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Amis Startupers : en levée de fonds cessez de penser (uniquement) en termes de pourcentage du capital. Par Thomas Clément, Avocat.
Parution : mercredi 26 avril 2017
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S’il est un sujet d’inquiétude régulièrement exprimé par les entrepreneurs en recherche de fonds, c’est bien celui tenant à leur éventuelle dilution à l’issue de l’entrée d’un investisseur au capital de leur société.
Cette crainte, confinant chez certains à la phobie obsessionnelle, retarde fréquemment, voire compromet, la réalisation de levée de fonds du fait d’un désaccord sur le pourcentage qui sera in fine octroyé au nouvel entrant.
Il s’agit pourtant d’un paradigme réducteur qui, comme nous le verrons ci-après, est d’une pertinence toute relative.

Si la conservation de la majorité demeure évidement une préoccupation de bon sens, il n’est en revanche pas toujours avisé de se focaliser sur quelques points de pourcentage de capital au risque de faire abstraction d’autres sujets plus structurants.

Plutôt que d’être obnubilé par le niveau de sa participation, le fondateur doit se demander dans quelles mesures il demeurera l’« ayant droit économique » de sa société.

L’erreur d’analyse procède généralement de ce que l’entrepreneur suppose que son pourcentage du capital correspondra inéluctablement à (i) sa quote-part de la valeur appréhendable de l’entreprise et à (ii) sa quote-part du pouvoir au sein de cette entreprise.

Autrement posé, il lui apparait qu’en conservant 80% du capital de la société :
- il percevra nécessairement 80% des flux appréhendables générés par la société ainsi que 80% du prix de cession en cas de vente ; et
- il disposera d’une majorité lui permettant d’exercer un contrôle effectif sur la société.

Cette compréhension, qui pourrait dans certaines circonstances être exacte, se révèle le plus souvent erronée du fait de l’existence d’une multitude de paramètres complexifiant en réalité l’analyse.

Nous tenterons ci-après d’illustrer, sans exhaustivité, comment le capital peut être dissocié (1) du pouvoir et (2) du contrôle économique de la société, pour ensuite évoquer (3) les leviers éventuels permettant au fondateur d’optimiser sa situation.

I. Le contrôle politique

A. Ie seuil fatidique des 33,33% n’existe pas

Démentons en premier lieu une idée reçue selon laquelle la minorité de blocage au sein d’une société par actions simplifiée (SAS) s’établirait nécessairement à 33,3% du capital.

Ce seuil de 33,3% impératif dans les sociétés anonymes (SA), n’est repris s’agissant des SAS qu’à titre d’usage par analogie avec le régime des SA.

À quelques exceptions près, les statuts d’une SAS fixent librement les seuils de majorité applicables en fonction de la nature des décisions et le seuil de 33,3% est ainsi aménageable.

En deçà 50%, il n’existe ainsi pas de « seuil fatidique » à ne pas laisser franchir par un investisseur dès lors que les statuts sont adaptés en conséquence.

B. L’impact du Pacte

Les règles statutaires sont complétées par nombres de principes afférents à la gouvernance de la société figurant dans le pacte d’associés.

Il est en ce sens d’usage que les investisseurs financiers s’aménagent un droit de véto sur certaines décisions structurantes et ce indépendamment du pourcentage qu’ils détiennent.

Par ce mécanisme, une capacité de blocage décorrélée de la détention capitalistique est donc instaurée.

Il sera dès lors, sur ce sujet, parfaitement indifférent que le fondateur soit parvenu à conserver 90% ou seulement 60% du capital.

C. Toutes les actions ne se valent pas

Ayons par ailleurs à l’esprit que certaines actions dites de « préférence » confèrent à leurs titulaires des droits particuliers (droits de véto, droit de vote double etc.).

Une nouvelle décorrélation pourra donc être opérée entre le pourcentage du capital et les droits financiers et politiques au sein de la société.

L’exemple le plus caricatural étant celui des « Golden Shares » qui octroient en toutes circonstances à leurs titulaires la majorité des droits de vote au sein de tout ou partie des organes de la société.

De tels instruments peuvent conduire à des situations dans lesquelles le titulaire d’une seule « Golden Share » est en mesure d’imposer sa volonté aux autres associés détenant 99,9% du capital.

II. Le contrôle économique

A. Une nouvelle fois, toutes les actions ne se valent pas

A l’instar de ce qui est faisable en matière d’organisation des pouvoirs, les actions de préférences permettent d’appliquer un traitement financier différencié entre les associés, dans la limite de la prohibition des « clauses léonines ».

