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Erreur comptable délibérée : le Conseil d’Etat clarifie les règles du jeu. Par Jean-Pierre Darrieutort, Consultant.
Parution : mardi 7 février 2017
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CE Plénière fiscale, 5 décembre 2016, n° 398859, Société Orange, M. Vincent Daumas, rapporteur public, SCP Delaporte, Briard, avocat.

Commet une erreur, et est sujette à rectification, l’entreprise qui n’a pas tenu compte de la constitution d’une provision - inscrite en comptabilité - pour la détermination du résultat fiscal de l’exercice concerné, alors même qu’aucune règle propre au droit fiscal n’y fasse obstacle (CE Plénière fiscale, 23 décembre 2013, n° 346018, SAS Foncière du Rond Point).

Lorsque la même omission se retrouve dans les écritures de bilan des exercices antérieurs telles que retenues pour la détermination du résultat fiscal, elle doit y être symétriquement corrigée pour autant qu’elle ne revête pas, pour le contribuable, un caractère délibéré.

La clarification opérée par la décision de plénière fiscale du 5 décembre 2016 a consisté à préciser à quel stade du raisonnement l’administration peut opposer au contribuable la commission délibérée d’une erreur affectant le résultat fiscal.

1. Il importe d’abord de rappeler le contexte dans lequel s’est imposé le caractère intangible des écritures du bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit.

Vient, en premier lieu, la « théorie du bilan » exprimée au 2 de l’article 38 CGI puis, la théorie des décisions de gestion et des erreurs ou omissions comptables.
Ces dernières sont en principe rectifiables et la rectification s’opère symétriquement en remontant jusqu’au butoir constitué par les écritures du bilan du premier exercice non prescrit.

L’intangibilité de ce bilan, un temps remise en cause par la décision CE Assemblée, 7 juillet 2004, Ministre de l’économie c/ SARL Ghesquière Equipement, n° 230169, a été partiellement rétablie par le législateur par l’article 43 de la loi de finances rectificative pour 2004.

2. Ce bilan d’ouverture est intangible en vertu des règles de la prescription du délai de reprise (art. L. 169 LPF) et l’administration ne saurait légalement remettre en cause cette intangibilité en qualifiant cette omission d’intention délibérée.

Pour juger ainsi par l’arrêt du 5 décembre 2016, le Conseil d’État se réfère à la lettre du 4 bis de l’art. 38 CGI, laquelle n’autorise qu’une appréciation de caractère objectif.

Selon Vincent Daumas, rapporteur public, « (…) il n’y a, dans le texte du 4 bis de l’article 38, aucune accroche permettant de penser que l’application de la règle d’intangibilité, dans les rares hypothèses où elle joue en faveur du contribuable, serait subordonnée à sa bonne foi – ou pour le dire autrement, à ce qu’il n’ait pas commis d’erreur délibérée ».

Ensuite, au regard des travaux préparatoires, le rapporteur public note que le législateur de 2004 a entendu faire de l’intangibilité du bilan une règle générale pouvant jouer en faveur du contribuable comme de l’administration. Il note que les exceptions à cette règle correspondent à des situations les plus inéquitables pour le contribuable.

3. A titre de règle pratique, l’appréciation objective ou subjective de l’omission doit être mise en œuvre à des stades bien distincts du raisonnement qui conduit à la rectification.

La chronologie des trois étapes de la démarche du service qui entend procéder à la rectification des bases déclarées peut être décrite de la manière suivante :
- la qualification d’une erreur ou omission comptable ;
- la mise en œuvre de la correction symétrique des bilans ;
- l’analyse de la question de l’intangibilité de l’actif net d’ouverture du premier exercice non prescrit.

L’appréciation objective correspond à la situation dans laquelle le texte ne ménage aucune espace d’appréciation en dehors de sa lettre. Le service doit se borner à vérifier que les conditions légales sont ou non satisfaites et, précise l’arrêt, au stade de l’examen de la question de l’intangibilité du bilan d’ouverture.

L’appréciation subjective réside dans la possibilité pour le service de qualifier le comportement de l’entreprise en opposant l’intention délibérée. En l’espèce, le service avait qualifié dans ce sens l’omission commise dans la détermination du résultat fiscal, mais à un stade inadéquat, soit lors de l’examen de question de l’intangibilité du bilan d’ouverture, alors que les stades envisageables étaient ceux, soit de la qualification d’une erreur comptable (première étape), soit de la mise en œuvre de la correction symétriques des écritures de bilan (deuxième étape).

4. La validation par la Cour de la démarche du service conduit le juge de cassation à relever une erreur de droit, à prononcer en conséquence la cassation de la décision d’appel et à décider du renvoi de l’affaire devant la Cour.

Il reste que cette décision retient l’attention d’un autre point de vue, celui de l’enjeu du litige, les cotisations supplémentaires en cause avoisinant deux milliards d’euros.

Jean-Pierre DARRIEUTORT - Consultant jpdconsulte@free.fr jpdarrieutort.tumblr.com