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Négociation des accords d’entreprise ou d’établissement : les apports de la loi Travail. Par Chudakova Valentyna, Juriste.
Parution : lundi 24 avril 2017
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La loi Travail renforce le rôle et la légitimité de la négociation collective. La négociation collective est au cœur de cette réforme de la loi Travail du 8 août 2016. Les apports essentiels de cette loi sont le renforcement de la primauté de l’accord d’entreprise, la généralisation du principe de l’accord majoritaire d’entreprise ou d’établissement, et la validation des accords minoritaires par référendum.

Primauté de l’accord d’entreprise ou d’établissement

Depuis la loi Travail, dans tous les domaines où un accord d’entreprise ou d’établissement peut être négocié, il peut prévoir des dispositions moins favorables que l’accord de branche ou que la loi. Nous parlons du principe de l’inversion de la hiérarchie des normes.

Si la loi Travail est venue bouleverser cette hiérarchie des normes, elle n’a pas pour autant supprimé les dispositions d’ordre public ou encore le socle minimal de garantie.

C’est ainsi que, comme auparavant, l’accord d’entreprise ou d’établissement ne pourra pas déroger aux dispositions d’ordre public absolu. En effet, la rédaction de l’article L. 2251-1 du Code du travail n’a pas été modifiée : « Une convention ou un accord peut comporter des stipulations plus favorables aux salariés que les dispositions légales en vigueur. Ils ne peuvent déroger aux dispositions qui revêtent un caractère d’ordre public ».

De même, l’accord de branche sauvegarde sa supériorité par rapport à l’accord d’entreprise ou d’établissement dans certains domaines :

Le socle minimal de garantie : les accords d’entreprise ou d’établissement ne pouvaient pas comporter de clauses dérogeant à celles des conventions de branche (ou accords professionnels ou interprofessionnels) dans les domaines suivants :
- salaires minima,
- classifications,
- protection sociale complémentaire,
- mutualisation des fonds de la formation professionnelle.

La loi complète ce socle minimal de garanties en y ajoutant la prévention de la pénibilité et l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (C. trav., art. L. 2232-5-1).

L’ordre public conventionnel :

La branche a pour mission de définir l’ordre public conventionnel. Il s’agit des thèmes sur lesquels les conventions et accords d’entreprise ou d’établissement ne peuvent pas être moins favorables que les conventions et accords conclus au niveau de la branche, en dehors des cas dans lesquels la loi prévoit la primauté des accords d’entreprise ou d’établissement.

Dorénavant, chaque branche va devoir définir ses propres règles impératives auxquelles l’entreprise ne pourra pas déroger, en dehors des cas dans lesquels la loi prévoit la primauté des accords d’entreprise. Les branches professionnelles ont deux ans pour définir leur ordre public conventionnel.

Espérons que les branches respectent l’esprit de la loi, en laissant une place centrale aux accords d’entreprise ou d’établissement, permettant ainsi le développement d’un véritable jeu de négociation de proximité, où des salariés acquièrent une place nouvelle dans les entreprises pourvues de délégués syndicaux, puisqu’ils ont la possibilité d’être consultés et entendus sur la conclusion des accords d’entreprise ou d’établissement minoritaires.

Enfin, les accords de groupe pourront eux aussi prévaloir sur l’accord d’entreprise ou d’établissement, à condition de le prévoir expressément.

En effet, les dispositions de l’Article L. 2253-5 - Code du travail prévoient que : « Lorsqu’un accord conclu dans tout ou partie d’un groupe le prévoit expressément, ses stipulations se substituent aux stipulations ayant le même objet des conventions ou accords conclus antérieurement ou postérieurement dans les entreprises ou les établissements compris dans le périmètre de cet accord ».

Les domaines où la loi accorde la primauté à l’accord d’entreprise ou d’établissement sur l’accord de branche sont les suivants : la durée du travail, les congés et les jours fériés.

