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Responsabilité des parties à l’égard des tiers - L’arrêt Myr’ho, 10 ans après. Par Nicolas Crozier.
Parution : vendredi 24 février 2017
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« Quelles sont les causes rationnellement concevables d’un effet du droit, quel qu’il soit ? Au fond, le droit privé n’en connaît que deux : si ce n’est la responsabilité, c’est le contrat. Le contrat est, avec la responsabilité, le point d’ancrage le moins incertain de notre civilisation juridique. » Jean Carbonnier désigne avec finesse les deux branches majeures qui fondent notre droit civil et qui en assurent la stabilité. Toutefois, il nous faut remarquer qu’il existe au croisement du contrat et de la responsabilité un espace incertain, mouvant : c’est le champ couvert par les effets du contrat au-delà des parties contractantes. En effet, si le contrat est la loi des parties et que les tiers ne peuvent normalement pas s’y immiscer, les retombées produites par l’engagement contractuel ne s’analysent pas seulement sur un plan inter partes, mais également erga omnes.

En l’espèce, la société Bootshop avait obtenu la gérance d’un fonds de commerce auprès de la société Myr’ho au sein d’un immeuble commercial où cette dernière était locataire et liée par un contrat de bail à des propriétaires personnes physiques. La société Bootshop, victime de l’absence de travaux de gros œuvre au bien immobilier dont elle déteint la gérance, a este directement à l’encontre des propriétaires de l’immeuble commercial afin d’obtenir la remise en état des locaux ainsi qu’une indemnisation liée à un préjudice d’exploitation. Or ce manque d’entretien constitue classiquement une faute contractuelle et la société Bootshop n’est pas directement en lien avec les propriétaires de l’immeuble, car ces derniers ont pour locataires la société Myr’ho.

Dans un arrêt en date du 19 janvier 2005, la cour d’appel de Paris fait droit à la demande de la partie demanderesse et reconnaît les bailleurs responsables du dommage causé au locataire-gérant. Les consorts défendeurs se pourvoient ensuite en cassation. Dans un arrêt d’Assemblée Plénière du 6 octobre 2006, les magistrats de la Cour de cassation rejettent le pourvoi et énoncent que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ».

D’un point de vue juridique, c’est donc un tiers au contrat qui se prévaut en l’espèce de l’inexécution d’une obligation contractuelle afin d’obtenir une réparation sur le fondement de la responsabilité civile. Si le contrat et la responsabilité sont généralement sources de certitude, on perçoit d’ores et déjà que dans ce cadre les pistes sont brouillées. Les propriétaires invoquaient l’effet relatif des contrats et l’absence de faute à caractère délictuelle de leur part afin de se défaire de cette responsabilité. Néanmoins la Cour de cassation énonce le principe qu’une partie tierce au contrat peut se prévaloir d’un fait générateur de nature contractuelle lui causant un dommage afin d’obtenir réparation de son préjudice, par le truchement de la responsabilité délictuelle.

La question est celle de savoir si le tiers au contrat peut agir en responsabilité délictuelle contre l’un des contractants en invoquant la seule faute contractuelle ou si cette action n’existe qu’autant que la faute contractuelle constitue également une faute délictuelle, détachable du contrat. La problématique de cette jurisprudence doit également être abordée sous l’angle de l’avant-projet de réforme du droit de la responsabilité civile en date du 29 avril 2016 et plus particulièrement sous le prisme de son article 1234.

Si l’arrêt objet de notre étude permet de mettre fin un long conflit jurisprudentiel en apportant une solution claire (mais aujourd’hui contestée) sur le sujet complexe de l’action en responsabilité du tiers en matière contractuelle (I) ; il faut relever que le parti pris de cette décision n’a pas fait l’unanimité en raison des difficultés qu’il soulève, ce qui pourrait justifier sa probable remise en cause (II).

I. La stabilisation et l’uniformisation de la jurisprudence

La solution du présent arrêt « Myr’Ho » (aussi appelé « Bootshop ») met fin à une controverse jurisprudentielle de plusieurs années en apportant une réponse claire à la question de droit posée aux juges mais qui pourrait bien ne pas subsister à l’avenir (A) ; il s’avère aussi que l’issue de la réflexion de la Cour est particulièrement favorable aux victimes tierces-parties au contrat (B).

A. Une clarification de la position des juges quant au régime de la responsabilité des parties au contrat envers les tiers

La question soulevée par l’arrêt du 6 octobre 2006 n’est pas nouvelle, et la réponse apportée par les juges constitue en réalité le fruit d’une longue évolution de la jurisprudence sur la difficile question de la responsabilité de la partie contractante vis-à-vis du tiers. S’il on s’en tient au seul article 1165 ancien du Code civil, il apparaît hors de propos que de permettre à un tiers de s’immiscer dans la relation contractuelle. Le contrat est la chose des parties, dans une acception stricte de cette règle énonçant l’effet relatif des contrats, toute personne extérieure ne devrait dès lors pas pouvoir en tirer parti car elle n’est nullement concernée. La Cour de cassation a même pu abonder en ce sens [1] au commencement de sa réflexion sur ce sujet. Cette conception doit cependant être relativisée dans la mesure où le tiers au contrat peut être impacté par ce dernier, notamment dans le cadre des chaines ou groupes de contrats.

En effet, l’inexécution ou la mauvaise exécution de l’une des parties de la chaine pourra causer des préjudices en série aux autres acteurs en présence bien qu’ils ne soient pas parties au contrat dont l’exécution de l’obligation est défaillante. La multiplication des schémas complexes a forcé la jurisprudence à prendre en considération le tiers au contrat. Les magistrats de la Cour de cassation vont dans un premier temps autoriser une réparation du tiers lorsqu’il est victime d’une faute commise lors de l’exécution d’un contrat mais tant qu’elle n’est pas de nature contractuelle (« en dehors de tout point de vue contractuel » [2]) , on parlera un temps de « faute détachable du contrat ». Par la suite s’en est suivi une opposition forte entre les thèses respectives de la chambre commerciale de la Cour de cassation (qui continue d’exiger que l’on rapporte un faute de nature délictuelle pour condamner une partie au contrat [3]) et ses chambres civiles bien plus promptes à admettre l’action en responsabilité des tiers pour tout manquement à une simple obligation contractuelle d’une partie [4] (il y avait alors déjà une assimilation des fautes contractuelles et délictuelles). La contradiction au sein de la Cour suprême atteint son paroxysme quand la première chambre civile décide d’assimiler les fautes contractuelle et délictuelle par les arrêts du 18 juillet 2000 et du 13 février 2001.

Le présent arrêt « Myr’Ho » vient donc clore le débat entre les chambres de la Cour de cassation en adoptant une position consacrant la solution des chambres civiles : on confond totalement faute contractuelle et faute délictuelle, de sorte que le tiers n’a pas à rapporter de manquement à une norme de comportement ou à une obligation générale de prudence ou de diligence. Le régime de la faute contractuelle sert au tiers qui peut invoquer une faute délictuelle en cas de manquement à un devoir contractuel, afin d’obtenir réparation. Si la controverse jurisprudentielle s’estompe par cet arrêt après avoir connu une situation d’instabilité et d’incertitudes, il n’en va pas de même avec la controverse doctrinale qui n’a cessé de discuter l’intérêt et l’opportunité d’une telle décision (voir infra). Il semble d’ailleurs que ses détracteurs l’aient emporté, comme en témoigne l’article 1234 de l’avant-projet de réforme du droit de la responsabilité qui est un désaveu cinglant de cette jurisprudence. Le texte prévoit en effet que le tiers au contrat ne peut demander réparation de son préjudice que sur la base de faits générateurs tenant au régime de la responsabilité extracontractuelle. Si ce projet d’article 1234 reprend partiellement la jurisprudence du 6 octobre 2006 en conférant également une nature extracontractuelle à l’action que doit engager le tiers pour obtenir réparation, c’est sur le terrain de fait générateur que cette dernière pourrait se voir altérée. La solution de cet arrêt « Myr’Ho » pourtant bien établie depuis 2006, pourrait donc à terme disparaître sous l’effet d’une modification de la loi si l’avant-projet venait à en rester à son état actuel.

B. Une solution avantageuse à l’égard des tiers

L’assimilation du manquement contractuel à une faute délictuelle provoque une confusion des régimes de responsabilité qui peut certes laisser le juriste perplexe, mais qui autorise une très grande prise en compte des victimes tierces au contrat. En effet, la confusion entre les fautes contractuelle et délictuelle permet au tiers de s’immiscer dans l’exécution du contrat lorsqu’elle lui cause un préjudice par le biais de l’action délictuelle (qui est la seule qui lui est ouverte) mais sur le fondement d‘une faute de nature contractuelle. Par l’instauration de ce mécanisme hybride les juges du Quai de l’Horloge parviennent à assurer de manière convenable le tiers au contrat face aux dommages qui peuvent en découler jusqu’à l’impacter. La visée de la solution parait donc juste et équitable, dans le sens où si la solution retenue par les juges consistait à exiger l’application pure et simple des conditions de la responsabilité contractuelle il aurait été impossible dans de nombreux cas pour le tiers d’obtenir réparation (étant donné que l’inexécution ou la mauvaise exécution d’un contrat ne constitue que rarement une entrave à une obligation générale de prudence ou de diligence). La solution apportée tourne bel et bien à l’avantage des tiers, qui n’ont désormais plus à rapporter la preuve d’une faute autre que le manquement contractuel. Mais dans une mesure qui peut aussi poser question, comme cela sera envisagé ultérieurement.

Par ailleurs, en admettant l’action du tiers l’arrêt « Myr’Ho » ouvre la voie à l’élargissement du nombre de personnes en capacité d’agir en raison d’un manquement à une obligation purement contractuelle. Cette jurisprudence ouvre la voie à de nouveaux cas d’indemnisation au profit des tiers, en témoigne la jurisprudence, qui a par exemple autorisé la réparation des cautions d’un assuré pour une faute de l’assureur qui avait tardé à payer l’indemnité d’assurance suite à la mise en liquidation d’un fonds endommagé par un incendie, ce qui était constitutif d’une faute [5]. La caution s’était alors prévalu de la faute contractuelle de l’assureur afin d’obtenir réparation et avait obtenu raison devant les juges de la Cour de cassation. Cela démontre à quel point la jurisprudence « Myr’Ho » a permis l’ouverture de la réparation aux tiers victimes d’un manquement contractuel. Ses implications sont aussi nombreuses qu’importante sur le champ de la responsabilité civile.

Il convient de relever à ce stade que dans certains cas, le tiers-victime peut même jouir d’une plus grande protection face à une inexécution contractuelle que la partie au contrat elle-même. « […] la soumission de l’action en réparation au régime délictuel peut en cela aboutir paradoxalement à mieux traiter le tiers que le créancier au profit duquel l’obligation avait été acceptée par le débiteur » dans les contrats comportant des clauses limitatives ou attributives de responsabilité, des clauses d’attribution de compétence, etc. comme le relève le professeur Bacache [6]. En effet, la règle instaurée par la Cour de cassation autorise le tiers à changer l’équilibre prévu et voulu dans le contrat, pourtant sensé être la chose des parties, en attrayant celles-ci devant un juge, quand elles auraient pu décider entre elles de l’insertion d’une clause compromissoire dans le contrat par exemple. La possible meilleure protection du tiers que les parties au contrat elles-mêmes témoigne de la puissance de la solution consacrée mais fait en même temps poindre les risques qu’elle comporte : la remise en cause de l’effet relatif des contrats atteint un niveau qui peut choquer, tant la liberté contractuelle semble alors battue en brèche en raison de la protection du tiers, ce qui doit nous amener à nous interroger (voir II. A.).

Le rédacteur de l’avant-projet de réforme en droit de la responsabilité a semblé sensible aux critiques de la doctrine sur la trop grande diminution de la portée de l’effet relatif des contrats et de la protection parfois cause de trouble au sein de l’équilibre contractuel. A ce propos, l’article 1234 du projet prévoit en effet que les tierces parties doivent pour obtenir réparation de leur préjudice, se fonder sur des faits générateurs extérieurs aux simples fautes contractuelles. Il s’agit sans conteste d’un désaveu profond de la jurisprudence « Bootshop » ici commentée et toujours en vigueur, où la confusion des fautes délictuelle et contractuelle permet cette réparation large des tiers-victimes. La solution de l’avant-projet fonde donc sa thèse en tentant de répondre aux critiques adressées à la jurisprudence du 6 octobre 2006.

II. Une solution à la portée contrastée et menacée par l’avant-projet de réforme du droit de la responsabilité

La solution en droit de l’arrêt « Myr’Ho » souffre de lacunes critiquables que l’avant-projet de réforme a vocation à combler (A) ; mais l’avenir de la responsabilité des contractants à l’égard des tiers pose encore question tant la solution actuelle et les perspectives futures du droit de la responsabilité ne semblent pas répondre de manière adéquate au problème de droit posé (B).

