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Entreprise et notification du licenciement : savoir et devoir faire preuve d’... « adresse ». Par Jean-Louis Denier, Juriste.
Parution : mardi 28 mars 2017
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La jurisprudence sociale sécrète un risque d’entreprise dont les employeurs n’ont guère conscience : le risque « adressage ». Il se manifeste à l’occasion d’une procédure de licenciement. Un défaut relatif à l’adresse mentionnée sur le courrier de notification ? Un libellé imprécis ? Un routage du courrier dans une mauvaise direction ... ? Et le licenciement devient, non pas irrégulier, mais bien dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Tout commence par une prise de position récente des hauts juges : Cass. Soc. 22 février 2017, n° 15-18.475.

Issue d’une formation restreinte, privée des honneurs du communiqué, cette décision semble revêtir les atours d’une jurisprudence secondaire limitée aux aspects particuliers de son espèce

Est-ce vraiment le cas ... ?

Circonstances de l’espèce : un salarié en cours de licenciement élit domicile chez son avocat

Un employeur entreprend de licencier un salarié, le plaçant, notamment, en mise à pied conservatoire.

En réaction au contexte disciplinaire, ledit salarié décide de : 1°) s’assurer les services d’un avocat. 2°) élire domicile au sein de son cabinet.

Par courrier - reçu avant l’envoi de la lettre de licenciement – l’employeur est informé de tout ce qui précède et informé, de surcroît, du fait que le salarié demande expressément que toute missive, en lien avec sa collaboration contractuelle de travail, lui soit notifiée chez son avocat et chez ce dernier exclusivement.

L’employeur fait fi des informations reçues et ignore la demande de son collaborateur : il notifie – en recommandé avec AR - une décision de licenciement à l’adresse habituelle du salarié, lettre qui, par la suite, lui est retournée par la Poste assortie de la mention « non réclamée ».

Poursuivant dans sa lancée et ayant toute confiance dans le licenciement opéré, ledit employeur délivre, alors et pour (en) finir, les documents de fin de contrat (dont certificat de travail et attestation pôle-emploi)

S’en suit un contentieux. Lequel chemine de juridictions en juridictions pour s’achever devant la chambre sociale de la Cour de Cassation. Celle-ci désavoue l’employeur. Et la portée de ce désaveu est loin d’être anodine : car la remise en cause, loin de se limiter aux seuls aspects procéduraux (avec le reproche d’un simple défaut de forme), va jusqu’à concerner la décision de rupture elle-même et sa licéité.

Au final, le licenciement se voit privé de cause réelle et sérieuse avec toutes conséquences de droit et ... financières.

Pourquoi ?

Pour une raison essentielle : matériellement, la rupture du contrat de travail a résulté de la seule remise de documents sociaux puisque l’ entreprise n’a pas été en mesure de démontrer que le courrier de licenciement était bien parvenu au salarié destinataire (avec pour effet de priver ce dernier de l’opportunité de prendre effectivement connaissance du ou des motifs de la rupture de son contrat).

En adoptant le seul point de vue de l’entreprise, l’on se trouve, avec ce type de situation, en présence d’un concours de circonstances aux allures de piège redoutable. Il suffit d’un imbroglio mêlant, et déficience en matière d’adressage et routage de courrier, et remise imprudente de documents sociaux, pour aboutir, au final, à un licenciement dont on estime qu’il est privé de cause réelle et sérieuse peu importe les faits à l’origine de la décision de rupture.

Notification du licenciement par l’employeur : satisfaire a une obligation légale, honorer une obligation de résultat

Une fois la décision de licenciement acquise, l’employeur doit en faire part au salarié, c’est-à-dire la porter effectivement à sa connaissance.

- Notifier un licenciement : nature et portée de l’exigence légale

Matériellement, l’on a affaire à une action de communication que l’employeur est tenu d’opérer. Cette action répond à une exigence légale (C. Trav. Art. L. 1232-6), exigence contraignante dans la mesure où son exécution mais, surtout, sa réussite conditionnent la licéité de la rupture.

Car la notification d’une décision de licenciement ressort clairement de la catégorie de l’obligation de résultat : le salarié doit impérativement recevoir le courrier de licenciement afin d’être mis en mesure de prendre connaissance de son contenu ; par conséquent, l’employeur doit donc garantir , et le bon acheminement du courrier, et sa remise effective au (bon) destinataire.

