Village de la Justice www.village-justice.com

Une professeure de sport du SPA du Royal Monceau obtient la résiliation judiciaire de son contrat de travail en appel des prud’hommes (CA Paris 24.01.2017). Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : mardi 14 février 2017
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/Une-professeure-sport-SPA-Royal-Monceau-obtient-resiliation-judiciaire-son,24228.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

La résiliation judiciaire du contrat de travail n’est pas facile à obtenir pour un salarié devant le Conseil de prud’hommes puisque celui-ci doit justifier d’une faute suffisamment grave de son employeur rendant impossible la poursuite de son contrat de travail.

Dans l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 24 janvier 2017 (Pole 6 Chambre 3), cette dernière a particulièrement motivé les raisons justifiant la résiliation judiciaire du contrat de travail de la professeure de sport.

1) Les faits

Madame X a été engagée par la société Royal Monceau à compter du 2 février 1998 par contrat à durée indéterminée à temps partiel, en qualité d’employée éducatrice sportive rattachée au SPA de l’hôtel Royal Monceau sous l’appellation « Les Thermes ».

L’hôtel Royal Monceau a fermé de 2008 à octobre 2010.

Par traité d’apport du 12 mai 2010 la société Royal Monceau a transféré à la société d’exploitation du Royal Monceau son activité hôtelière ainsi que d’autres activités incluant le SPA. Le contrat de travail de Madame X a alors été transféré à la société d’exploitation du Royal Monceau, laquelle a confié par convention l’exploitation du SPA à la société SPA MY BLEND by Clarins.

A compter du 2 septembre 2011, le contrat de travail de Madame X était transféré à la société SPA MONCEAU.

Le 20 septembre 2011, la société SPA MONCEAU dont le gérant était Monsieur B. écrivait à Madame X pour lui faire part du transfert de son contrat de travail conformément aux dispositions de l’article L 1224-1 du Code du travail.

Le 1er février 2013, l’activité de SPA était reprise par la société SPA DESIGN et les contrats de travail attachés, dont celui de Madame X, ont été transférés à cette dernière société. Madame X était avisée de ce nouveau transfert par lettre de la société SPA DESIGN du 7 février 2013.

Madame X a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 26 octobre 2012 d’une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail et invoquant la nullité des transferts du contrat de travail et en sollicitant des indemnités de rupture du contrat de travail.

Madame X a ensuite été licenciée par la société SPA DESIGN par lettre à entête de “DEEP NATURE” du 5 décembre 2013 suite à un avis d’inaptitude délivré le 16 octobre 2013 lors de la seconde visite.

2) L’arrêt de la cour d’appel de Paris du 24 janvier 2017 prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de la professeure de sport du Royal Monceau du fait de manquements à l’encontre de cette dernière

Par arrêt du 24 janvier 2017, la Cour d’appel de Paris condamne solidairement la société d’exploitation du Royal Monceau, et la société SPA DESIGN et la société RELAX MASSAGE SPA GESTION en liquidation à payer à Madame X la somme de :
- 40.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la résiliation judiciaire du contrat de travail produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 9.000 euros à titre de dommages-intérêts pour manque à gagner du fait de la réduction des cours particuliers à compter de septembre 2011.

La cour d’appel dit qu’en ce qui concerne la société RELAX MASSAGE SPA GESTION, il s’agit d’une fixation de la créance de Madame X au passif de la liquidation judiciaire et déclare l’arrêt opposable à l’AGS CGEA.

Enfin, la cour d’appel condamne la société SPA DESIGN à payer à Madame X la somme de 4.838 euros à titre d’indemnité de préavis et 483,80 euros au titre des congés payés sur préavis,

2.1) La Cour d’appel relève que la professeure de sport a été effectivement « confrontée à une situation particulièrement déstabilisante et à une dégradation de ses conditions de travail »

En premier lieu, Madame X invoque de nombreux manquements et, notamment, un refus de son employeur de lui fournir du travail, une modification unilatérale de son contrat de travail. Elle estime que le montant de la rémunération et ses fonctions ont été modifiées. Elle se plaint aussi d’avoir subi des actes discriminatoires et invoque des actes de harcèlement moral de la part, un manquement à l’obligation de sécurité, un refus d’ouvrir ses droits à la prévoyance et un retard dans le paiement des salaires et la délivrance des bulletins de paie.

En l’espèce, le SPA n’a ouvert à nouveau qu’au mois de septembre 2011, après finalisation des travaux et durant la période de novembre 2010 à septembre 2011, Madame X donnait temporairement ses cours de sport dans une chambre aménagée à cet effet dans l’attente de la réception du SPA.

C’est à partir de cette période que Madame X indique avoir été victime de manquements de ses employeurs successifs qui l’ont conduit à saisir la juridiction prud’homale le 26 octobre 2012 d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail. Madame X avait alors 15 ans d’ancienneté. La salariée a finalement été licenciée environ 13 mois plus tard pour inaptitude suite à des arrêts de travail pour maladie.

