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eSport, compétition et statut du joueur de jeux vidéo professionnel, un cadre strict et des attentes. Par Fabien Drey, Avocat.
Parution : mardi 16 mai 2017
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Après le crédit d’impôt en faveur de la création vidéo-ludique, les jeux vidéo ont une nouvelle fois fait l’objet d’une actuellement juridique, preuve que cette industrie gagne peu à peu sa place aux yeux de nos législateurs.
Pour rappel, la loi du 7 octobre 2016 est notamment venue préciser le cadre juridique de l’eSport en France.

L’objet du présent article est de commenter le décret d’application paru le 9 mai 2017 qui fixe le cadre juridique des pro-gamers.

Ce décret vient préciser le statut des joueurs professionnels salariés de jeux vidéo compétitifs. Il entre en vigueur le 1er juillet 2017.

Cependant, de nombreuses questions restent encore aujourd’hui en suspens, concernant notamment l’encadrement des compétitions. De futurs décrets restent encore à publier en ce sens et il conviendra d’espérer que le législateur fasse preuve de flexibilité afin de tenir compte de l’évolution rapide de ce type de compétition.

I. Un encadrement strict des compétitions de jeux vidéo

Les articles 101 et 102 de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique a posé une première règlementation des compétitions de jeux vidéo.

A. Définition de la compétition de jeux vidéo

Une définition unique du jeu vidéo est adoptée puisque l’article 101 de cette loi renvoie à l’article 220 terdecies du Code général des impôts.

Ainsi tant au sens civil qu’au sens fiscal, « est considéré comme un jeu vidéo tout logiciel de loisir mis à la disposition du public sur un support physique ou en ligne intégrant des éléments de création artistique et technologique, proposant à un ou plusieurs utilisateurs une série d’interactions s’appuyant sur une trame scénarisée ou des situations simulées et se traduisant sous forme d’images animées, sonorisées ou non ».

Une compétition de jeux vidéo confronte, à partir d’un jeu vidéo, au moins deux joueurs ou équipes de joueurs pour un score ou une victoire.

La question des compétitions spécifiques n’incluant qu’un seul joueur (par exemple les compétitions de speed-run) n’est pas abordée.

B. Un encadrement des conditions d’organisation des compétitions de jeux vidéo encore à définir

Les compétitions de jeux vidéo n’entrent pas dans le champ d’application des loteries, telles que définies dans le Code de la sécurité intérieure, à condition qu’elles soient organisées en la présence physique des participants.

En outre, le montant total des droits d’inscription ou des autres sacrifices financiers consentis par les joueurs ne devra pas excéder un montant ou une fraction d’un montant du coût d’organisation, dont le taux sera prochainement fixé par décret en Conseil d’État.

Encore une fois, le législateur a souhaité complexifier à outrance un système qui ne demandait qu’à être simplifié.

Le décret ne tiendra pas compte de chaque type de compétition mais en plus, ce cadre strict imposera à l’organisateur d’une compétition de jeux vidéo à faire un budget prévisionnel d’organisation, ce qui pourrait rapidement décourager les petites et moyennes structures.

Ce taux pourra toutefois varier en fonction du montant total des recettes collectées en lien avec la manifestation, ce qui rajoute une fois de plus de la complexité.

Lorsque le montant total des gains ou lots excèderont un montant fixé par décret en Conseil d’État, les organisateurs de ces compétitions doivent justifier de l’existence d’un instrument ou mécanisme, pris au sein d’une liste fixée par ce même décret, garantissant le reversement de la totalité des gains ou lots mis en jeu.

En l’occurrence, le recours à un huissier ou à un système permettant de garantir la sécurité des échanges, est à conseiller.

Le décret d’application relatif à ces dispositions n’est pas encore paru ; les taux et les seuils précités ne sont donc pas encore fixés.

Par ailleurs, toutes les compétitions de jeux vidéo devront être préalablement déclarées à l’autorité administrative dans des conditions fixées par un décret à paraître prochainement.

Encore une fois, il conviendra de se faire assister par des professionnels et mettre en œuvre des moyens conséquents afin de garantir le respect des obligations légales.