Illustration  : peu importe tel ou tel cafouillage en partie imputable à la Poste, peu importe tel ou tel tentative de rattrapage d’un mauvais acheminement initial, le courrier notifiant le licenciement doit être remis au (bon) destinataire et remis en temps et en heure sauf à rendre la rupture illicite (notamment si le licenciement est disciplinaire : Cass. Soc. 26 octobre 2004, n° 02-45009).

- Notifier un licenciement : charge de la preuve du respect de l’obligation légale

En cas de problème ou différend, la preuve du respect de l’obligation de notification (réussie) appartient au seul employeur .

La Cour de Cassation ne dit rien d’autre dans l’arrêt de février 2017, point de départ de notre propos : « Mais attendu que la cour d’appel, qui a relevé que l’

employeur n’établissait pas

que la lettre de licenciement ait été portée à la connaissance du salarié (...) ».

Seul et unique réconfort pour l’employeur, la démonstration du bon acheminement et/ou de la remise effective peut être opérée par tous modes et moyen s dont des attestations et témoignages, y compris le témoignage d’un cadre de l’entreprise (Cass. Soc. 29 septembre 2014, n° 12-26932).

A noter : renversement de la charge de la preuvelorsque le salarié prétend ne pas avoir reçu de courrier de licenciement alors que l’employeur produit un envoi en recommandé avec AR, revient au salarié le devoir d’établir que la notification du licenciement n’a pas été effective (Cass. Soc. 5 novembre 2014, n° 13-18663).

Notification du licenciement par l’employeur : trois précautions a observer afin de satisfaire a l’obligation de résultat

Nombre d’arrêts et de commentaires se focalisent surtout sur l’obligation de motivation de la lettre de licenciement. Ce qui est compréhensible car toute déficience en la matière (imprécision – approximation) invalide la décision patronale de rupture (ex. : Cas. Soc. 5 juillet 2000, n° 98-42889).

Pour autant, certains aspects, bien que pratiques donc terre-à-terre, ne doivent cependant, ni être omis, ni être sous-estimés, considération faite de leur importance et impact.

- Décision de licencier - formalisation : écrire sur un support « papier »

Résultante de l’article L. 1232-6 précité, licencier revient, en tout premier lieu, à écrire, écrire une lettre, écrire une lettre sur un support à base de papier. Ce fondamental basique doit être rappelé : à défaut de consignation par écrit du ou des motif(s) et explication(s) fondant et explicitant la décision de licenciement, la mesure prise est, alors, systématiquement réputée être privée de cause réelle et sérieuse (Cass. Soc. 23 juin 1998, n° 96-41688).

Eventuel impact des technologies et de la dématérialisation (courriel – texto)certes, il faut écrire, mais faut-il absolument noircir une feuille de papier ? L’évolution des technologies de la communication permet, d’ores et déjà, de rédiger puis envoyer des mails et autres SMS, ce qui pose la question de l’utilisation de ces outils numériques en substitut de l’habituelle feuille de papier. La Cour de Cassation semble l’admettre ... . Dans une affaire mettant en cause l’utilisation du mail, elle a décidé que ledit courriel pouvait constituer - en tant que tel, donc es-qualité de support électronique - une lettre de sanction (Cass. Soc. 26 mai 2010, n° 08-42893). Il s’agissait, toutefois, d’un (simple) avertissement. Qu’en serait-il en cas de licenciement avec, à la clef, le contexte spécifique de la rupture du contrat de travail ? La question n’est pas tranchée ... . D’autant moins que l’employeur doit (toujours) être en mesure de prouver le bon acheminement du contenu numérique et sa prise de connaissance effective par le salarié.

- Décision de licencier – modalité de notification : choisir le bon moyen, choisir le bon « vecteur »

Avatar de l’obligation de résultat mise en évidence dans les développements qui précèdent, le mode d’acheminement du courrier participe de la réussite – et donc de la licéité – de la rupture du contrat de travail sous forme de licenciement.