Il ressort des éléments versés au débat que qu’entre septembre 2010 et la demande de résiliation judiciaire, puis le licenciement, la salariée a été effectivement confrontée à une situation particulièrement déstabilisante et à une dégradation de ses conditions de travail qui a eu des effets négatifs sur sa santé.

Ainsi, les éléments produits au débat montrent que les transferts et changements qui se sont succédés dans l’activité dont dépendait la salariée ont entraîné une confusion qui n’a pas facilité la reprise d’activité après les travaux.

A cet égard, le supérieur hiérarchique de la salariée, M. B, a notamment adressé un courrier le 5 décembre 2011 illustrant la confusion de la salariée mais aussi la façon dont elle était traitée. Le courrier porte en objet « dénomination sociale employeur sur avis d’arrêt de travail » et indique à la salariée : « ... Nous vous saurions gré de bien vouloir vérifier la dénomination sociale de votre employeur au préalable, soit SPA MONCEAU...avant d’apposer une dénomination hasardeuse sans existence juridique sur de tels documents administratifs ... ».

Madame X a par ailleurs adressé un courrier à l’inspection du travail dès le 30 septembre 2011 pour lui faire part de son désarroi en ce qui concerne l’identification de son employeur et l’absence d’explication fournie.

Elle demande alors à l’inspecteur du travail de lui indiquer qui est son employeur en indiquant que la situation est anxiogène. Cette confusion a été entretenue, jusqu’au licenciement de la salariée, y compris par la dernière société SPA DESIGN qui a notamment notifié le licenciement par lettre à entête de « DEEP NATURE ».

Ainsi, la situation dont a été victime la salariée, qui a perduré jusqu’au licenciement, est imputable aux employeurs qui se sont succédés entre le 2 septembre 2011 et le 5 décembre 2013.

Alors même que les transferts étaient juridiquement valables, il appartenait à chacun des employeurs d’informer de façon suffisamment claire la salariée sur sa situation et, notamment de lui fournir des explications lui permettant d’identifier son employeur. Les seules lettres d’information sur le transfert étaient, en l’espèce, insuffisantes.

Par ailleurs, il est constant qu’en août 2010, Madame X été appelée pour venir retravailler au Royal Monceau.

2.2) Isolement de la professeure de sport dans la Chambre 110 + diminution importante de sa rémunération du fait de la baisse du nombre de cours particuliers + acte de harcèlement

Elle a été installée temporairement dans une chambre en attendant d’exercer ses fonctions normalement au sein du SPA encore en travaux. Son installation temporaire dans la « Chambre 110 » a duré près d’un an. Madame X fait valoir à juste titre qu’elle s’est retrouvée ainsi isolée en attendant les clients de novembre 2010 à septembre 2011.

La gouvernante, Madame L atteste que Madame X était pratiquement sans travail et a souffert de cette situation qu’elle trouvait « humiliante ». Monsieur G, ex-collègue de Madame X, atteste que « début 2011, Madame X m’a expliqué que l’Hôtel la faisait travailler dans la Chambre 110. Elle ne voyait personne de la journée et on ne lui donnait pas de travail". Madame H, gouvernante et Madame M, kinésithérapeute, apportent aussi des témoignages sur la situation inadéquate que vivait Madame X. » Il apparaît effectivement que pendant cette période, Madame X n’a eu que très peu de clients.

De plus, la direction confiait les cours particuliers des clients du Royal Monceau à des coaches « freelance », ce qui entraînait pour elle un manque à gagner important par rapport à sa situation antérieure puisqu’elle était rémunérée en « primes » lorsqu’elle donnait de tels cours.

Cette situation a perduré après la remise en route du SPA et Madame X a notamment attiré son employeur sur ses difficultés en adressant une lettre recommandée avec accusé de réception à la société SPA MONCEAU le 21 octobre 2011 : elle fait état de plusieurs griefs et indique qu’elle refuse de signer en l’état son contrat de travail.

Elle indique aussi qu’elle est isolée et ne donne plus de cours particuliers alors qu’elle devrait en bénéficier. La situation d’isolement pendant près d’une année est ici établie et révèle déjà un comportement harcelant et à tout le moins un manquement de l’employeur qui ne s’est guère préoccupé de la situation de la salariée.

De plus, ainsi que cela a été indiqué plus haut, Madame X a subi une baisse importante de sa rémunération puisqu’elle n’avait pratiquement plus de cours particuliers :
- Lors de l’occupation par Madame X de la « Chambre 110 », les cours particuliers étaient confiés de novembre 2010 à août 2011 à des coaches freelance.
- Lors de la reprise d’activité au SPA, en septembre 2011, la situation a perduré puisque Madame X ne donnait alors que très peu de cours particuliers, lesquels étaient confiées à d’autre personnes. Monsieur G atteste à cet égard que « Antoine A et Salvatore I ont pris part au harcèlement moral en me privant ainsi que Madame X de cours particuliers. Ils privilégiaient les nouveaux ».

