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Drones à usage professionnel : nouvelle réglementation. Par Véronique Rondeau-Abouly, Avocat.
Parution : mercredi 19 avril 2017
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Cette loi porte bien son nom s’agissant d’une loi relative au « renforcement de la sécurité de l’usager des drones civils ».

En effet, la France a acquis une grande compétitivité dans le domaine des drones civils grâce à deux facteurs complémentaires :
- D’abord une filière française économique issue d’un tissu de PME particulièrement dynamiques et visionnaires sur l’activité aéronautique,
- Le bénéfice d’une législation claire pour l’activité issue des drones civils, notamment par deux arrêtés du 17/12/2015 définissant la réglementation pour l’usage des drones :

Ces deux arrêtés sont complétés par la loi du 24 octobre 2016 publiée au JO du 25/10/2016 dont certaines dispositions ne s’appliqueront qu’à compter de juillet 2018 pour les nouveaux appareils et au 1er janvier 2019 pour les drones déjà en circulation de plus de 800 grammes.

Les textes applicables :
- Les deux arrêtés du 17/12/2015,
Loi du 24/10/2016.

Une nouvelle loi, pourquoi ?

Un bref rappel de la finalité poursuivie par le législateur de 2016 permettra de mieux comprendre la finalité des nouveaux textes.

Tout a commencé en effet par la loi du 2 juin 2015 relative au renforcement de la protection des installations civiles abritant des matières nucléaires. Cette loi a renforcé la répression des intrusions sur les sites nucléaires en ne traitant que des intrusions terrestres.
Or, c’était oublier qu’au regard du caractère particulièrement dynamique de l’usage des drones civils à usage professionnel ou amateur en France que les intrusions suite à des maladresses ou la malveillance peuvent être aussi aériennes.

En tout cas 2015 a vu se multiplier des incidents liés à l’usage de drones soit :
- Par survol de sites sensibles,
- Par survol illicite à proximité d’aéroports avec d’ailleurs des incidents à proximité d’avions de ligne en phase d’approche près de Roissy en région parisienne.

Ces multiplications d’incidents ont été constatées aussi sur des aéroports étrangers.

Dans ce contexte, la direction générale de l’aviation civile la DGAC avait répertorié et cela a été souligné d’ailleurs lors des débats au Sénat dans sa séance du 17 mai 2016 que de nombreux incidents fâcheux comme :
- Un drone écrasé en plein centre de Buenos-Aires le 15 août 2015 blessant grièvement deux passants.
- Des incidents multiples sur des aéroports provoquant des retards, voire des fermetures de plateformes aéroportuaires à Paris Charles-de-Gaulle ou à Dubaï.

Et en dehors de ces incidents à proximité des sites sensibles ou aéroports, la menace de drones est maintenant prise en compte lors de l’organisation d’évènements à forte affluence au regard de certains autres événements fâcheux également comme :
- Le 26 janvier 2015, le survol de la maison blanche à Washington par un petit drone ;
- Le 15 septembre 2015, un drone téléguidé a survolé la foule pour se poser lors d’un rassemblement politique à quelques mètres de la chancelière Allemande, Angela Merkel.

Donc, le législateur français considérant que justement un incident grave pourrait entraîner l’arrêt du développement de la filière du drone professionnel très active en France et en pleine expansion, puisque se sont multipliées les activités professionnelles dans les secteurs suivants :
- Prise de vue pour les médias,
- L’inspection de bâtiments et d’infrastructures,
- Supervision des cultures,
- Suivi de chantiers,
- Surveillance de sécurité civile.

Donc, le législateur par la loi du 24 octobre 2016 est venu compléter les deux arrêtés du 17/12/2015 par rapport justement aux préoccupations précitées ci-avant qui expliquent les enjeux des nouvelles dispositions justement pour protéger l’activité professionnelle de l’usage des drones civils spécifiquement en activité particulière.

Voici résumées pour mieux comprendre, les finalités de la nouvelle loi du 24/10/2016.

Avant l’examen des nouveautés, les rappels de la situation juridique

Un bref rappel des conditions d’utilisation des drones puisque les contenus des deux arrêtés du 17/12/2015 sont toujours d’actualité.

Ils ne sont que complétés par la loi du 24 octobre 2016 qui a surtout eu pour objet de renforcer les conditions de sécurité, en créant la responsabilité pénale du télépilote qui n’est pas sans conséquence et qu’il faut anticiper, on le verra ci-après.

Les conditions d’utilisation des aéronefs qui circulent sans personne à bord se distinguent aux termes des deux arrêtés du 17/12/2015 par rapport à trois types d’activité qui sont définis en fonction non pas des aéronefs mais de l’utilisation qui en est faite.

