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La Cour de cassation rejette la demande d’une personne intersexuée de voir figurer la mention « sexe neutre » sur son acte de naissance. Par Rémi Sébal, Doctorant en droit.
Parution : vendredi 5 mai 2017
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C’est en considérant la binarité de la mention du sexe à l’état civil comme légitime, nécessaire à l’organisation sociale et juridique, que la Cour de cassation a écarté l’application de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et débouté de ses prétentions le demandeur, énonçant par ailleurs que l’introduction d’une troisième mention impliquerait de nombreuses modifications législatives de coordination. Cependant, cet argumentaire adopté par la Haute juridiction paraît quelque peu contestable.

Le 20 août 2015, le tribunal de grande instance de Tours a rendu une décision quelque peu audacieuse qui n’a pas manqué d’agiter les commentateurs. En effet, pour la première fois en France, a été reconnu le droit pour une personne intersexuée de faire apposer sur son acte de naissance la mention « sexe neutre ». La juridiction s’est ainsi écartée de la binarité sexuée posée par l’état civil face à cette personne qui ne pouvait être rattachée médicalement ni au sexe masculin, ni au sexe féminin. Un recours contre cette décision a sans surprise été formé par le ministère public, donnant ainsi à la cour d’appel l’opportunité d’infirmer cette dernière. C’est justement ce qu’elle fit par arrêt du 22 mars 2016 [1], en revenant alors à une plus grande « orthodoxie juridique » [2], tout en invitant malgré tout par la même le législateur à se saisir de cette question, et plus généralement de celle de l’opportunité de la mention du sexe à l’état civil. Ainsi, même si l’arrêt ne donnait aucunement raison au demandeur, la porte à la reconnaissance juridique d’un troisième sexe ne paraissait malgré tout pas totalement close, du moins jusqu’à ce que la Cour de cassation ne balaie tout espoir d’émergence d’une tout autre mention. C’est justement ce qu’elle fit par arrêt en date du 4 mai 2017, fruit du pourvoi formé contre l’arrêt d’appel du 22 mars 2016, sus-envisagé.

La haute juridiction a en effet considéré qu’il demeure en l’état actuel de notre droit impossible d’admettre l’existence d’un sexe autre que masculin ou féminin à l’état civil, énonçant en ce sens que la reconnaissance par les juges d’une troisième catégorie en la matière « aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français construites à partir de la binarité des sexes et impliquerait de nombreuses modifications législatives de coordination ».

Ce faisant, et même si elle admet que l’identité sexuelle relève de la sphère protégée par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Cour de cassation énonce in fine qu’il ne peut être porté atteinte à la très ancrée binarité des sexes, en ce que celle-ci poursuivrait un but qu’elle qualifie de « légitime », dans la mesure où elle serait nécessaire « à l’organisation sociale et juridique » dont elle constituerait un « élément fondateur ».

Cette conception adoptée par la Cour de cassation à l’aune de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en son volet identité sexuelle semble cependant contestable.

Consacré par la Cour européenne des droits de l’homme à la faveur de l’arrêt « Christine Goodwin contre Royaume-Uni » [3], le droit à l’identité sexuelle va être rattaché à l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme et intégrer de ce fait la sphère de la vie privée telle qu’envisagée par la Cour. Fut ainsi condamné le Royaume-Uni des suites du refus qu’il opposait à une personne transsexuelle de voir son état civil rectifié dans le but de mettre en adéquation son sexe juridique avec sa condition réelle.

Concernant plus particulièrement les personnes intersexuées, la Cour européenne des droits de l’homme n’a, à notre connaissance du moins, jamais eu à se prononcer quant à leur situation juridique en la matière. Il est cependant sur ce point tout à fait possible de raisonner par analogie à l’aune de sa jurisprudence relative au transsexualisme, laquelle impliquerait a priori que tout intersexué en manifestant le désir puisse bénéficier d’un état civil correspondant à la réalité de sa sexuation, sauf pour l’État à prouver la réunion des conditions cumulatives inhérentes à l’ingérence posées par le second alinéa de l’article 8 de la Convention, à savoir : une ingérence prévue par la loi, et une ingérence poursuivant un but légitime, but auquel elle doit être proportionnée. Ces conditions sont-elles ici réunies ?