Le recommandé avec AR : exigence légale ou simple possibilité ? – le Code du Travail ne vise qu’un seul mode d’acheminement et/ou remise du courrier de licenciement au salarié, à savoir ... l’utilisation du recommandé avec accusé de réception. Cette modalité de notification bénéficie, en effet, d’une présomption favorable, celle de pouvoir rendre incontestables existence et date du licenciement par le fait de prévenir tout différend et/ou incertitude sur le moment exact de la (première) présentation et remise de la lettre de rupture au salarié (Cass. Soc. 15 décembre 1999, n° 97-44431 – Cass Soc. 16 juin 2009, n° 08-40722). En dehors des controverses liées au licenciement en tant qu’acte, le recommandé permet, également, de rendre possible - et de valider - la conclusion d’une transaction (nécessairement postérieure à l’effectivité de la rupture) ; ce que la notification en courrier simple ou la remise en main propre contre décharge sont, de l’opinion des hauts juges, impropres à accomplir (Cass. Soc. 18 février 2003, n° 00-42948 – Cass. Soc. 13 juin 2007, n° 06-42498).

Impact de la notification en courrier simple  : retour à la case « preuve » - si, par lui-même, ce type de notification n’invalide pas forcément la décision de licenciement – tant au niveau de la forme que du fond – encore faut-il que l’employeur soit en mesure de démontrer, sans contradiction possible, que le courrier de rupture a bien été délivré au salarié et que celui-ci a eu connaissance de son contenu (Cass. Soc. 19 mars 1987, n° 83-44687).

Une première alternative : la remise en main propre contre décharge – cette méthode est un premier substitut - valable et validé - au recommandé avec AR (Cass. Soc. 7 juillet 2010, n° 08-45139). L’entreprise apportera le meilleur soin à la rédaction des date et mentions figurant sur chacun des exemplaires des deux courriers de notification (dont un conservé par et pour elle à titre de preuve). Il conviendra, notamment, de bien mettre en exergue le fait que le salarié déclare , et accepter le principe de la remise d’un exemplaire, et entériner l’existence et l’effectivité de cette remise , laquelle matérialise et témoigne de la réussite de l’opération de notification.

Une seconde alternative : la signification par voie d’huissier – le recours aux services de ce type d’officier ministériel est un autre substitut - valable et validé - au recommandé avec AR (Cass. Soc. 8 novembre 1978, n° 77-40249). L’action de remise du courrier est authentifiée par le fait du statut, des pouvoirs et prérogatives dont jouit l’officier ministériel.

Officialisation de la notification par huissier : limites de la formule et de sa fiabilité certes, la déclaration - de remise au salarié d’un exemplaire du courrier de licenciement - par l’officier ministériel fait foi (foi de l’effectivité de cette remise donc de la réussite de l’opération de notification). Mais jusqu’à un certain point seulement ... . Dans l’hypothèse d’une incertitude ou d’un doute relatif à l’exactitude de l’adresse où doit être opérée la signification et en l’absence de tout contact direct avec le salarié destinataire, l’huissier ne saurait se contenter d’un simple dépôt de lettre (signalant son passage), et dans telle boite aux lettres de tel bâtiment, et en mairie du lieu de situation dudit édifice. Il doit, au préalable, effectuer un certain nombre de diligences (consignées et décrites dans son acte) démontrant qu’il a recherché effectivement le destinataire du courrier sur tout ou partie du territoire français. A défaut, la signification peut encourir le reproche de la légèreté et s’exposer, par conséquent, à nullité (Cass. Civ. 2ème 20 mai 2010, n° 09-65434 : par analogie avec une signification remise en cause à l’occasion d’une opération de saisie).

- Décision de licencier – sécurisation préventive de la notification : maîtrise des données et du processus

L’exercice – parce qu’il relève de la pure administration RH – n’est, certes, guère passionnant. En tout cas, il est essentiel : dans la mesure où la lettre de licenciement doit être impérativement délivrée et remise au salarié (avec un taux de réussite obligatoire de 100 %), le « management » de l’adressage doit, par conséquent, être optimal.