À ce stade, l’activité d’aéromodélisme est définie comme l’utilisation d’un aéronef circulant sans personne à bord à des fins de loisir ou de compétition.

Pour l’activité d’aéromodélisme néanmoins, la prise de vues aériennes reste possible au cours d’un vol dont l’objectif reste le loisir ou la compétition si lorsque les vues réalisées elles ne sont pas exploitées à titre commercial.

Les activités d’expérimentation :

L’aéronef y est utilisé à des fins d’essai ou de contrôle et les vols de démonstration réalisés avec des aéronefs en cours d’expérimentation sont considérés pour la définition des conditions applicables comme relevant de l’activité d’expérimentation.

L’activité particulière :

C’est l’utilisation autre que l’aéromodélisme et l’expérimentation que cette utilisation ait lieu d’ailleurs dans le cadre d’une transaction commerciale ou pas.

Le développement de l’activité économique de l’utilisation du drone civil s’effectue donc dans le cadre de l’activité particulière et est soumis à une réglementation spécifique, notamment, pour l’exploitant.

La loi du 24 octobre 2016 a donné une nouvelle définition du télépilote aux termes des dispositions de l’article L.6214-1 du Code des transports :
Le télépilote est la personne qui contrôle manuellement les évolutions d’un aéronef circulant sans personne à bord ou, dans le cadre d’un vol automatique, la personne qui est en mesure à tout moment d’intervenir sur sa trajectoire ou, dans le cadre d’un vol autonome, la personne qui détermine directement la trajectoire ou les points de passage de cet aéronef.

Désormais, aux termes des dispositions de l’article L.6214-2 du Code des transports, tout télépilote doit avoir suivi une formation visant à lui permettre le contrôle de l’évolution des aéronefs circulant sans personne à bord en sécurité et dans le respect des règles et des conditions d’emploi relatives à la navigation aérienne.

Par contre, cette obligation nouvelle de formation n’est pas requise pour l’utilisation de loisir d’aéronefs circulant sans personne à bord lorsque leur masse est inférieure à un seuil fixé par voie réglementaire, ce seuil ne pouvant être supérieur à 800 grammes.

Par contre, attention l’article L.7214-3 dispose que pour certaines opérations professionnelles effectuées hors vue du pilote, ce dernier doit être détenteur d’un titre dont les modalités de délivrance, de retrait et de suspension sont fixées par décret en Conseil d’État.

Donc, la loi du 24 octobre 2016 professionnalise la fonction de télépilote.

Restent par contre bien sûr inchangées les dispositions de l’annexe 3 de l’arrêté du 17 décembre 2015 relatif à la conception des aéronefs civils qui circulent sans personne à bord pour :
- Les conditions de leur emploi,
- Les capacités requises des personnes qui les utilisent pour le respect des dispositions générales de navigabilité et d’opération.

Les activités particulières obligent l’exploitant à présenter des documents auprès de l’autorité compétente concernant :
- Sa déclaration d’activité de l’exploitant d’un aéronef,
- L’attestation de conception d’aéronef,
- Le manuel d’activité particulière à jour lorsqu’il est applicable aux opérations.

Il importe de souligner que si le Manuel d’Activité Particulière (MAP) n’est pas à jour ou pas respecté, le cas échéant, le donneur d’ordre (client) peut voir sa responsabilité engagée au même titre que l’exploitant.

Et bien sûr, la réglementation reste la même pour les scénarios opérationnels pour les activités particulières avec aéronef télépiloté dont on rappellera d’ailleurs que ces scénarios à respecter ne concernent pas que la prise de vue aérienne à savoir :
- scénario S-1,
- scénario S-2,
- scénario S-3,
- scénario S-4 pour les utilisations des aéronefs sur les zones décrites dans les scénarios S-1 à S-4.

L’on rappelle en effet que pour l’utilisation des aéronefs dans le cadre de ces scénarios S-1 à S-4, il est réservé pour une zone géographique particulière et à des aéronefs d’une certaine dimension (kilos) avec une hauteur de vol à respecter.

Par contre, les nouvelles dispositions en application de la finalité poursuivie par le législateur de pouvoir repérer les drones hostiles a donc soumis les aéronefs circulant sans personne à bord à une obligation d’immatriculation et d’enregistrement des drones qui permettront d’assurer une meilleure traçabilité des appareils et la distinction entre l’immatriculation et l’enregistrement en fonction du poids de l’appareil est prévue par les nouvelles dispositions de l’article L.611-1 du Code des transports.

