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Quel rôle pour le juriste dans le débat de société ? Par Thibault Turchet, Juriste.
Parution : vendredi 31 mars 2017
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Que l’on apprécie vivre dans un cadre ou pas, et que l’on aime ce cadre ou pas, la vue d’une bibliothèque universitaire conduira tout un chacun à constater que la règle de droit est omniprésente dans notre société, et régit chaque rapport social et économique. C’est d’ailleurs un élément que l’on oublie facilement : le droit est une science sociale. Il en découle que c’est une science certes, mais une science de la cité.

Cela étant dit, il s’agit de mettre les mains dans le cambouis, en particulier dans l’écho (ou le fracas ?) que constituent les débats de société et présentement, l’élection présidentielle. Quel rôle détient le juriste dans un tel débat, porté à son acmé notamment en période électorale ?

Cet article s’inscrit dans le cadre de notre chronique régulière valorisant le rôle d’acteur de la société que le juriste peut avoir, au-delà de son métier spécifique. Retrouvez les autres chroniques sur ce sujet en bas d’article.

Le juriste, encrage dans le « vrai » face aux Hommes politiques.

Le juriste (indifféremment du métier qu’il exerce) est finalement un expert comme un autre. Il prend toute son étoffe dans le cadre du débat de société pour rappeler à tous et en particulier aux candidats en position de proposer des modifications du droit, ce que dit vraiment le droit positif.

Il est tout à fait frappant d’observer le déchainement des propositions de modifier les lois et toutes les règles de droit au cours des élections présidentielles. Pourtant, on observe que très rarement, ce sont des juristes qui sont au micro.
Si quelques personnages politiques bien connus sont parfois avocats de formation, cette « qualité » s’est bien réduite comparé aux précédentes Républiques du XXè siècle, où de nombreux députés étaient eux-mêmes juristes.
De même, peu d’entre eux sont présents sur les plateaux télés ou sur les scènes politiques pour faire part de leurs analyses, avis et propositions.

Le juriste est un expert qui doit parfois rétablir la vérité ou confirmer les constats, pour la qualité et la véracité du débat.

Dans ce contexte et au même titre que les experts économiques qui assiègent les plateaux et journaux, le juriste doit souvent rectifier, préciser ou confirmer le diagnostic fait par les Hommes politiques. La Constitution est-elle bien interprétée ? Telle règle du Code du travail est-elle existante ? Telle norme environnementale est-elle vraiment contraignante ? Mais peu nombreux sont ceux qui ont la chance d’avoir le même temps de parole que les économistes.

Le contrôle des discours officiels, s’il ne peut avoir lieu dans les grands médias, est à défaut facilité par le Conseil d’Etat, qui a récemment admis de suspendre une instruction orale donnée par le Ministre de l’environnement en réponse à une question parlementaire (en l’occurrence, instruction de ne pas sanctionner les chasseurs abattant des oies en période d’interdiction - CE, 6 février 2017, n°407349).
Le Conseil a encore plus récemment accepté d’annuler la « décision révélée par le discours » prononcé par le Premier ministre le 29 août 2014 de ne mettre en œuvre l’encadrement des loyers qu’à Paris, à titre expérimental (CE, 15 mars 2017, n°391654).

Alors qu’à l’occasion du débat de société, une véritable frénésie se déchaîne pour ou contre de nombreuses règles de droit, le juriste est sans nul doute un expert qui doit parfois rétablir la vérité ou confirmer les constats, pour la qualité et la véracité du débat.

Le juriste, un sachant aux côtés du citoyen.

Un débat peut-il cependant être « vrai » ?

Peut-être faut-il plutôt parler de « sincérité » ou de « pédagogie » : expliquer est le pendant de savoir. Le juriste est souvent considéré comme un expert peu pédagogue, voire un pédant qui ne prend pas la peine de se rendre clair.

Et pourtant, disposer d’un savoir précis et pointu comporte aussi une responsabilité : rendre ce savoir accessible, en particulier aux citoyens afin de décrypter les propos tenus dans le cadre du débat de société. Les présupposé juridiques affirmés par tel ou tel candidat sont souvent trop peu rappelés au grand public, au même titre que l’héritage historique qui nous amené à la société dans laquelle nous vivons.

Disposer d’un savoir précis et pointu comporte une responsabilité : rendre ce savoir accessible.

Qu’il s’agisse de décrypter le droit du travail, les droits sociaux, le droit pénal, le droit international, le droit de l’environnement... les juristes devraient, afin de rendre le débat plus sincère, s’atteler à décrypter et décoder le débat, notamment lorsqu’il concerne les règles de droit et leur modification. Et cela dans le but de donner du pouvoir de compréhension aux citoyens.

Au-delà du recadrage des affirmations et propositions douteuses des candidats, le juriste doit s’efforcer d’objectiver le débat grâce à ses connaissances et ses analyses, pour en améliorer la qualité.

Le juriste, un animal politique... qui doit transparence !

Un débat peut-il cependant être « objectif » ?

Il n’est pas aisé de prendre du recul sur telle ou telle proposition puisque chacun, juriste ou pas, a déjà des avis, des suppositions, des propositions à l’esprit. L’Homme est un animal politique, le juriste aussi. Comment dès lors peut-il être crédible, si on le soupçonne de donner un avis biaisé (comme c’est le cas pour les économistes de plateau télé) ?

Il y a d’un côté les grands principes qui, à l’heure actuelle, font relativement consensus : les grands principes du droit pénal, les grandes libertés fondamentales ou encore des exigences environnementales et sociales bien établies.

Et il y a de l’autre : les orientations économiques, les droits sociaux complémentaires à reconnaître ou à supprimer, la politique énergétique, environnementale... autant de sujets sur lesquels chacun dispose déjà, le plus souvent, d’un avis, juristes inclus.

Régulièrement et plus sur le mode de la tribune que de la complémentarité à des propositions des candidats, des avocats, notaires et juristes de tous bords donnent leurs avis : certains sont très « libéraux », d’autres pas. Certains œuvrent pour la protection de l’environnement, d’autres non. Certains sont militants, d’autres sont opportunistes. A l’image des historiens qui sont souvent catalogués « de droite » ou « de gauche », cette « évaluation » est plus rarement faite pour les juristes, ce qui serait pourtant tout à fait fondamental également.

En ce sens, il y a une obligation que chacun devrait s’imposer avant de commenter le débat public d’un point de vue juridique : livrer et clarifier ses propres opinions, afin de permettre à l’audimat de saisir les présupposés qui guident l’analyse. Cela permettrait d’autant plus au grand public de comprendre le point de vue des juristes, parfois objectif, souvent orienté en particulier s’agissant des avocats notoirement connus. Pour être tout à fait clair, peu importe le sens de l’orientation, c’est la déclaration d’une telle orientation qui importe.

Le juriste est par conséquent un animal politique qui, le plus souvent, oublie (ou ignore ?) que les règles de droit sont le résultat de décisions politiques, et issues de débats consensuels ou non. Souvent, le juriste ignore lui-même qu’il a des opinions, et que celles-ci influencent nécessairement sa lecture du droit en vigueur et des amendements projetés.

Pour conclure, trois propositions pourraient être formulées à l’adresse du juriste : saisis ta chance, donne ton avis, mais connais-toi toi-même.

Thibault Turchet, Juriste - Zero Waste France