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Le cancer et le droit. Par Vincent Ricouleau, Professeur de droit.
Parution : mardi 21 février 2017
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Comment améliorer les droits des personnes ayant souffert d’un cancer, conservant ou non des séquelles, des handicaps, générateurs d’un impact majeur sur la vie sociale, voire même d’une exclusion professionnelle et sociale ? Comment éviter la rupture d’égalité et les discriminations avec les autres citoyens, notamment lors d’emprunts exigeant une assurance-emprunteur ? L’article 190 de la loi du 26 janvier 2016, complété de deux décrets du 7 et du 13 février 2017 permet-il une réelle égalité ? La convention AERAS est-elle suffisante pour instaurer un droit à l’oubli ?

La convention nationale AERAS

L’article L.1141-2 du Code de la santé publique prévoit une convention nationale, la convention AERAS, « S’Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé », relative à l’accès au crédit des personnes présentant, du fait de leur état de santé ou de leur handicap, un risque aggravé.

Cette convention assure la prise en compte complète par les établissements de crédit ou les sociétés de financement des garanties alternatives à l’assurance.

Elle définit des modalités particulières d’information des demandeurs, d’instruction de leur dossier ou médiation.

Toute personne présentant du fait de son état de santé ou de son handicap, un risque aggravé bénéficie par conséquent de plein droit de cette convention.

Un avenant pour les pathologies cancéreuses

Concernant les patients atteints d’un cancer, un protocole a été signé le 24 mars 2015, en présence du Président de la République, François Hollande, entre les pouvoirs publics, les professionnels de la banque et de l’assurance, l’Institut national du cancer (INCa) et des associations de malades. Une volonté politique était clairement affirmée d’améliorer la situation des citoyens souffrant de cancers.

Ce protocole vise à mettre en œuvre un « droit à l’oubli » et à améliorer la rapidité de la prise en compte par les assureurs, dans la tarification des risques, des avancées thérapeutiques pour les personnes ayant été atteintes d’une pathologie cancéreuse.

Les délais concernant les pathologies cancéreuses

L’article L.1141-5 du CSP précise que « dans tous les cas, le délai au-delà duquel aucune information médicale relative aux pathologies cancéreuses ne peut être recueillie par les organismes assureurs ne peut excéder dix ans après la date de fin du protocole thérapeutique ou, pour les pathologies cancéreuses, survenues avant l’âge de dix-huit ans, cinq ans à compter de la fin du protocole thérapeutique ».

Une grille de référence est prévue, les pathologies cancéreuses étant très diverses.

Une grille de référence (qui sera évolutive compte tenu des progrès médicaux) permet de fixer pour chacune des pathologies les délais au delà desquels aucune majoration de tarifs ou d’exclusion de garantie ne sera appliquée ou aucune information médicale ne sera recueillie.

La grille précise le type d’affection, sa définition, le stade, le type de traitements, les facteurs de risques, le délai d’accès à compter de la fin du protocole thérapeutique et sans rechute.

Comment définit-on la date de fin du protocole thérapeutique ?

Il s’agit de la date de la fin du traitement actif du cancer, en l’absence de rechute, par chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie effectuée en structure autorisée, à laquelle plus aucun traitement n’est nécessaire, hormis la possibilité d’une thérapeutique persistante de type hormonothérapie ou immunothérapie.

Qu’est-ce qu’on entend par « rechute » ?

Il s’agit de toute nouvelle manifestation médicalement constatée du cancer, qu’elle le soit par le biais d’un examen clinique, biologique ou d’imagerie.

Ainsi, le délai d’accès à une assurance emprunteur sans surprime ou exclusion, d’un patient atteint d’un cancer du testicule de type séminome pur, de stade I, sera de trois ans, de stade II, de six ans, de stade III, de dix ans.

Le délai d’accès à une assurance emprunteur sans surprime ou exclusion d’un patient atteint d’un cancer de la thyroïde, papillaire/vésiculaire, 45 ans ou plus au diagnostic, state I ou II, sera de trois ans.

A chaque pathologie cancéreuse correspond un délai d’accès spécifique, dépendant la plupart du temps de la stadification.

L’autorité de contrôle prudentiel et de résolution

Le décret n°2017-147 du 7 février 2017, pris en application de l’article 190 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, crée l’article R.1141-1 du CSP, précisant les sanctions applicables aux organismes assureurs pour non-respect des dispositions de l’article L.1141-5 du Code de la santé publique.

L’autorité de contrôle prudentiel et de résolution créée par l’ordonnance n°2010-76 du 21 janvier 2010 a pour mission de sanctionner les manquements.

Cette autorité peut donner un avertissement, un blâme, une interdiction temporaire d’effectuer certaines opérations, ainsi que toutes autres limitations dans l’exercice de l’activité, la suspension temporaire de dirigeants, leur démission d’office, le retrait total ou partiel d’agrément ou d’autorisation, la radiation de la liste des personnes agréées. Des sanctions pécuniaires peuvent aussi être décidées.