Immatriculation et enregistrement

Les aéronefs sans personne à bord de plus de 800 grammes sont soumis à la règle consistant en un enregistrement et une immatriculation pour ceux excédant 25 kilos.

De même, les aéronefs supérieurs à 800 grammes sont obligatoirement équipés d’un dispositif de signalement lumineux et d’un dispositif de signalement électronique ou numérique.

Par contre, ces nouvelles dispositions entreront en vigueur le 1er juillet 2018.

Pour les aéronefs circulant sans personne à bord enregistrés en application de l’article L.6111-1 du Code des transports avant le 1er juillet 2018 : cet article ne s’appliquera qu’à compter du 1er janvier 2019.

Peuvent être exemptés de l’obligation de signalement lumineux et électronique les aéronefs circulant sans personne à bord et qui sont opérés dans un cadre agréé et dans des zones identifiées à cet effet.

Signalement lumineux

De même, tout aéronef circulant sans personne à bord et d’une masse supérieure à 800 grammes devra être équipé d’un dispositif de signalement sonore qui se déclenche en cas de perte de contrôle des évolutions de l’appareil ou de perdre le maîtrise de sa trajectoire par son télépilote.

Ces nouvelles dispositions entreront également en vigueur au 1er juillet 2018.

Et à compter du 1er janvier 2019, pour les aéronefs circulant sans personne à bord enregistrés en application de l’article L.6111-1 du Code des transports avant le 1er juillet 2018.

Les mentions informatives d’emballage

On note aussi une nouvelle disposition du Code de la consommation dans l’article L.425-1 où les fabricants ou importateurs d’aéronefs circulant sans personne à bord doivent inclure dans les emballages de leurs produits et de leurs pièces détachées une notice d’information relative à l’usage des aéronefs en rappelant les principes et règles à respecter pour utiliser ces appareils en conformité avec la législation et la réglementation applicables.

Attention

Cette obligation s’impose également au vendeur d’un aéronef d’occasion (donc toute vente d’un drone d’occasion devra faire l’objet de la rédaction d’une notice informative conforme à l’article L.425-1 du Code de la consommation à compter du 24 octobre 2016).

Par contre, la responsabilité pénale des télépilotes est considérablement renforcée par les dispositions des articles L.6232-12 et L.6232-13 du Code des transports.

En effet, aux termes de l’article L.6232-12 du Code des transports :
« sera puni de six mois d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende le fait pour un télépilote de faire survoler par maladresse ou négligence par un aéronef circulant sans personne à bord une zone du territoire français en violation d’une interdiction prononcée dans des conditions prévues au premier alinéa de l’article L.6211-4. »

On signale les dispositions de l’article L.6232-13 qui ne sont pas sans poser des difficultés d’application.

En effet, cet article prévoit que :
Le télépilote reconnu coupable d’une des infractions prévues à l’article L. 6232-12 du présent code ou de l’infraction prévue à l’article 223-1 du Code pénal encourt également la peine complémentaire de confiscation de l’aéronef circulant sans personne à bord qui a servi à commettre l’infraction.

Cela posera des problèmes dans le cas où le télépilote qui a commis l’infraction n’est pas propriétaire de l’aéronef.

Autre difficulté à venir concernant l’application de l’article L.6232-12 sur la responsabilité pénale du télépilote, c’est que les dispositions 3.4 du Manuel d’Activité Particulière (MAP) dans l’annexe de l’arrêté du 17 décembre 2005 relatif à la conception des aéronefs civils qui circulent sans personne à bord précise qu’il y a un portage de responsabilité lorsque plusieurs personnes sont nécessaires pour la mise en œuvre de l’aéronef en sécurité.

Donc, comment devra s’interpréter en termes de responsabilité l’éventuelle maladresse du télépilote par rapport à une panne subite de programmation de l’appareil, notamment par rapport à sa nouvelle responsabilité pénale individuelle ?

Il appartient donc à l’exploitant de l’aéronef d’être particulièrement prudent pour la mise à jour des contrats qu’il a à passer tant avec ses clients qu’avec ses fournisseurs voire même le télépilote en cas de rédaction d’un contrat de travail.

Il en est de même des clients des activités particulières qui peuvent aussi voir leur responsabilité civile engagée si l’exploitant ne respecte pas ses diverses obligations déclaratives (MAP notamment).

Les problématiques posées par cette nouvelle loi ne manqueront pas d’intéresser les juristes spécialisés en la matière.

Maître Véronique Rondeau-Abouly http://www.cabinetrondeauabouly.fr
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