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Précompte mobilier, Conseil d’État et Cour de justice de l’Union européenne : la guerre des juges aura-t-elle lieu ? Par François-Henri Briard, Avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation.
Parution : vendredi 10 février 2017
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Chacun a encore en mémoire le contentieux du précompte mobilier, litige de l’ordre de 3,5 milliards d’euros, sans doute l’un des plus importants de l’histoire du contentieux fiscal français, qui a donné lieu à un arrêt de la Cour de Luxembourg (CJUE 15 septembre 2011, ACCOR, n°C-310-09) puis à deux arrêts définitifs du Conseil d’État (CE 10 décembre 2012, ACCOR et RHODIA, n° 317074 et 317075).

La victoire des contribuables devant la Cour de Luxembourg sur le terrain de la liberté de circulation des capitaux avait été selon certains singulièrement réduite par la grille de lecture retenue par le Conseil d’État pour la restitution de l’impôt payé à l’étranger. Plusieurs sociétés concernées ont alors décidé de ne pas en rester là et, démarche très inhabituelle, se sont plaintes auprès de la Commission européenne de l’application, selon elles erronée, du droit de l’Union par le Conseil d’État.

A l’issue d’une instruction approfondie, la Commission a lancé une procédure précontentieuse, puis a adressé à la France une mise en demeure et a en définitive émis un avis motivé ; elle vient d’annoncer désormais une saisine de la Cour de justice de l’Union européenne sur trois fondements :
- absence de prise en considération de l’imposition déjà acquittée par les sous-filiales non françaises ;
- limitation du système de crédit d’impôt à un tiers du dividende redistribué par une filiale non française, dans des conditions constituant une différence de traitement entre sociétés percevant des dividendes en provenance d’autres États membres et celles percevant des dividendes d’origine française ;
- limitation du droit au remboursement des sociétés concernées, des exigences quant à la preuve à apporter, ne respectant pas les critères dégagés par la Cour de Justice dans l’arrêt précité.

Au-delà du débat de fond sur l’interprétation du droit de l’Union, cette affaire mérite l’attention car elle constitue une première à deux égards.
D’une part, la France n’a jamais été ainsi poursuivie pour un manquement juridictionnel imputé à l’une de ses cours suprêmes. D’autre part, pour la première fois depuis la fondation de l’Union européenne, le Gouvernement français va devoir rendre compte devant la Cour de Luxembourg de l’interprétation et de l’application du droit de l’Union par le Conseil d’État.
Guerre impitoyable ou dialogue constructif ? Chacun aura la lecture qu’il préfère. L’issue sera en tout état de cause importante sur le fond du litige et riche d’enseignements pour le fonctionnement de l’univers juridique européen.

François-Henri Briard, cabinet Delaporte & Briard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation www.cabinet-delaporte-briard.com