Le principe affirmé est que les organismes assureurs ne peuvent recueillir aucune information médicale relative aux pathologies cancéreuses dans les délais prévus par la Convention dite AERAS.

Rappelons que ces délais ne peuvent, dans tous les cas, excéder dix ans après la date de fin du protocole thérapeutique ou cinq ans à compter de la fin dudit protocole pour les pathologies cancéreuses survenues avant l’âge de dix-huit ans.

La couverture des risques liés aux emprunts

Il convient de se reporter à la convention AERAS afin de bien comprendre ses conditions d’intervention.

Le titre VI de la convention AERAS précise « que dès lors que l’analyse d’un questionnaire de santé conduit à refuser à un candidat à l’emprunt le bénéfice de l’assurance emprunteur associé à cet emprunt, le traitement de son dossier est automatiquement transféré vers un dispositif d’assurance « de deuxième niveau » qui permet un réexamen individualisé de sa demande. »

En outre, le pool des risques très aggravés mis en place par les assureurs permet le réexamen des dossiers refusés par le deuxième niveau.

Des emprunts d’au plus 320 000 euros

Ce pool traite les demandes d’assurance relatives aux opérations de prêts d’au plus 320 000 euros sans tenir compte des crédits relais lorsqu’il s’agit de l’acquisition d’une résidence principale.

Dans les autres cas de prêts immobiliers et de prêts professionnels, le pool traite les demandes relatives à un encours cumulé de prêts d’au plus 320 000 euros.

L’âge de l’emprunteur ne doit pas excéder 70 ans en fin de prêt.

Pour toutes les demandes d’assurance de prêts immobiliers et professionnels, la durée maximum du prêt est telle que l’âge de l’emprunteur n’excède pas 70 ans en fin de prêt.

L’assurance décès des prêts a la consommation

Les questionnaires de santé pour les prêts à la consommation affectés ou dédiés, sont supprimés.

Mais leur montant ne doit pas dépasser 17 000 euros.

Leur durée de remboursement doit être inférieure ou égale à 4 ans,

Le candidat à l’assurance doit avoir 50 ans au plus.

Le candidat à l’assurance dépose une déclaration sur l’honneur de non cumul de prêts au-delà du plafond susmentionné.

Les pathologies chroniques

L’article L.1141-5 du CSP prévoit l’extension des dispositifs prévus aux deux premiers alinéas aux pathologies autres que cancéreuses, notamment les pathologies chroniques, dès lors que les progrès thérapeutiques et les données de la science attestent de la capacité des traitements concernés à circonscrire significativement et durablement leurs effets.

En conclusion, l’article 190 de la loi du 26 janvier 2016 doublée d’une volonté présidentielle certaine permet d’améliorer le statut des personnes atteintes d’un cancer face aux organismes prêteurs.

Néanmoins, les plafonds des emprunts et les limites d’âge, ne facilitent pas la préservation des droits antérieurs à la déclaration de la maladie. La rupture d’égalité subsiste par conséquent entre « l’avant et l’après » cancer.

Par ailleurs, les maladies chroniques, notamment psychiatriques, devraient également faire l’objet d’un avenant spécifique, sans tarder, les conséquences sociales étant légion.

Compte tenu des progrès des recherches notamment sur la cancérogenèse, la grille de référence devrait être révisée régulièrement.

L’expression « droit à l’oubli » est par ailleurs bien mal choisie.

Puisque personne n’oublie jamais l’existence d’un cancer.

L’expression « la préservation de l’égalité face à l’emprunt » aurait été plus pertinente.

Bibliographie indicative

Article 190 de la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé
Décret n°2017-147 du 7 février 2017 relatif aux sanctions applicables aux organismes assureurs pour non-respect des dispositions de l’article L.1141-5 du CSP – article R.1141-1 du CSP
Décret n°2017-173 du 13 février 2017 précisant les modalités d’information des candidats à l’assurance-emprunteur lorsqu’ils présentent du fait de leur état de santé ou de leurs handicaps un risque aggravé.
Site officiel de la Convention AERAS
Convention AERAS révisée à la suite de la mise en place d’un « droit à l’oubli », S’Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé – 2 septembre 2015
Ordonnance n°2010-76 du 21 janvier 2010 créant l’autorité de contrôle prudentiel et de résolution.

Vincent Ricouleau Professeur de droit -Vietnam - Titulaire du CAPA - Expert en formation pour Avocats Sans Frontières - Titulaire du DU de Psychiatrie (Paris 5), du DU de Traumatismes Crâniens des enfants et des adolescents (Paris 6), du DU d\\\'évaluation des traumatisés crâniens, (Versailles) et du DU de prise en charge des urgences médico-chirurgicales (Paris 5)