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Le sous-acquéreur achète un bien meuble dont il connait le vice. Par Petra Cramer.
Parution : mardi 16 mai 2017
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En vue des articles 1640 et 1641 du Code civil, la décision de la Chambre commerciale de la Cour de cassation ci dessous peut surprendre !

Attendons une décision de la Chambre civile pour définitivement confirmer que le principe de la décennale s’est étendu aux bien meubles.

Comme l’expression l’indique, un vice caché est nécessairement un vice dont l’acheteur n’a pas connaissance au moment de l’achat.
En droit immobilier, l’acquéreur est protégé contre tout vice caché découvert dans les 10 ans suivant la date de réception d’un immeuble, c’est-à-dire : les 10 ans suivant la réception. Tout vice caché découvert ultérieurement à la réception (1ère condition), et relevant de défauts structurels des articles 1792 et suivants du Code civil (2ème condition) doit être réparé par le constructeur ou l’entreprise responsable.
Cette garantie « suit le bien », autrement dit : si le premier acquéreur vend l’immeuble 5 après la réception, et même s’il a connaissance d’un vice (dont il fait part à son acquéreur, ou non !) le propriétaire suivant profite toujours de la protection décennale.
Jusque-là, l’acquéreur d’un bien meuble « d’occasion » profitait également de la protection – qui est en règle générale de deux ans - mais la jurisprudence excluait cette protection si l’acquéreur connaissait le vice au moment de l’achat.
Même si la garantie était plus longue (par voie contractuelle ou légalement), ce principe était établi.

L’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation ci-dessous parait cependant élargir, pour la première fois, cette protection au sous-acquéreur qui connaissait l’existence du vice, en précisant explicitement que « l’action rédhibitoire [qui] accompagne, en tant qu’accessoire, le bien vendu, nonobstant sa connaissance des vices de celui-ci lors de son acquisition (…) », ce qui est un primeur !
Est également remarquable, le fait que le sous-acquéreur achète le bien en cours de procédure.
Ceci est en effet une condition : seul le propriétaire peut exercer l’action rédhibitoire ou estimatoire.

Cass. com., 8 mars 2017, n° 15-21.155
LA COUR :

« Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, le 9 mai 2006, la société BNP Lease Group a conclu avec la société Agora un contrat de crédit-bail portant sur un véhicule qu’elle avait acheté à cet effet, le 25 avril précédent, auprès de la société Sud Ouest véhicules industriels automobiles (la société Sovia), qui l’avait elle-même acheté à la société Nissan West Europe  ; que l’article 5 de ce contrat prévoyait qu’en contrepartie de la renonciation du locataire à tout recours contre le bailleur en cas de défaillance ou de vice caché affectant le matériel loué, «  le locataire exerce pendant toute la durée du contrat en vertu d’une stipulation pour autrui expresse les droits et actions en garantie vis-à-vis du constructeur ou du fournisseur du matériel loué notamment en annulation de la commande, récupération des acomptes versés et mise en jeu des garanties légales et conventionnelles pour lesquelles le bailleur donne en tant que de besoin mandat d’ester  »  ; que le véhicule ayant subi diverses pannes depuis le mois de septembre 2006, la société Agora a, le 21 juillet 2010, assigné la société Sovia en remboursement des loyers versés et en paiement de divers frais et dommages-intérêts  ; que la société Sovia a assigné la société Nissan West Europe en intervention forcée  ; que le 9 mai 2011, la société Agora a levé l’option d’achat du contrat de crédit-bail du véhicule et procédé à son acquisition  ; qu’invoquant l’existence de vices cachés, elle a également demandé la résolution du contrat  ;
Sur la recevabilité du moyen unique, pris en sa seconde branche, contestée par la défense :
Attendu que la société Nissan West Europe soutient que le moyen par lequel la société Agora fait valoir qu’elle agissait en qualité de sous-acquéreur à l’encontre du vendeur originaire, et qu’en conséquence, le caractère apparent du vice aurait dû être apprécié au regard de la personne du vendeur intermédiaire, est irrecevable comme étant incompatible avec ses écritures d’appel, dans lesquelles elle précisait agir sur le fondement de l’article 5 du contrat de crédit-bail et, partant, en sa seule qualité de crédit-preneur, et, en tout état de cause, qu’il est nouveau et mélangé de fait et de droit  ;
Mais attendu que si la société Agora précisait, dans ses conclusions d’appel, avoir, lors de l’introduction d’instance, exercé, en vertu de l’article 5 du contrat de crédit-bail, l’action en garantie des vices cachés qui appartenait au crédit-bailleur, elle soutenait également que la levée d’option lui avait permis de poursuivre l’action engagée à l’encontre la société Sovia, ce dont il résulte qu’elle avait poursuivi l’exercice de cette action en sa qualité de sous-acquéreur  ; que le moyen est donc recevable  ;
Et sur le moyen :
Vu l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, ensemble les articles 1641 et 1642 du code civil  ;
Attendu que pour rejeter les demandes fondées sur la garantie des vices cachés, l’arrêt retient qu’au moment de l’acquisition du véhicule, la société Agora avait connaissance des vices dont il était affecté, qui présentaient donc un caractère apparent  ;
Qu’en statuant ainsi, alors que le sous-acquéreur peut exercer l’action rédhibitoire qui accompagne, en tant qu’accessoire, le bien vendu, nonobstant sa connaissance des vices de celui-ci lors de son acquisition, la cour d’appel a violé les textes susvisés  ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur l’autre grief :
CASSE ET ANNULE (…) »

Petra Cramer - SELARL CBH Avocats