Au vu des éléments produits, il apparaît effectivement que dans les années antérieures, Madame X percevait annuellement des primes de coaching de l’ordre de 10.000 à 14.000 euros pour ses cours particuliers, alors que les primes n’étaient plus que de 45 euros en 2011 et 2.970 euros en 2012. Madame X a alerté l’inspection du travail sur ce point dès le 30 septembre 2011. Il y a là encore un manquement de l’employeur qui ne s’est pas préoccupé de cette situation.

Il est établi par les nombreuses pièces versées au débat, en particulier les documents médicaux, que les conditions de travail de Madame X, qui se sont ainsi dégradées, ont gravement portés atteinte à sa santé. Cette dégradation aussi été détectée par un témoin : Monsieur M., ancien client de Madame X.

Madame X a été en arrêt-maladie à compter du 8 août 2012 pour burn-out pendant plus d’un an avant d’être licenciée pour inaptitude et produit ses arrêts de travail et des certificats médicaux établis notamment par le docteur N. faisant état d’un état anxio-dépressif sévère.

Ces « seuls éléments constituent des manquements suffisamment graves pour justifier la résiliation du contrat de travail de la salariée et caractérisent une situation de harcèlement moral ».

2.3) Difficultés pour obtenir le paiement de ses salaires

Par ailleurs, Madame X s’est heurtée à d’autres difficultés, notamment pour obtenir le paiement de ses salaires de juin 2012, juillet 2012, de la fin de l’année 2012 et de début 2013, ainsi que de son 13ème mois. Elle a d’ailleurs intenté une action devant le Conseil de prud’hommes en référé. De même, elle a dû réclamer à plusieurs reprises le paiement de sa prime d’ancienneté. Elle a dû réitérer, par courrier recommandé, ses demandes pour obtenir ses bulletins de paie d’octobre à décembre 2012, puis de février et mai 2013.

De plus, la salariée a constaté qu’à compter du 1er février 2013, date du transfert du contrat de travail vers SPA DESIGN, le montant de la part salariale de sa mutuelle a doublé (140,57 euros par mois, au lieu de 36,26 euros) pour la part patronale. La société SPA DESIGN s’est contentée de lui indiquer que les sociétés qui l’avait précédés pratiquaient des taux erronés.

Les nombreuses pièces versées au débat montrent que les employeurs ne se sont pas préoccupés du sort de la salariée pendant toute la période concernée, et ce, jusqu’au licenciement.

Le délégué du personnel Monsieur T D, qui assistait la salariée lors de l’entretien préalable au licenciement le 18 novembre 2013 témoigne que la salariée était encore très troublée et mal à l’aise. Elle a alors expliqué à son interlocuteur M. P, gestionnaire du SPA, qu’elle rencontrait pour la première fois, qu’elle avait connu la souffrance au travail pendant deux ans et « encaissé beaucoup de situations difficiles avec des propos blessants et une discrimination vis à vis de son âge ». M. P a alors remercié la salariée pour son effort d’être venue jusqu’au SPA en indiquant qu’il ne savait pas à quel point cela serait difficile pour l’intéressée de venir et s’en est excusé.

2.4) Des manquements qui justifient la résiliation judiciaire du contrat de travail

Les premiers manquements constatés entre septembre 2011 et le 2 septembre 2011 qui se sont notamment manifestés par l’isolement de la salariée et la privation de cours particuliers entraînant une baisse importante de rémunération sont imputables à la société d’exploitation du Royal Monceau et apparaissent déjà suffisamment graves pour justifier la résiliation du contrat de travail aux torts de cette société.

Au vu des pièces et des explications fournies, compte tenu, du montant de la rémunération versée à Madame X, de son âge, de son ancienneté et des conséquences de la rupture de la relation de travail à son égard, la cour dispose des éléments nécessaires et suffisants pour fixer à 40.000 euros le montant de la réparation du préjudice subi.

La société d’exploitation du Royal Monceau sera tenue au paiement de cette somme qui prend en compte l’intégralité du préjudice subi sans qu’il y ait lieu de prononcer une condamnation spécifique au titre du harcèlement moral.

Cette société sera tenue à payer à Madame X la somme de 4.838 euros à titre d’indemnité de préavis ainsi que 483,80 euros au titre des congés payés sur préavis et devra remettre un bulletin de salaire, un certificat de travail et une attestation ASSEDIC sans qu’il y ait lieu d’ordonner une astreinte.

S’agissant du manque à gagner pour l’absence de cours particulier, le préjudice subi est évalué à 9 000 euros pour l’ensemble de la période concernée à titre de dommages-intérêts du fait de la réduction de des cours particuliers et non de rappel de salaire. Il n’y a donc pas lieu de retenir une condamnation au titre de congés payés afférents.

Les manquements qui se situent dans la période de septembre 2011à août 2012, soit antérieurement à l’arrêt maladie prolongé de la salariée, sont imputables, d’une part, à la société d’exploitation du Royal Monceau, d’autre part, à la société RELAX MASSAGE SPA GESTION en liquidation qui a succédé à la société SPA MONCEAU aujourd’hui disparue. Ces sociétés seront tenues solidairement au paiement de la somme susvisée.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum