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Affaire Théo à Aulnay-sous-Bois : comment qualifier les faits d’un point de vue juridique ? Par Mostafa Amda.
Parution : mardi 28 février 2017
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L’affaire Théo semblait au premier abord placer le litige dans une énième interpellation qui aurait « mal tourné » selon les mots des premières conclusions de l’enquête de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN).
Mais très vite, c’est sur la qualification juridique des faits que le débat s’est porté.

La requalification des faits par le juge d’instruction

Dans son témoignage après son interpellation brutale par quatre policiers à Aulnay-sous-Bois le 2 février, Théo affirmait que l’un des policiers lui avait « enfoncé [une matraque] dans les fesses volontairement ». Gravement blessé au niveau de la zone rectale, le jeune homme de 22 ans a dû être opéré et s’est vu prescrire 60 jours d’incapacité totale de travail.
La qualification des faits en viol n’avait pas été retenue dans la synthèse remise par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) au tribunal de grande instance (TGI) de Bobigny trois jours plus tard. L’IGPN avait en effet retenu le chef de violences volontaires en réunion, considérant qu’il n’y avait pas eu « d’intention de commettre un crime sexuel ». Les éléments constitutifs d’un viol étaient par ailleurs « insuffisamment établis », selon la police des polices dont l’avis été suivi par le TGI de Bobigny.
Néanmoins, le policier en question a été mis en examen pour « viol » par le juge d’instruction saisi par le parquet, contrairement à ses trois collègues poursuivis pour « violences volontaires ».
La question de la qualification des faits est primordiale puisqu’elle permet de différencier in fine, un délit d’un crime comme le viol.

Comment la loi définit t-elle le viol ?

Dans l’affaire Théo, la qualification des faits est au centre des débats. Doit-on évoquer des violences volontaires dans ce contexte ou y consacrer la notion de viol au regard des faits juxtaposés au droit ?
Le Code pénal, dans son article 222-23 dispose que « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise, est un viol ». En l’espèce, les analyses médicales avaient conclu à une déchirure au niveau du rectum de près de 10 centimètres. Par ailleurs, les termes de la loi sont volontairement larges en évoquant l’acte de pénétration sexuelle « de quelque nature qu’il soit » pour permettre de palier l’imagination délirante et perverse dont pourrait faire preuve l’agresseur envers sa victime pour prétendre échapper à une mise en examen pour viol.
Mais la défense du policier mis en cause évoquait un tout autre motif, celui du caractère non-intentionnel de l’acte.

Un viol peut-il être non-intentionnel ?

Me Frédéric Gabet, avocat de la défense, a estimé que le juge d’instruction n’avait pas correctement qualifié les faits au motif que « l’élément d’intentionnalité qui doit être caractérisé pour que le viol puisse être retenu » faisait défaut. Cet argument est pour le moins surprenant puisqu’en droit, un viol « non intentionnel » est un non-sens. L’argumentation de la défense consisterait ainsi à penser qu’un viol puisse être non délibéré, presque accidentel.
Néanmoins le débat semble être plus subtil. En effet, lorsque le parquet considère dans son communiqué de presse que l’élément intentionnel fait défaut, il met probablement en parallèle cette éventuelle non-intentionnalité avec l’absence de volonté de commettre un acte à caractère sexuel et non pas nécessairement avec l’absence d’intention de pénétrer l’individu avec une matraque, d’où la question de savoir si le viol se détermine nécessairement par une connotation sexuelle.

Le viol nécessite t-il une connotation sexuelle ?

Par définition, nous l’avons vu, un viol inclut un « acte de pénétration sexuelle ». Dans l’affaire Théo, la question qui se pose est celle se savoir si l’intromission d’une matraque dans l’anus plutôt que dans un sexe puisse écarter la qualification de viol. À notre sens, aucune forme d’acte de pénétration sexuelle n’est exclue du champ d’application du texte. En outre, ni la finalité sexuelle de l’acte ni la recherche de plaisir du mis en cause n’ont d’incidence sur la qualification du viol.

Néanmoins, la jurisprudence a adopté par le passé des positions en la matière, pour le moins étonnantes, défendant ainsi une conception subjective du viol.
En 1995, la Cour de cassation avait considéré comme viol le fait qu’une jeune femme ait sodomisé un homme avec un manche de pioche recouvert d’un préservatif, en insistant sur la présence du préservatif « en ce qu’elle permet d’affirmer que l’acte présentait une connotation sexuelle indéniable » (Chambre criminelle, 6 décembre 1995, n°95-84811). En revanche, dans un arrêt rendu en 1993, la qualification de viol n’avait pas été retenue par la Cour de cassation quand la victime, un jeune garçon, s’était vu introduire un bâton dans l’anus. (Chambre criminelle, 9 décembre 1993, n°93-81004). Les auteurs des faits furent déclarés coupables de torture et d’actes de barbarie, mais «  l’idée était qu’en lui-même le bâton n’avait pas de connotation sexuelle et avait été introduit dans un organe qui n’est pas sexuel », explique Laurence Leturmy, professeure de droit privé et sciences criminelles à l’université de Poitiers.
Cette conception subjective du viol, et donc restrictive puisque nécessitant une connotation sexuelle, a été fortement dénoncée par l’avocat de Théo, Me Dupond-Moretti, selon lequel « le procureur a inventé la notion d’intromission de la matraque qui ne serait pas de nature sexuelle ». L’avocat de Théo ajoute que ce dernier « l’a senti comme un viol ».

Cette affaire, qui mettra sans doute plusieurs années avant d’aboutir à un jugement définitif, sera l’occasion inouïe pour les juges de consacrer définitivement la conception objective du viol, donnant ainsi aux termes de l’article 222-23 du Code pénal toute l’amplitude de son champ d’application.
Mais au delà de la qualification des faits, le sujet est éminemment politique puisque beaucoup de citoyens ont le sentiment que les bavures policières restent impunies. Cette affaire ne doit assurément pas s’inscrire dans un climat de défiance vis-à-vis de la justice, déjà délétère à l’égard de la police.

Mostafa Amda Droit des affaires, droit international
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