A. L’inopportunité en droit de la solution apportée par la Cour de cassation, source de critiques

Bien que la victime soit protégée par le régime de la jurisprudence « Bootshop », l’entorse à l’effet relatif des contrats pose sérieusement problème en termes de sécurité juridique (ce qui a déjà été évoqué précédemment) et constitue l’un des défauts majeurs de la solution consacrée. En outre, la protection des victimes tierces bien que puissamment instaurée, n’est pas pleine et entière : il leur est notamment difficile de prouver une faute délictuelle autonome dans un cadre contractuel, ce qui limite leur champ d’action. En réalité, l’assimilation des fautes délictuelle et contractuelle n’est pas suffisante puisque l’effet relatif des contrats même atténué demeure présent : une faute de nature strictement contractuelle ne permet pas la réparation du tiers victime qui agit par le biais d’une action de nature délictuelle. En effet, la partie au contrat qui ne s’exécute pas ne commet pas un manquement à l’égard de tous (erga omnes) mais à l’égard du seul créancier contractuel de l’obligation (inter partes). Il n’y a pas violation d’une norme générale de comportement. « […] la relativité de la faute contractuelle, combinée avec la nature exclusivement délictuelle de la responsabilité, condamne nécessairement à l’échec l’action du tiers victime de l’inexécution. La faute contractuelle est alors exclusive. […] l’avantage de l’assimilation atteint l’existence même du droit à réparation des victimes lorsque l’obligation violée est strictement contractuelle » [7]. Si bien que le droit à réparation de la victime tierce au contrat est atteint en son sein-même et constitue une lacune importante et indéniable dans le régime mis en place par l’arrêt « Myr’Ho ».

Par ailleurs la responsabilité du débiteur au contrat face aux tiers telle qu’envisagée par l’arrêt du 6 octobre 2006 semble entrer en contradiction avec la théorie doctrinale de l’accessoire qui prévaut dans les chaines de contrat (fondée suite à l’arrêt Besse du 12 juillet 1991). D’après cette dernière, le transfert de propriété d’un bien dans une chaine de contrats entraine le transfert à titre accessoire des actions en garantie et en responsabilité dont le sous-acquéreur peut se prévaloir contre le fabriquant de la chose. Cette chaine fonctionne car il y a un transfert de propriété et entraine de facto que seul le dernier acquéreur dispose de ces actions. Or la solution de jurisprudence ici commentée entre en contradiction avec cette théorie, puisque un sous-acquéreur peut ainsi agir contre les parties des maillons antérieurs de la chaine de contrat, quand bien même il serait un tiers par rapport aux contrats précédents [8]. Il y a donc une contradiction entre la théorie de l’accessoire et l’action ouverte au tiers par la Cour de cassation dans cet arrêt de 2006.

En réaccordant un effet relatif au contrat et à la faute contractuelle, l’avant-projet de réforme par son article 1234 entend répondre à ces critiques par l’instauration d’un régime plus clair fondé sur la seule responsabilité extracontractuelle et en exigeant un fait générateur de responsabilité délictuelle. Les lacunes du droit actuel démontrent que l’arrêt d’octobre 2006 ne permettait donc pas pleinement de répondre de manière cohérente aux questions diverses qui se posent de manière plus large. Une amorce de revirement de jurisprudence traduisant le difficile maintien en l’état de la règle issue de l’arrêt « Bootshop », aurait également été aperçue dans un arrêt de la 3e chambre Civile de la Cour de cassation le 22 octobre 2008 : la cour suprême casse ici un arrêt de cour d’appel qui assimilait totalement une faute contractuelle à une faute de nature délictuelle, apportant ainsi une limitation a la formule générale de l’attendu de 2006 [9].

B. L’avenir possible de la responsabilité des contractants à l’égard des tiers

Comme cela a été évoqué en filigrane tout au long de ce commentaire, l’avant-projet du 29 avril 2016 portant réforme du droit de la responsabilité civile propose de briser pour partie la solution de l’arrêt « Myr’Ho ». Si la nature de l’action accordée à la victime demeure extracontractuelle, l’assimilation des fautes contractuelle et délictuelle n’est pas reprise. Par ailleurs, on vient également de voir que la Cour de cassation elle-même semble plus réservée depuis 2008 sur la portée à accorder à son arrêt d’Assemblée Plénière de 2006. De toute évidence la solution sera modifiée, ou au moins aménagée à moyen terme car en dépit de son esprit protecteur pour les tiers victimes, elle est source de confusion et porteuses de failles qui ne peuvent lui permettre de subsister à terme. En fait, son assimilation totale entre les fautes que l’on croyait être un moyen efficace de résolution des difficultés, s’est avéré être un trompe l’œil : en restant à mi-chemin entre la responsabilité délictuelle dont on prend le régime et la responsabilité contractuelle dont on utilise le fait générateur, le casse-tête juridique ne trouve pas d’issue.