La binarité sexuée de l’état civil : une ingérence non prévue par la loi :

La binarité sexuée telle qu’elle existe actuellement en France ne découle aucunement de la loi elle-même, mais d’une interprétation faite de l’article 57 du Code civil, lequel n’énonce à aucun moment que le sexe indiqué sur l’acte de naissance de l’enfant doit répondre d’une quelconque binarité [4]. Seule l’instruction générale relative à l’état civil est plus explicite sur ce point [5], mais celle-ci ne relève pas du domaine de la loi.

La binarité sexuée de l’état civil : une ingérence ne poursuivant pas un but d’intérêt légitime :

La Haute Juridiction énonce que la binarité sexuée poursuivrait un but qu’elle qualifie de « légitime » dans la mesure où elle serait nécessaire « à l’organisation sociale et juridique », sans expliciter ce qu’elle entend par cette formulation quelque peu confuse.

Toujours est-il que l’observation attentive de notre droit positif démontre que le fait d’appartenir à un sexe plutôt qu’à un autre emporte de moins en moins application d’un régime juridique particulier, notre législation tendant à devenir de plus en plus indifférente à cette donnée. En effet, les statuts spécifiques qui en dépendaient ont aujourd’hui quasiment disparu, contrecarrés par l’émergence d’une égalité certaine entre les hommes et les femmes, s’étendant à toutes les branches de notre discipline. Ainsi par exemple, la capacité juridique de la femme mariée est désormais l’égale de celle de l’homme, et plus aucune disposition n’en fait un être soumis à la puissance de son mari. Par ailleurs, il n’existe plus en matière de successions quelconque discrimination fondée sur le sexe relativement à la dévolution successorale [6]. Aussi, « Les père et mère exercent en commun l’autorité parentale » [7], et l’âge nuptial n’est plus fonction du sexe de chacun des époux [8]. Le délai de viduité a également été supprimé.

Le droit pénal ne fait pas exception, ainsi par exemple une infraction n’est pas punie plus sévèrement si elle a été commise par une femme et non par un homme, ou inversement. La loi du 11 juillet 1975 a en effet notamment abrogé une disposition sanctionnant plus sévèrement l’adultère de la femme à l’inverse de celui du mari, qui était traité avec plus de clémence.

Le même phénomène de désexualisation peut également être observé en droit du travail : les différentes dispositions tendant à restreindre l’accès des femmes à certaines professions ont été abrogées [9], tout comme l’interdiction qui leur était faite de travailler de nuit.

Ainsi la majeure partie des règles accordant à l’homme un avantage indu au détriment de la femme – et inversement – ont disparu au cours des dernières décennies, le tout corroboré par une certaine désexualisation du droit, lequel dispose par l’emploi de termes et des formulations neutres, exemptes de quelconque référence au sexe de la personne [10]. Notons également au soutien de nos développements que la Constitution consacre de par le biais du préambule de 1946 l’égalité des femmes et des hommes [11], laquelle rejaillit ainsi sur notre droit.

Dès lors, si l’appartenance de la personne à un quelconque sexe n’est plus déterminante quant à l’application de telle ou telle règle de droit – ce qui était auparavant le cas – en quoi est-il encore nécessaire de continuer à en faire mention à l’état civil ? Et ce d’autant plus qu’il est désormais possible aux personnes de même sexe de contracter mariage, l’altérité sexuelle précédemment requise ayant été abandonnée par la loi du 17 mai 2013 [12].

Par ailleurs, la fonction dite de police civile de l’état civil n’en serait pas mise à mal, à une époque où la biométrie [13] permet d’identifier les individus de manière absolument fiable et efficace.

Il ne s’agit cependant pas d’aboutir à une négation de cette donnée qu’est le sexe, mais simplement de la placer hors de la sphère du droit, en prenant garde de ne faire découler aucune conséquence juridique de la seule appartenance de l’individu à tel ou tel sexe déterminé, ce qui, dans les faits, semble tout à fait envisageable.

Ainsi, et de par sa faible utilité et face aux importants inconvénients qu’elle génère en la matière, la binarité sexuée telle qu’elle découle des interprétations faites de l’article 57 du Code civil semble constituer une ingérence dénuée de tout but légitime conforme au deuxième alinéa de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ici pris pour référant, lequel renvoie à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

Par conséquent, cela ajouté au fait qu’elle ne revêt aujourd’hui à l’heure de la biométrie quasiment plus aucune utilité concrète, il semble tout à fait possible de conclure à l’absence de légitimité de l’ingérence qu’elle occasionne.

