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Formation des élèves-avocats : ce que compte changer le CNB.
Parution : lundi 14 janvier 2019
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S’il y a bien un sujet qui fait beaucoup parler ces derniers temps, c’est celui de la formation initiale des avocats. D’abord parce depuis septembre 2017, les futurs avocats passent le nouvel examen d’entrée à l’école d’avocats mais aussi parce qu’un autre changement a été acté, celui de la formation à proprement parler des élèves-avocats. L’aspect pratique des cours a été fortement mis en avant depuis la rentrée 2018/2019. Le Conseil national du barreau ne compte pas s’en arrêter là puisqu’il a soumis une batterie de réformes à la Chancellerie pour mieux réussir l’insertion professionnelle des futurs avocats.

Le constat d’une formation inadaptée aux enjeux de la profession.

Selon le rapport Haeri, « le consensus est malheureusement très large. Le temps de la formation initiale est considéré comme du temps perdu : enseignements inadaptés, redites avec l’Université, ... La liste des griefs est impressionnante. »
Ces griefs, on les retrouve aussi sur le blog d’une ancienne élève-avocate dans un billet intitulé Deux ans d’école, des stages et le CAPA !
Parmi eux, on peut citer :
• des intervenants aux qualités inégales,
• l’impossibilité de travailler pendant les 6 mois de cours, sauf le soir et le week-end,
• des enseignements pas assez pratiques et adaptés aux projets professionnels,
• des problèmes d’organisation des enseignements au sein des écoles : modules pas dispensés, manque d’intervenants sur certaines matières…

Une formation plus professionnelle.

Les enseignements dans les CRFPA sont régis par la décision à caractère normatif du CNB du 7 janvier 2015 définissant les principes d’organisation et harmonisant les programmes de la formation des élèves avocats.

Ce programme va dans le sens d’une professionnalisation de la formation. C’est ce qu’avait expliqué Jean-Pierre Grandjean lors des états généraux de la recherche sur le droit et la justice le 31 janvier 2017 : « Le cap est clair. Il ne s’agit pas à l’école des avocats de refaire ce qu’on a fait ou ce qu’on est censé avoir fait à l’Université. C’est une école d’application, d’apprentissage. Le texte énonce qu’on doit mettre les étudiants en situation pratique en petits ateliers sur des thèmes transversaux. » Mais pour la mettre en œuvre, il faut des moyens humains et financiers car « qui dit professionnalisation de la formation implique professionnalisme des formateurs. Il faut donc former les avocats à l’enseignement  » a-t-il ajouté.
C’est donc un nouveau contenu mais aussi des nouvelles méthodes d’enseignement que ce programme prévoit.

A cet effet, la commission propose de réduire le nombre de matières enseignées dans les CRFPA et d’exclure tout enseignement théorique à l’exception de la procédure, d’introduire des cours dédiés aux humanités (économie, sciences politiques, …), de supprimer les enseignements en amphithéâtre dans les CRFPA et de limiter l’enseignement en groupe à 35 personnes.
A ce propos, l’École des avocats de Paris (EFB) annonce avoir mis en place un nouveau programme depuis la rentrée 2018/2019. L’école a ainsi décidé de supprimer la majorité des cours théoriques, et compte présenter à la rentrée une formation axée sur la pratique.

Un accès plus sélectif aux écoles d’avocats.

L’assemblée générale du CNB, tenue les 16 et 17 novembre 2018, a proposé que l’inscription dans une école d’avocats soit subordonnée à l’obtention du diplôme nationale de master en droit. (Soit un Bac +5).
La législation en vigueur, l’article 11.2 de la loi 71°-1130 du 31 décembre 1971 en l’occurrence, fixe comme condition pour intégrer les écoles d’avocat d’être titulaire « d’au moins une maitrise en droit ou de titres ou diplômes reconnus comme équivalents ». Une loi ne s’abrogeant que par une norme de la même valeur, il faudrait que le parlement intervienne pour modifier le contenu du texte, ou donne habilitation au gouvernement de le faire par la procédure de l’ordonnance.

Pour le CNB, cette proposition se justifie au regard de plusieurs arguments. En effet, selon les statistiques effectuées par le conseil, 90 % des élèves qui franchissent l’examen avec succès sont titulaires d’au moins un « Master 2 » (Bac + 5). Par ailleurs, le CNB entend s’aligner sur d’autres professions juridiques comme les notaires, qui ont adopté ce choix depuis plusieurs années.
Il reste que cette proposition ne fait pas que des heureux dans le milieu des robes noires. En effet, le Syndicat des avocats de France estime que cette proposition sera de nature à durcir les conditions d’accès aux CFPA. La Fédération nationale des unions de jeunes avocats (FNUJA), redoute quant à elle que cet allongement du cursus ferme l’accès à la profession aux étudiants qui souhaitent intégrer plus vite le monde professionnel.
Sur un autre volet, l’assemblée générale du CNB a voté la suppression partielle de la passerelle permettant aux titulaires d’un doctorat en droit d’intégrer une école d’avocat. La structure représentant les avocats propose en effet que ces docteurs passent l’épreuve orale, au même titre que les autres candidats. Toutefois, ils continueront à être exemptés des épreuves écrites, si la proposition du CNB est retenue par la Chancellerie.