Les titulaires d’actions de préférence pourront ainsi bénéficier par exemple d’un dividende prioritaire, d’un droit préférentiel sur le boni de liquidation, d’un droit de retrait ou encore d’un dividende indexé sur les résultats d’une filiale ou d’une activité spécifique du groupe (e.g. via la mise en place de « tracking shares »).

B. L’inégalité économique résultant du pacte

Le pacte d’associés ne se limite pas à traiter de la gouvernance et impacte généralement les droits économiques des associés de manière significative.

En particulier, il est d’usage que soit stipulé une clause extrastatutaire dite de « liquidité préférentielle » aux termes de laquelle l’investisseur financier recherchera à sécuriser le remboursement prioritaire de son investissement (dont le montant sera parfois majoré d’un « TRI garanti »).

Une telle clause imposera un système de partage du prix de cession ne se fondant pas uniquement sur les pourcentages respectifs de détention du capital.

D’autres stipulations du pacte peuvent également impacter la valeur qui reviendra in fine aux fondateurs.

Citons par exemple le cas d’une stipulation qui obligerait le fondateur à porter seul la garantie d’actif et de passif (GAP) en cas de cession de la société. Une telle stipulation induirait que le fondateur demeurera seul susceptible de voir sa quotte part du prix de cession amputée en cas d’activation de la GAP.

C. Les divers instruments financiers de l’investisseur

Soulignons enfin qu’un investisseur peut disposer de plusieurs « tuyaux » pour s’assurer un retour de valeur.

Il n’est pas rare par exemple que des investisseurs choisissent de structurer leur investissement en le panachant entre des actions et des instruments de dette donnant accès à terme au capital (e.g. des obligations convertibles).

Dans ce cas de figure, l’investisseur via les intérêts générés par ses obligations convertibles sécurisera l’appréhension d’une partie des flux de la société et ce nonobstant un niveau de participation au capital qui resterait très minoritaire.

En conservant la faculté de convertir par la suite ses obligations, l’investisseur qui s’est assuré d’une « rentabilité dette » (i.e. les intérêts à taux fixe générés par les obligations) se ménage la possibilité d’accroitre sa « rentabilité equity  » en augmentant la fraction de la plus-value qui lui reviendra.

Autrement posé, un investisseur ayant souscrit à 10% du capital en actions et à des obligations convertibles donnant droit à terme à 10% supplémentaires du capital sera susceptible de percevoir une valeur nettement supérieure au pourcentage de sa participation initial.

En effet, en sus d’appréhender 20% du prix de cession (ce pourcentage pouvant d’ailleurs être accru en présence d’une clause de liquidité préférentielle), l’investisseur percevra le montant des intérêts générés par ses obligations.

En outre, certains venture capitalist n’hésitent pas à facturer à la société divers commissions et frais au titre de leur entrée au capital, ce qui constitue une nouvelle fois un vecteur dérivatif des flux de la société susceptible d’impacter le montant devant revenir au fondateur en cas de sortie.

III. L’optimisation des droits du fondateur

A. Sécuriser son mandat

Le pouvoir s’exerce à plusieurs échelons dans une société.

S’il est important d’être en mesure d’influer dans les décisions collectives des associés, il ne faut pour autant négliger le pouvoir inhérent à la fonction de Président ou Directeur Général d’une SAS.
Aussi, est-il critique pour un fondateur de tenter de sanctuariser son mandat social au sein de la société.

Dans une SAS, la liberté quant à la fixation du seuil de la minorité de blocage offre des possibilités de sécuriser le pouvoir des fondateurs quand bien même ces derniers viendraient à être minoritaires.
À titre d’exemple, en rehaussant la majorité à 75% s’agissant de la nomination ou de la révocation d’un dirigeant, le fondateur, déjà dirigeant de la société, devient irrévocable et ne peut en outre se voir imposer la désignation d’un autre dirigeant, tant qu’il conservera au moins 25% du capital.
Ce schéma ne fonctionne évidement que tant que le mandat du fondateur est à durée illimitée et qu’il ne sera pas nécessaire à terme de voter son renouvellement.

Relevons incidemment qu’en sanctuarisant son mandat, le fondateur sécurise accessoirement la rémunération y afférente.

B. La répartition du capital est évolutive

La répartition du capital résultant d’une levée de fonds demeure susceptible d’évoluer tant en faveur qu’en défaveur du fondateur.

Il est une chose de s’assurer la détention de 90% du capital immédiatement après la levée de fonds, il en est une autre de parvenir à conserver cette participation jusqu’à la cession de la société.
Une attention particulière doit être prêtée aux mécanismes permettant aux investisseurs de se reluer au détriment des associés historiques.