La binarité sexuée de l’état civil : une ingérence disproportionnée :

D’autre part et quant à la question du caractère proportionné de l’ingérence à l’origine de l’atteinte à la vie privée des personnes intersexuées, il convient ici de se pencher de prime abord sur les objectifs poursuivis par cette mention : la mention du sexe poursuit dans un sens un but d’identification, et permet dans un autre sens l’application de telles ou telles règles de droit lorsque celles-ci se basent sur cette donnée que constitue le sexe.

Concernant l’identification de l’individu dans la société, la mention du sexe n’est aucunement pertinente en ce que cette donnée ne permet ni de localiser la personne, ni de la distinguer efficacement d’autrui. En effet il n’existe en l’état actuel du droit que deux sexes, face à une multitude de combinaisons possibles quant au nom, prénom, date et lieu de naissance, et adresse, entre autres, et ce à une époque où la biométrie ne cesse de s’étendre.

Relativement à l’application à l’individu de règles de droit basées sur le sexe, sa mention à l’état civil, sans être absolument pertinente, l’est malgré tout davantage qu’au sein de la précédente hypothèse. Il semble en effet a priori légitime d’exiger de la personne qu’elle fasse part de son sexe lorsqu’elle désire se prévaloir d’une règle de droit dont l’application dépend de cette donnée. Bien sûr le caractère proportionné de l’ingérence ne sera rempli que si la présence de la mention entraine réellement application d’un régime particulier ne pouvant se baser sur aucun autre élément, ce qui est assurément de moins en moins le cas. Cependant, même si l’ingérence semble pouvoir être en ce point et en certaines hypothèses justifiée, le but qu’elle poursuit est dénué de toute légitimité.

La binarité sexuée de l’état civil : une ingérence contrevenant à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Parce qu’elle n’est ni prévue par la loi, que le but qu’elle poursuit est dénué de toute légitimité, et que les désagréments qu’elle engendre sont disproportionnés compte tenu de sa faible utilité, l’ingérence que constitue la binarité sexuée de l’état civil pour les personnes intersexuées s’avère contraire à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, et ce sans qu’aucune justification ne puisse être a priori avancée.

Il semble ainsi que la Cour de cassation fasse preuve d’une mauvaise foi certaine - incluant l’identité sexuée dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, mais refusant d’en dégager les conséquences qui devraient en découler - comme elle avait d’ailleurs pu le faire un temps à l’aune de la situation des personnes transsexuelles, et ce jusqu’à ce que la Cour européenne des droits de l’homme ne s’exprime à ce sujet.

Rémi SÉBAL - Doctorant en Droit Privé.

[1Cour d’appel d’Orléans, 22 Mars 2016, n° 15/03281.

[2S. PARICARD, Pas de reconnaissance du sexe neutre, Editions Législatives, Santé, bioéthique, biotechnologies, 2016

[3Cour européenne des droits de l’homme, 11 juillet 2002, « Christine Goodwin c. Royaume-Uni », requête n° 28957/95

[4Cet argument a d’ailleurs été avancé par le TGI de Tours à l’occasion de son jugement en date du 20 aout 2015, au sein duquel il est à juste titre précisé que nous nous trouvons ici confrontés à un « vide juridique ».

[5Laquelle mentionne à plusieurs reprises que les lettres « M » et « F » doivent être utilisées pour expliciter le sexe de la personne.

[6Art. 735, Code civil

[7Art. 372, Code civil.

[8Art. 144, Code civil.

[9Voir en ce sens notamment l’ancien article R234-9 du code du travail, relativement aux activités engendrant une l’exposition à certains produits Chimiques.

[10Voir en ce sens l’emploi de termes tels que « sujets de droit », « époux », « conjoints », « parents »…

[11« La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme », Art. 3, Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

[12LOI n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.

[13Analyse mathématique des caractéristiques biologiques d’une personne, destinée à déterminer son identité de manière irréfutable, et reposant sur le principe de la reconnaissance de caractéristiques physiques, telles que les empreintes digitales, l’iris, ou encore la rétine, offrant une preuve irréfutable de l’identité d’une personne puisqu’elles constituent des caractéristiques biologiques uniques qui la distinguent des autres et ne peuvent être associées qu’à elle. Le passeport dit « biométrique » exploite cette technologie.