Nous ne pouvons que déplorer cet excès de formalisme qui aura sûrement pour effet de décourager les créateurs de ce type d’événements, pourtant particulièrement motivés.

C. Une réglementation spécifique pour les joueurs mineurs encore en attente

La participation d’un mineur aux compétitions de jeux vidéo peut être autorisée dans des conditions définies par un futur décret à paraître.

Cette participation restera conditionnée au recueil de l’autorisation du représentant légal de ce mineur qui doit être informé des enjeux financiers de la compétition et des jeux utilisés comme support de celle-ci.

Une nouvelle fois, cette autorisation parentale fera émerger de nombreuses problématiques juridiques et il n’est pas certain que les organisateurs prennent la responsabilité de mettre en place ce type de vérifications, engageantes de leur responsabilité.

Il est donc assez probable que cette disposition soit un frein au développement des compétitions de jeux vidéo.

En outre, les dispositions du Code du travail relatives aux rémunérations perçues par des mineurs de moins de 16 ans trouveront à s’appliquer pour les compétiteurs mineurs.

Cette loi et ses futurs décrets ont le mérite de sortir les compétitions de jeux vidéo de la catégorie des loteries et de poser un cadre juridique aux activités salariées des joueurs professionnels, cependant, il est assez regrettable que cette loi ne pose qu’un encadrement de l’activité et non des perspectives de développement.

II. La création d’un statut spécifique au joueur professionnel salarié de jeux vidéo

A. Une définition du joueur professionnel salarié de jeux vidéo

Le joueur professionnel salarié de jeu vidéo compétitif est défini par l’article 102 de la loi du 7 octobre 2016 comme « toute personne ayant pour activité rémunérée la participation à des compétitions de jeu vidéo dans un lien de subordination juridique avec une association ou une société bénéficiant d’un agrément du ministre chargé du numérique, précisé par voie réglementaire ».

A cet égard, le décret n°2017-872 du 9 mai 2017 est venu préciser les modalités d’obtention de l’agrément précité.

1. La procédure d’agrément pour les sociétés de jeux vidéo

La demande d’agrément d’une association ou d’une société devra être adressée par son représentant légal au ministre chargé du numérique par voie électronique ou par lettre recommandée avec avis de réception.

La demande doit comporter :

Pour les associations relevant du statut de la loi du 1er juillet 1901, la demande d’agrément doit être accompagnée des pièces justificatives suivantes :

Pour les sociétés commerciales soumises au Code de commerce, la demande d’agrément doit être accompagnée des pièces justificatives suivantes :

Dans ce cadre, il conviendra notamment d’apporter un soin particulier à la rédaction des statuts de la société.

2. Les conditions d’obtention de l’agrément

Le ministre chargé du numérique accorde l’agrément au regard des conditions suivantes :

En cas de refus, un recours devra être formé.

3. La durée de validité de l’agrément

L’agrément est délivré pour une durée de 3 ans renouvelable ; la demande de renouvellement devra être déposée au plus tard 3 mois avant le terme de la période d’agrément.

On supposera que la demande de renouvellement se fera dans les mêmes conditions que la demande initiale d’obtention de l’agrément.

Pendant la durée de validité de 3 ans, l’agrément peut être retiré à l’association ou à la société qui :

Lorsque le ministre chargé du numérique envisage de retirer l’agrément à une association ou à une société, il l’en informe par lettre recommandée avec avis de réception ou par voie électronique. Il doit accorder à l’association ou à la société un délai pour faire valoir ses observations.

Ce délai ne peut être inférieur à quinze jours.

B. Un encadrement du contrat de travail des joueurs professionnels de jeux vidéo

Le Code du travail est applicable au joueur professionnel salarié de jeux vidéo compétitifs à l’exception d’un certain nombre d’articles relatifs au contrat à durée déterminée énumérés à l’article 102 II de la loi du 7 octobre 2016.

1. La durée du contrat de travail

Tout contrat par lequel une association ou une société bénéficiant de l’agrément précité s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un joueur ayant le statut de joueur professionnel salarié de jeux vidéo défini précédemment est un contrat de travail à durée déterminée. La durée de ce contrat de travail ne peut être supérieure à cinq ans. Cette durée maximale n’exclut pas le renouvellement du contrat ou la conclusion d’un nouveau contrat avec le même employeur.