Parmi ces systèmes, deux sont relativement usités :

Il existe également des situations dans lesquelles le pacte prévoit qu’une enveloppe d’actions (ou d’instruments donnant droit à des actions) sera allouée à la demande des investisseurs aux futurs dirigeants qui seront recrutés.

Symétriquement, le fondateur est éligible à l’attribution d’instruments de relution. Le plus habituel consiste à octroyer au fondateur dirigeant des BSPCE donnant droit à la souscription à terme d’actions supplémentaires sur la base d’un prix d’ores et déjà déterminé ou déterminable.
Il peut en outre être conféré au fondateur un droit de préemption de premier rang sur les titres d’autres associés historiques.

Pour que ce principe soit acceptable pour les investisseurs, les droits de relution du fondateur devront être corrélés dans une certaine mesure aux performances de la société.

C. Anticiper sur le prochain tour de table

Entre la création d’une start-up et sa cession, plusieurs levées de fonds peuvent intervenir.
Cette potentialité commande de tenir compte du caractère séquentiel de la dilution que subira le fondateur. Il est donc avisé pour ce dernier de conserver une fraction suffisante du capital pour en « garder sous le coude » en vue de la prochaine augmentation de capital.

Pour étant, s’arcbouter dès la première levée sur une valorisation déraisonnable peut conduire à des effets pervers et compromettre les perspectives d’une seconde levée de fonds.

Si lors du second tour de table, la valorisation initiale est outrageusement contredite à la baisse :

D. Négocier des conditions de cessions différenciées

Le principe d’un traitement différencié en cas de cession est admis dans la plupart des pactes d’associés.

Tel que déjà évoqué, les fonds demandent habituellement des règles de partage particulières tout en refusant de supporter les risques d’une GAP.

Le fondateur doit, eu égard à son statut particulier, tenter de tirer parti de cette possibilité de différentiation de traitement.

À titre d’exemple, l’acquéreur peut exiger que le fondateur conserve un rôle opérationnel dans la société au cours d’une période de transition de quelques mois ou années.

Cette exigence rend le fondateur légitime à solliciter un « earn-out » (i.e. un complément de prix) ou une forme de bonus indexé sur les performances post-cession de la société.

En effet, la performance de la société dans les premiers mois ou années post-cession sera en partie la résultante de l’implication du fondateur.

Pour sa part, l’investisseur financier, qui n’assume plus aucun rôle dans la société, est moins légitime à prétendre également à la perception de ce complément de prix.

E. Le fondateur n’est pas nécessairement qu’un associé

Il n’est pas exceptionnel que des fondateurs revêtent de multiples casquettes (fondateurs-inventeurs / fondateurs-codeurs etc..).

Dans de telles hypothèses, les vecteurs sont multiples pour capter une fraction de la marge du projet.
Malgré les exigences des investisseurs, la propriété intellectuelle (i.e. la technologie, les codes sources, la marque etc.) n’a pas nécessairement à être détenue en pleine propriété par la société.

Le projet peut être parfois viable et « bankable » dès lors que la société a sécurisé un droit pérenne et exclusif sur la technologie ou les marques.

Il suffit que le fondateur consente à la société une licence exclusive (assortie éventuellement d’une promesse de vente) sur la propriété intellectuelle qu’il détient.

Ce contrat de licence garantira au fondateur une rémunération (généralement calculée sur les résultats de la société) indépendante du pourcentage de sa participation au capital.

Un schéma analogue est envisageable lorsque le fondateur détient une expertise opérationnelle nécessaire à l’activité de la société.

Alibaba ne détient pas Alibaba…

A titre anecdotique, relevons que les conclusions de cet article trouvent à s’illustrer d’une manière paroxysmique lorsque l’on se penche sur l’exemple des structures dites « VIE » (variable interests entities) auxquelles ont eu recours certaines licornes chinoises pour parvenir à être cotées sur des bourses étrangères.

En effet, si la valeur astronomique de la capitalisation boursière d’Alibaba n’a sans doute échappé à personne lors de son introduction, peu sont en revanche conscients que la société « Alibaba Group Holding Ltd » (dont les titres sont cotés au NYSE) ne détient en réalité aucune participation, directe ou indirecte, au capital des sociétés opérationnelles chinoises exploitant la plateforme d’e-commerce Alibaba.

Alibaba Group Holding Ltd et ses filiales sont les bénéficiaires économiques effectifs des structures d’exploitation chinoises par le biais uniquement d’un ensemble contractuel complexe permettant la captation de l’essentiel de la valeur ainsi que le contrôle de la gouvernance opérationnelle.

Thomas Clément CLP - Cliperton Avocat à la Cour