Quelle place sera en définitive laissée aux accords d’entreprise ou d’établissement ? Conserveront-ils toujours la primauté promise par la loi Travail, auquel cas le principe de l’inversion de la hiérarchie des normes prendra vraisemblablement tout son sens, ou bien serait-ce uniquement des promesses d’une loi ?

Quoi qu’il en soit, dans l’attente de la définition de l’ordre public conventionnel, cette primauté de l’accord d’entreprise ou d’établissement est à nuancée.

Rappelons enfin qu’à défaut d’accord collectif, ce sont les règles supplétives qui s’appliqueront.

Négociation des accords d’entreprise ou d’établissement

La loi Travail a souhaité renforcer la légitimité des accords d’entreprise ou d’établissement, en particulier en posant comme principe la conclusion d’un accord collectif majoritaire.

1/ Principe de l’accord majoritaire

Rappelons tout d’abord qu’avant la loi Travail, la validité d’un accord d’entreprise ou d’établissement était subordonnée (C. trav., art. l’article L2232-12 ancien) :
- à sa signature par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli au moins 30 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d’entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants,
- et à l’absence d’opposition d’une ou de plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés à ces mêmes élections, quel que soit le nombre de votants.

Avec la loi Travail, la validité d’un accord d’entreprise ou d’établissement est subordonnée à sa signature par, d’une part, l’employeur ou son représentant et, d’autre part, une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés, étant précisé que les suffrages pris en compte seront uniquement ceux exprimés en faveur d’organisations représentatives (C. trav., art. L2232-12 du Code de travail).

Il s’agit toujours des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires (CE, DUP ou DP), quel que soit le nombre de votants (C. trav., art. L. 2232-12).

Les seuls suffrages retenus étant ceux exprimés en faveur des organisations syndicales représentatives, c’est-à-dire celles ayant obtenu au moins 10 %. En conséquence, le seuil de 50 % devrait être plus facile à atteindre.

Signalons que le droit d’opposition est quant à lui supprimé.

2/ Accord minoritaire validé par référendum

Afin d’éviter les blocages, les accords minoritaires pourront être validés par le référendum.

Si l’accord a été signé par l’employeur et par des organisations syndicales représentatives ne dépassant pas le seuil de 50 %, mais ayant recueilli plus de 30 % des suffrages exprimés en faveur d’organisations représentatives au 1er tour des élections, l’accord peut être validé par référendum.

La consultation des salariés est organisée (C. trav., art. L. 2232-12) selon le calendrier suivant :

1ère étape : signature de l’accord

Signature de l’accord par l’employeur et par des organisations syndicales représentatives ne dépassant pas le seuil de 50 %, mais ayant recueilli plus de 30 % des suffrages exprimés en faveur d’organisations représentatives au 1er tour des élections.

2ème étape : demande de référendum (délai d’un mois)

La consultation des salariés est organisée à la demande d’une ou plusieurs des organisations signataires ayant recueilli plus de 30 % des suffrages, demande présentée dans un délai d’un mois à compter de la signature de l’accord.

Seules les organisations syndicales signataires de l’accord pourront décider de la consultation des salariés. En conséquence, ni l’employeur, ni les organisations syndicales non signataires, ne pourront être à l’initiative de cette consultation.

3ème étape : délai de huit jours pendant lequel les autres organisations syndicales peuvent signer l’accord minoritaire pour atteindre les 50%

Si, à l’issue d’un délai de huit jours à compter de cette demande, l’accord reste minoritaire, autrement dit, si les éventuelles signatures d’autres organisations n’ont pas permis d’atteindre le taux de 50 % et si les conditions de 30 % sont toujours remplies.

4ème étape : organisation du référendum (délai de 2 mois)

À l’expiration de ce délai de huit jours, l’employeur a deux mois pour organiser le référendum. Celui-ci est réservé aux salariés du ou des établissements couverts par l’accord, qui sont électeurs (remplissant les conditions prévues pour les élections des DP).