Cependant la règle portée par l’avant-projet, bien que plus claire dans les choix qu’elle opère, comporte également des risques de lacune. « Renversant la jurisprudence relative à la confusion des fautes, le projet consacre en revanche son approche restrictive des tiers aptes à agir sur le terrain contractuel et laisse ainsi sans possibilité aucune d’indemnisation un grand nombre de victimes de l’inexécution d’un contrat » [10]. La difficile preuve d’un manquement à une norme générale de comportement au sein d’un contrat pour les tiers victimes devrait jouer en leur défaveur, ce qui constituerait alors un recul dans la prise en compte des dommages que peuvent générer les contrats. On relèvera toutefois que les faits générateurs visés par cet article 1234 sont malgré tout plutôt nombreux et englobent aussi bien le fait des choses (article 1243), que le fait d’autrui (article 1245), les troubles de voisinage (article 1244) en plus de la traditionnelle « violation d’une règle de conduite imposée par la loi ou manquement au devoir général de prudence ou de diligence » (article 1242). De plus, comme peut déjà l’être la jurisprudence (voir supra), l’avant-projet n’apparait pas pleinement compatible avec la théorie doctrinale de l’accessoire au sein des chaines de contrats.

Finalement, si une action mixte de nature délictuelle mais fondée sur une faute contractuelle ne permet pas de fonder un régime satisfaisant, pas plus qu’une action exclusivement fondée sur la responsabilité délictuelle, la solution se trouve peut-être dans la responsabilité contractuelle [11]. L’idée serait d’ouvrir au tiers une action de nature contractuelle spéciale, qui lui permettrait de se fonder sur une faute contractuelle lui causant un préjudice afin d’en obtenir réparation, sans jamais passer par le truchement de la responsabilité délictuelle. Alors que les entorses au principe de l’effet relatif des contrats ont été nombreuses au cours des dernières années, une telle action pourrait apparaître mal venue. Elle est pourtant une solution bien plus efficace pour préserver l’équilibre du contrat voulu par les parties puisque le tiers tout en demeurant extérieur à la relation contractuelle, pourrait être soumis aux clauses prévues au sein de l’accord entre les parties. Dans un même groupe de contrats, une telle action ferait parfaitement sens dans la mesure où l’objet d’une obligation contractuelle dépend souvent d’une obligation antérieure située dans un contrat différent : de fait le tiers même s’il n’est pas partie aux accords précédent le sien, se trouve concerné et donc légitime à agir. Une telle approche aurait le mérite de proposer un régime plus compréhensible et plus respectueux du contrat tout en étant ouvert largement aux chaines de contrats même non translatives de propriété.

Ce n’est néanmoins pas l’approche choisie à ce jour tant par la jurisprudence que par l’avant-projet de réforme, qui pourrait cependant être amené à évoluer sous la pression des actuels débats doctrinaux vifs à son sujet. Le professeur Borghetti écrit au sujet de cet avant-projet qu’il « manque d’unité conceptuelle, [ce] qui risque de rejaillir en outre sur le pan technique à travers divers problèmes d’articulation ou de conciliation entre des règles relevant de philosophies distinctes » [12]. Une évolution de certaines de ses dispositions pourrait donc être amenée à intervenir, ce qui serait particulièrement souhaitable dans le cadre de l’action en responsabilité du tiers victime d’un préjudice résultant d’un manquement à une obligation contractuelle.

Nicolas Crozier, Avocat au Barreau de Paris

[1Arrêt de la Cour de cassation, chambre civile, le 27 juillet 1869

[2Cour de cassation 1re chambre civile, 7 novembre 1962

[3Cour de cassation chambre commerciale, le 17 juin 1997

[4Cour de cassation 1re chambre civile, le 18 juillet 2000 et Cour de cassation. 3e chambre civile, 5 février 1992

[5Cour de cassation 2e chambre civile, 6 février 2014

[6Relativité de la faute contractuelle et responsabilité des parties à l’égard des tiers, M. Bacache, in Recueil Dalloz 2016 p.1454

[7Ibid

[8La responsabilité du débiteur à l’égard du tiers auquel il a causé un dommage en manquant à son obligation contractuelle, Geneviève Viney, Recueil Dalloz 2006 p. 2825

[9Voir en ce sens : Identité des fautes contractuelle et délictuelle : serait-ce l’amorce d’un recul ?, Patrice Jourdain, RTD civ. 2009, Page 121

[10Ibid note 6

[11Ibid

[12L’avant-projet de réforme de la responsabilité civile, Jean-Sébastien Borghetti, Dalloz 2016, Page 1386