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« Pour recruter des clients, il faut d’abord se forger une identité. »
Parution : mercredi 1er mars 2017
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Avoir un projet de développement lorsque l’on crée son cabinet d’avocats est aujourd’hui essentiel : il permet de bien se positionner dès le départ, et surtout savoir où l’on va. Car le développement n’est pas une action ponctuelle, mais une stratégie à adapter sur le long terme.
C’est cette réflexion qu’a mené Anne-Marion de Cayeux, avocat au barreau de Paris, lorsqu’elle s’est réinstallée en individuel. En se spécialisant en droit de la famille et privilégiant les modes alternatifs de règlement des conflits, en publiant un premier ebook sur cette thématique, elle a souhaité se distinguer de ses confrères afin d’assurer la pérennité de son activité.
Elle a accepté de répondre aux questions du Journal du Village de la Justice afin de nous faire part de son expérience.

Clarisse Andry : Quelles étaient les motivations derrière votre démarche de développement ?

Anne-Marion de Cayeux : J’étais auparavant associée dans une structure créée avec d’autres confrères, et je me suis finalement réinstallée en individuel en 2010, pour avoir plus d’autonomie. C’était un nouveau départ, car je quittais une structure généraliste. En individuel, il faut obligatoirement se spécialiser. Mon projet de développement était donc de forger mon identité professionnelle en devenant spécialiste dans le droit de la famille, de la personne et du patrimoine, qui était mon activité dominante mais pas exclusive. Je me suis tout de suite orientée vers la recherche de développement des modes alternatifs et de la voie amiable. C’est aujourd’hui un élément important dans l’identité d’un avocat en droit de la famille, et presque du militantisme. Et quand on est individuel, il est essentiel d’avoir un élément qui nous caractérise.

Quelles sont les étapes à franchir dans un projet de développement ?

« Le blog est un lieu d’expression qui permet de transmettre sa personnalité et ses messages. »

Pour recruter des clients, il faut d’abord se forger une identité, une personnalité, en faisant valoir une expertise dans un domaine donné. Cela passe par la formation et l’obtention de diplômes complémentaires. J’ai par exemple réalisé deux formations à la médiation, dont l’Ifomene, et déposé un dossier de certificat de spécialisation. Cela demande du temps mais cela fait partie des démarches pour faire la différence. Il faut ensuite travailler son réseau en allant à la rencontre de tous les prescripteurs professionnels, en animant des formations ou en devenant spécialiste d’un sujet donné dans sa sphère de compétence. L’adhésion à des associations professionnelles permet également d’entrer dans le cercle des avocats de sa spécialité, et donne l’opportunité de travailler en équipe.
Au delà du réseau, il faut trouver à communiquer, ce qui implique de créer un site, voire un blog, et d’animer ses réseaux sociaux. Le blog est un lieu d’expression qui permet de transmettre sa personnalité et ses messages, et les clients apprécient d’avoir des observations un peu personnelles et du partage d’expériences. Cela pose néanmoins une problématique de temps, car écrire des articles demande du temps que l’on a pas forcément.
Quand on est en individuel, il faut également s’appuyer sur des personnes qui partagent l’esprit d’entreprise. Il faut qu’elles soient motivées et qu’elles aient le goût de l’effort conjoint, car cela fait partie du développement de la structure. Quand on voit qu’on arrive à développer le chiffre d’affaires, à améliorer la complexité des dossiers et à se faire recommander pour des dossiers plus importants, tout le monde est gratifié.
J’ai été accompagnée pour mener ce processus de développement et nous travaillons depuis deux ans sur ce projet. Seul, on n’a pas forcément le bon regard sur soi, l’énergie et l’impulsion nécessaire. Avoir quelqu’un de l’extérieur en miroir, et une forme de coaching, m’a vraiment aidé.

Quelle place a pris la relation-client dans votre projet ?

« J’essaye d’avoir une facturation intelligente : mon taux horaire est modulé en fonction des diligences. »


La relation client va de pair avec mon mode d’exercice, qui est de rechercher la résolution amiable. Les avocats sont au départ formés au conflit, au judiciaire, à donner des solutions et des conseils, et il faut travailler à changer cette posture. Cela implique notamment de réfléchir sur la solution client, pour être plus dans l’accompagnement en cas de crise, et instaurer une véritable relation de confiance. L’avocat doit être présent en soutien, en conseil, en aide à la stratégie, tout en laissant quand même la place au client.
Cela suppose aussi de repenser son mode de facturation. C’est une question assez compliquée pour les avocats, mais j’essaye d’avoir une facturation intelligente : mon taux horaire est modulé en fonction des diligences. J’estime que certaines ne peuvent pas être facturées à plein tarif, parce qu’elles ont moins de valeur ajoutée que d’autres. J’ai donc mis en place un système de coefficient qui permet d’amortir des interventions qui restent assez chères pour les clients.