La consultation des salariés, qui peut être organisée par voie électronique, se déroule dans le respect des principes généraux du droit électoral et selon les modalités prévues par un protocole spécifique conclu entre l’employeur et les organisations signataires.

Ce protocole doit déterminer (C. trav., art. D.2232-2 et D.2232-3) :
- les conditions de transmission aux salariés du texte de l’accord ;
- le lieu, la date et l’heure du scrutin, étant précisé que la consultation doit obligatoirement avoir lieu pendant le temps de travail ;
- les modalités d’organisation et de déroulement du vote qui doit s’effectuer sous la forme d’un scrutin secret sous enveloppe ou par voie électronique ;
- le texte de la question soumise au vote des salariés ;
- la liste des salariés des établissements couverts par l’accord et susceptibles de voter.

L’accord est valide s’il est approuvé par les salariés à la majorité des suffrages exprimés. Faute d’approbation, l’accord est réputé non écrit (C. trav., art. L. 2232-12).

3/ Accords signés dans les entreprises sans délégués syndicaux : négociation avec les salariés mandatés

Champ d’application élargi :

Avant la loi Travail, négociation avec un ou plusieurs salariés mandatés par une organisation syndicale était limitée aux mesures dont la mise en œuvre est subordonnée par la loi à un accord collectif, à l’exception des accords de méthode en cas de PSE (C. trav., art. L. 2232-24 ancien).

La loi élargit le champ de la négociation ouverte aux salariés mandatés à toutes les mesures pouvant être négociées par accord d’entreprise ou d’établissement sur le fondement du Code du travail (C. trav., art. L. 2232-24 et L. 2232-24-1).

En revanche, les représentants élus du personnel non mandatés conservent un champ de négociation limité aux mesures dont la mise en œuvre est subordonnée par la loi à un accord collectif, à l’exception des accords de méthode en cas de PSE (C. trav., art. L. 2232-22). Comme auparavant, les élus du personnel mandatés peuvent, quant à eux, négocier sur l’ensemble des champs ouverts à la négociation d’entreprise ou d’établissement.

Modalités de négociation

Au préalable, l’employeur doit consulter le ou les représentants élus et mandatés (par un ou plusieurs syndicats) ou le ou les salariés mandatés sur les modalités de la consultation. Il en informe ensuite l’ensemble de ses salariés par tout moyen au plus tard 15 jours avant la consultation (C. trav., art. D 2232-8).

Enfin, en cas de désaccord sur les modalités d’organisation de la consultation retenues par l’employeur, le tribunal d’instance peut être saisi dans un délai de 8 jours suivant l’information des salariés des modalités de la consultation, par le ou les représentants élus du personnel mandatés ou le ou les salariés mandatés. Le tribunal statue en référé et en dernier ressort (C. trav., art. D 2232-9).

4/ Accords signés dans les entreprises sans délégués syndicaux : négociation avec des élus non mandatés

Avant la loi Travail, la validité de ce type d’accord était soumise à deux conditions cumulatives (C. trav., art. 2232-22 ancien) :
- être signé par des membres titulaires élus au CE ou à la DUP ou, à défaut, par des DP titulaires représentant la majorité des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles ;
- être approuvé par une commission paritaire de branche chargée de contrôler la conformité juridique de l’accord.

La loi supprime cette deuxième condition.

Dorénavant, les accords avec des élus non mandatés sont transmis pour information à la commission paritaire de branche. L’accomplissement de cette formalité n’est pas un préalable au dépôt et à l’entrée en vigueur des accords (C. trav., art. L. 2232-22).

Entrée en vigueur progressive

Les nouvelles règles de validité des accords s’appliquent :
- dès l’entrée en vigueur de la loi Travail, soit dès le 10 août 2016, pour les accords de préservation ou de développement de l’emploi ;
- dès le 1er janvier 2017 pour les accords portant sur la durée du travail, les repos et les congés ;
- à compter du 1er septembre 2019 pour les autres accords.

Chudakova Valentyna, Juriste valentinachudo@yahoo.fr
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