Une formation plus dense pour les élèves-avocats.

La durée de formation (théorique et pratique) de l’élève-avocat est fixée actuellement par la loi à « au moins 18 mois ». Cette durée est particulièrement critiquée par un certain nombre d’avocats et d’observateurs du milieu.
En effet, l’insertion professionnelle tardive des élèves -avocats est pointée du doigt. Ceux-ci disposent en général d’un Master 2, et ont préparé l’examen d’accès aux écoles de formation pendant un an, ce qui donne un âge moyen de 24 ans pour l’élève avocat.
Surtout, cet accès tardif sur le marché professionnel pose le problème du financement de la formation. A fur et à mesure que celle-ci s’allonge, l’étudiant devra subvenir à ses moyens, ce qui pose in fine la question de la représentation sociale chez les avocats.
Compte tenu de la longueur de la formation pour y accéder, le barreau serait-il devenu une filière réservée aux catégories plus ou moins aisées ? Faut-il diminuer la durée des cours pour permettre au futur avocat d’accéder au monde professionnel ? Faut-il rémunérer correctement ces élèves-avocats tout au long de leur formation ?

En réponse à ses interrogations, Le CNB a proposé de raccourcir la durée de formation, et de la ramener à 12 mois, selon la répartition suivante :

- 4 mois d’enseignements pratiques à l’école.
- 2 mois de stage en juridiction, en entreprise, dans une administration, auprès d’autres professionnels du droit, et à défaut, en cabinet d’avocat.
- 6 mois de stage en cabinet d’avocat, lequel s’engagera à laisser à l’élève le temps de préparer et passer l’examen du CAPA.

Toujours sur la question de l’accessibilité aux écoles d’avocat, les membres du CNB – ont semble-t-il abandonné l’idée votée en 2017 pour une augmentation de 87,5% des frais d’inscription, pour les faire passer de 1600 à 3000 euros. Cette volonté avait provoqué à l’époque une vague de contestations dans le milieu estudiantin. Alors ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvuoas s’était également opposé à ce vote.
Pour la rentrée 2019-2020, les frais d’inscription ont été fixés par décret à 1825 euros.

Un système d’évaluation réévalué ?

L’assemblée générale du CNB a voté également de profondes modifications dans l’évaluation des examens. En effet, les représentant des avocats souhaitent que le jury présidant les épreuves orales des candidats soit présidé par un avocat en lieu et place d’un universitaire.
Aussi, ils proposent que la note finale permettant d’obtenir le certificat d’exercer soit la moyenne de trois notes :
- le contrôle continu, qui se substituerait aux actuelles épreuves écrites et à l’épreuve de langue
- Une épreuve de déontologie, avec une note éliminatoire pour les candidats qui n’obtiendraient pas la moyenne.
- Une épreuve orale de 40 minutes, qui comprend la présentation du rapport de stage.

Une année de collaboration qualifiante à l’issue moins certaine

Lors de cette assemblée générale, le CNB s’est également prononcé sur l’encadrement de la période de collaboration qualifiante.
Rappelons qu’en octobre 2014, l’assemblée générale avait déjà voté l’introduction de cette période d’un an après l’école d’avocat.
A l’issue des 12 mois de formation, l’élève-avocat devra être accompagné dans l’exercice de sa profession, par un collègue ayant au moins une année d’expérience. Cet exercice s’accomplirait dans le cadre d’une collaboration libérale ou salariée ou en qualité d’avocat associé.
Par ailleurs, le CNB propose que l’avocat titulaire du CAPA soit assujetti à une obligation renforcée de 30 heures de formation continue, réparties équitablement entre des cours de déontologie, des conseils en formation et gestion de cabinet.

Là aussi, les critiques fusent : précarité renforcée des futurs avocats, principe de l’avocat référent pouvant laisser la porte ouverte à des abus d’autorité, risque d’avoir deux promotions d’élèves-avocats arrivant sur le marché au même moment (une en octobre 2018, l’autre en janvier 2019) et dans des conditions différentes…
La balle est maintenant entre les mains du garde des Sceaux qui aura la lourde tâche d’entériner ou de refuser les propositions du CNB.
Réformer la formation initiale est une urgence pour les avocats ! Malgré cela, les institutions représentatives de la profession ont mis du temps à se décider définitivement, et il n’est pas sûr que des volte-face ne se produisent encore… En bref, tout n’est pas encore acté !

Laurine Tavitian Rédaction du Village de la Justice
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