Bonne adresse : évaluation / vérification / certitude – il est, ici, question de méthode et prudence car, avant tout démarrage d’une procédure de licenciement, l’entreprise doit procéder à vérification. L’exercice porte sur les données postales et domiciliaires du salarié. Plusieurs questions doivent être posées : l’adresse (du salarié) connue de l’entreprise est-elle la bonne ? Cette adresse a-t-elle changé, peut-elle changer ? Les coordonnées postales référencées sont-elles fiables et acquises ... ? Cela n’est pas un pur exercice théorique car bien des salariés subissent les affres de la vie (divorce, séparation, maladie, incarcération, décès de conjoint, etc.), toutes situations pouvant impacter et modifier, directement ou indirectement, une géographie domiciliaire. A ce propos, il convient de noter que la notification du licenciement produit effet – et se trouve validée – dés lors qu’elle est opérée à la seule adresse du salarié connue par l’employeur, de sorte que la responsabilité de l’entreprise ne peut être mise en cause - à travers l’invalidation d’une décision de licenciement - si le salarié a changé d’adresse entre le jour de la convocation à entretien préalable et celui de l’envoi du courrier de licenciement, changement opéré sans transmission d’une quelconque information à l’employeur (Cass. Soc. 26 juin 1986, no 84-40085).

Adressage : rigueur nécessaire – un autre détail importe, celui des mentions et libellé relatifs au destinataire et/ou à son adresse. Ce type d’exercice rédactionnel est sans doute basique mais réclame, néanmoins, attention et rigueur. Car, en effet, le moindre défaut profite au salarié : une erreur de prénom sur l’enveloppe – suffisante pour perturber la remise du recommandé – et le licenciement devient sans cause réelle et sérieuse (Cass. Soc. 26 oct. 2004, no 02-45.009) ; une erreur de coordonnées provoquant le routage du courrier vers une adresse erronée et il en va de même (Cass. Soc. 7 juillet 2004, no 02-43.100).

Adressage : l’obligation de bonne foi de l’employeur si l’entreprise n’a pas, passivement, le droit à l’erreur, cela se vérifie encore plus quand l’erreur est active et volontaire. En la matière, l’obligation de résultat se double d’une obligation de bonne foi sachant que l’employeur ne peut, sciemment, envoyer un courrier de licenciement vers une adresse qu’il sait ne pas correspondre au lieu de résidence effective du salarié (Cass. Soc. 14 févr. 2007, no 04-45.806) ou vers un centre de détention pénitentiaire (Cass. Soc., 21 janv. 1988, no 84-45.016), la manœuvre ayant pour finalité de donner l’illusion du respect de l’exigence de notification tout en ne permettant pas une prise de connaissance effective du contenu du courrier par le salarié.

Choix du destinataire : le salarié concerné et personne d’autre – la démarche de notification étant tout autant légale que contractuelle – puisqu’il s’agit d’opérer une rupture de contrat – seul le salarié concerné est, de par sa qualité de partie au contrat de travail, destinataire du courrier de licenciement. Par conséquent, l’ avocat du salarié ne peut pas être le destinataire effectif de la lettre de licenciement du salarié quand bien même la relation client <=> avocat (Cass. Soc. 30 novembre 1994, no 93-42.184).

Apports du présent arrêt

1. Adresse et acheminement du courrier : ignorer les instructions du salarié (ici = élection de domicile) rejaillit sur la validité intrinsèque de la décision de licenciement

2. Timing de délivrance des documents de fin de contrat : remettre hâtivement un certificat de travail et/ou une attestation Pôle-emploi en ignorant ou ne prenant pas en compte un incident ou un retard d’acheminement du courrier expose l’entreprise à risque.

3. Méthode  :

=> process de notification du licenciement : en cas de doute et/ou incertitude relatifs à une adresse, il convient, ou de multiplier des notifications simultanées et parallèles en des lieux différents, ou de missionner un huissier en lui demandant d’opérer toutes diligences en la matière (dont des recherches d’adresses).

=> process de gestion de sortie du salarié : l’entreprise doit s’interdire toute remise hâtive de documents sociaux (pour un cas analogue en matière de rupture conventionnelle) et acquérir, avant toute délivrance de ces documents, la certitude de l’effectivité de la remise du courrier de licenciement à la bonne personne et à la bonne adresse.

Particularité du présent cas : ne pas confondre élection de domicile (par le salarié) au sein d’un cabinet d’avocat et notification du courrier à l’avocat lui-même, cela peut tourner au quiproquo fatal. La notification doit donc être opérée exclusivement à destination du seul salarié , ce qui implique une rédaction (lettre + enveloppe) où il est indiqué clairement que M. ou Mme X se trouve, pour l’occasion, chez ou au sein du cabinet de Me Y, en raison d’une élection de domicile résultant de son seul choix.

Jean-Louis Denier Juriste d'entreprise - Juriste en droit social
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