En terme de communication, vous avez notamment publié un ebook sur le droit collaboratif : pourquoi ce support ? Constatez-vous un impact ?

J’avais écrit quarante pages d’un premier livre, que j’ai d’abord soumis à des éditeurs. Mais l’aléa pour être publié était trop important. Nous avons donc choisi de faire des petits livres et de s’auto-éditer sur Internet. Je n’ai jamais imaginé gagner de l’argent en publiant un livre, c’est essentiellement un projet qui me permet d’obtenir un crédit supplémentaire. Je suis pas sûre qu’il y ait beaucoup de personnes qui le téléchargent et qui le lisent in extenso, mais il se feuillette, et les lecteurs peuvent y trouver quelques idées. Nous avons aussi soigné sa présentation, en faisant appel à un graphiste pour la couverture.
Ce premier ebook traite du processus collaboratif, et je vais en préparer d’autres sur les modes alternatifs, afin de constituer une petite collection. J’ai d’autres idées pour 2017, comme élaborer ma petite bibliothèque idéale avec des petites fiches de bibliographies.
J’ai globalement des retours en lien avec le développement de ma communication via mon site internet, mon blog, mon ebook, ou mon référencement sur des annuaires d’associations professionnelles. De plus en plus de clients me contactent parce qu’ils m’ont trouvé sur Internet.

Comment s’est déroulé le financement de ce projet de développement ?

Cela représente un budget direct et indirect. Les coûts directs impliquent aussi bien les locaux, les rémunérations de mon équipe, la documentation, … que les petits frais que peuvent représenter des cartes de visites ou les cartes de remerciement. J’ai également dû refondre mon blog, car il n’était plus adapté et de me mettait pas assez en valeur. L’accompagnement dont j’ai bénéficié, notamment pour l’élaboration de l’ebook, a également un coût. Et puis les coûts indirects découlent du temps que mon assistante et moi y passons, car c’est un temps que nous ne consacrons pas à nos dossiers. Il faut donc prévoir ce financement, soit en ayant une petite enveloppe à investir, soit en étant en capacité de moins se payer à certains moments.

La procédure du divorce par consentement mutuel a été réformée : quel en est l’impact sur votre projet de développement ?

C’est assez révolutionnaire. Le divorce devient un contrat, et du point de vue des mentalités c’est énorme. Je constate que les clients sont très contents d’avoir un divorce privatisé. Philosophiquement, ils ne sont pas tous d’accord sur cette espèce de perte du mariage institutionnel, mais à titre personnel, ils sont très soulagés de ne plus avoir à aller devant le juge. Il y aura deux types d’évolution : d’un côté les avocats voudront faire vite, en proposant des choses toutes faites, et puis nous, les spécialistes, qui allons essayer de montrer qu’il faut quand même des conseils très expérimentés et de bâtir quelque chose qui va s’inscrire dans la durée.

Finalement, le processus de développement consiste à être toujours en mouvement ?

« Dans un tel projet, l’avocat change de métier. »


Toujours. D’abord parce qu’il faut toujours aller chercher de nouveaux clients, et ensuite parce qu’on évolue soi-même tout le temps. C’est en cela que la profession d’avocat est intéressante : on est toujours en mouvement et en train d’apprendre des nouvelles choses. Il y a aussi des paliers, notamment économiques, à franchir, et qui ne sont pas toujours évidents. Une embauche, par exemple, n’est pas forcément une décision facile à prendre. Il faut embaucher quand on a trop de dossiers, mais c’est une charge supplémentaire, il faut donc encore plus de dossiers, et passer un nouveau cap.
Dans un tel projet, l’avocat change de métier : il devient un chef d’entreprise, un manager, il doit effectuer une veille technologique … Il devient un homme orchestre, et il doit se former à ces nouvelles fonctions.

Interview initialement parue dans Le Journal du Village de la Justice n°79.

Propos recueillis par Clarisse Andry Rédaction du Village de la Justice
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