La durée de ce contrat de travail ne peut être inférieure à la durée d’une saison de jeu vidéo compétitif de douze mois.

Toutefois, un contrat conclu en cours de saison de compétition de jeu vidéo peut avoir une durée inférieure à douze mois, dans des conditions précisées par voie réglementaire :

Le décret d’application du 9 mai 2017 a précisé qu’un contrat de travail à durée déterminée peut être signé pour une durée de moins de douze mois en vue de :

Ce même décret est venu préciser les modalités de détermination des dates de début et de fin des saisons de jeu vidéo.

Les dates de début et de fin de saison des compétitions de jeux vidéo sont définies par un arrêté du ministre chargé du numérique.

Elles peuvent être définies en fonction du jeu vidéo utilisé ou du circuit de compétition concerné. Lorsque plusieurs circuits de compétition existent pour un jeu donné, l’arrêté établit pour ce jeu la liste des saisons correspondantes, avec leurs dates de début et de fin respectives.

Nous voyons pour l’instant mal comment le décret suscité pourra prendre en compte l’intégralité des saisons de jeux vidéo (les compétitions ne se déroulant pas obligatoirement sur une seule et même saison unique, plusieurs compétitions pouvant être en cours au même moment).

Cela devrait aussi dire que seuls les jeux cités dans le décret seront admis à être « compétitifs » et donc joués dans le cadre d’une compétition. Une fois encore, ce contrôle indirect se révélera inefficace et presque impossible à mettre en œuvre (on voit déjà poindre certaines pressions afin d’éviter que certains jeux dits « violents » ne puissent pas être joués).

2. Le formalisme du contrat de travail du pro-gamer

Le contrat de travail du joueur professionnel de jeux vidéo, qui devra obligatoirement être à durée déterminée, est établi par écrit en au moins trois exemplaires et mentionne les droits et obligations précédemment cités.

Il comporte également :

Le contrat de travail à durée déterminée est transmis par l’employeur au joueur professionnel de jeu vidéo compétitif au plus tard deux jours ouvrables après l’embauche.

Les clauses de rupture unilatérale pure et simple du contrat de travail à durée déterminée du joueur professionnel de jeu vidéo compétitif salarié sont nulles et de nul effet.

Là-encore, l’assistance d’un professionnel du droit sera obligatoire afin d’éviter tout risque de remise en cause.

3. Les sanctions prévues en cas de non-respect des règles applicables au contrat de travail du joueur professionnel de jeux vidéo

Tout contrat conclu en méconnaissance des règles de fond et de forme prévues par la loi du 7 octobre 2016 et le décret du 9 mai 2017 est réputé à durée indéterminée.

Le fait de méconnaître ces règles de fond et de forme est puni d’une amende de 3 750 €. En cas de récidive, la peine pourrait être portée à six mois d’emprisonnement et 7 500 € d’amende.

4. La nécessité d’égalité de traitement entre tous les joueurs professionnels de jeux vidéo employés par un même organisme

Tout au long de l’exécution du contrat de travail à durée déterminée d’un joueur professionnel de jeu vidéo compétitif, l’association ou la société bénéficiant de l’agrément précité qui l’emploie offre au joueur professionnel salarié des conditions de préparation et d’entraînement équivalentes à celles des autres joueurs professionnels salariés de l’association ou de la société.

Là-encore, il conviendra d’être particulièrement vigilant quant à l’application concrète de ces principes.

L’intégralité des décrets d’application n’étant pas encore publiés à ce jour, il n’est pas encore possible de déterminer avec précision le cadre légal de l’organisation de compétitions de jeux vidéo.
Toutefois, au regard des premières dispositions actuellement en vigueur, il semble évident que les contraintes restent particulièrement importantes et le recours à un professionnel du droit fortement recommandé.

On ne peut que déplorer ce cadre strict, qui nuira inévitablement au développement de l’eSport en France.

Fabien DREY, Avocat Fondateur du Cabinet RecLex Avocats www.reclex-avocats.com