cadre d’une procédure de reclassement faisant suite à un accident ou une maladie d’origine professionnelle. La plupart du temps, cette étape, ignorée tant des employeurs que des représentants du personnel, était d’ailleurs omise. La loi Travail étend cette obligation de consultation aux cas d’inaptitude faisant suite à un accident ou une maladie d’origine non-professionnelle, ce qui va conduire à augmenter le nombre de saisine des DP pour ce motif, si cette règle est appliquée.

Autre changement : le médecin du travail peut désormais dispenser l’employeur de la recherche d’un reclassement en mentionnant dans l’avis que « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ». Cette évolution est appréciable car la position antérieure de la jurisprudence imposait à l’employeur de mener une procédure de reclassement de pure forme pour des salariés dont le médecin avait clairement signifié leur inaptitude à tout poste dans l’entreprise. Cette procédure, à haut risque juridique compte tenu de la sévérité des juridictions, n’apportait en réalité aucune garantie supplémentaire au salarié concerné.

En dehors de ce cas de dispense, pas de changement : l’employeur ne peut licencier que s’il justifie de l’impossibilité de proposer au salarié un poste de reclassement correspondant à ses capacités et aux préconisations du médecin du travail ou en cas de refus du salarié d’un tel poste.

Ces nouvelles règles auront-elles un effet positif sur le suivi médical des salariés en France ? On peut espérer qu’une fois résorbé le retard très important qui a été accumulé en matière de visites périodiques, et en dépit d’une situation démographique très tendue, ces évolutions permettront aux SST un recentrage vers un suivi attentif des salariés les plus exposés (travailleurs de nuit, salariés occupant des postes à risques, travailleurs handicapés, …). Les autres missions du médecin du travail pourront être plus largement mises en œuvre grâce à une plus grande disponibilité sur le terrain pour renforcer son rôle de partenaire dans la prévention des risques professionnels et mieux accompagner les entreprises comme les salariés.

Magali Baré Consultante Cabinet IDée Consultants www.ideeconsultants.fr