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Une sous-traitance, pas si simple ... Par Julie Raignault, Avocat.
Parution : vendredi 19 mai 2017
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La Cour de cassation a rendu plusieurs arrêts fin 2016 qui apportent des éclairages intéressants sur la qualification ou non de sous-traitance, dont les effets ne sont pas anodins au moment fatidique du paiement.
Deux arrêts rendus le 27 octobre 2016 se penchent, l’un sur la distinction entre la sous-traitance et le mandat, l’autre sur la distinction entre la sous-traitance et la co-traitance.

Sous-traitance ou mandat ?

(Cass. Civ. 3, n°15-25.256)

Les faits

Dans cette affaire, des particuliers avaient conclu un contrat « clefs en main » avec un architecte qui, avant d’être mis en liquidation judiciaire, avait confié à une entreprise de menuiserie la réalisation de deux lots.

L’entreprise a alors demandé le paiement de ses prestations au maître de l’ouvrage qui s’y est refusé, notamment en raison de l’absence d’agrément sur le fondement de la loi de 1975.

Position de la Cour de cassation

La Cour de cassation considère que l’entreprise n’était pas sous-traitante de la société d’architecture et qu’elle n’avait donc pas à être agréée comme l’exige la loi du 31 décembre 1975.

La société d’architecture est, en effet, considérée comme le mandataire du maitre de l’ouvrage, l’entreprise de menuiserie n’agissant dès lors pas pour le compte d’un autre entrepreneur mais pour celui d’un mandataire.

A partir du moment où elle travaillait pour le mandataire, l’entreprise devait être payée par le mandant, même sans avoir été agréée, et sans avoir à rechercher l’ampleur des pouvoirs du mandataire.

La Cour juge qu’en présence d’un mandat, l’article 14-1 de la loi de 1975 ne s’applique pas.

L’intérêt est évident pour l’entreprise, mais encore faut-il pouvoir démontrer la volonté des parties de conclure un mandat, ce qui n’est pas si fréquent.

Rappelons que le nouvel article 1158 du Code civil dispose que « le tiers qui doute de l’étendue du pouvoir du représentant conventionnel à l’occasion d’un acte qu’il s’apprête à conclure, peut demander par écrit au représenté de lui confirmer, dans un délai qu’il fixe et qui doit être raisonnable, que le représentant est habilité à conclure cet acte. L’écrit mentionne qu’à défaut de réponse dans ce délai, le représentant est réputé habilité à conclure l’acte ».

Comment sera appréciée la notion de doute légitime par les tribunaux ? Il est permis de penser qu’il sera désormais plus difficile de se prévaloir d’une présomption de mandat apparent, étant précisé que l’action interrogatoire prévue par l’article 1158 s’applique aux contrats nouvellement conclus comme aux contrats conclus antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016 le 1er octobre 2016.

Sous-traitance ou co-traitance

(Cass. Civ. 3, n° 15-24.469)

Les faits

Un maître de l’ouvrage avait conclu un contrat de maîtrise d’œuvre avec un bureau d’architecture et deux bureaux d’études chargés des plans d’exécution, les trois entreprises ayant constitué un groupement momentané dont le bureau d’architecture était le mandataire.

L’un des bureaux d’études s’est montré défaillant, le bureau d’architecture demande au maître de l’ouvrage l’autorisation de le remplacer par un autre. Le maître de l’ouvrage donne son accord mais aucun contrat n’est conclu.

L’entreprise remplaçante, impayée, demandait au maître de l’ouvrage le paiement direct de sa facture sur le fondement de la loi de 1975. Le maître de l’ouvrage a refusé, considérant que la société n’était pas sous-traitante mais co-traitante avec les autres membres du groupement.

La position de la Cour de cassation

La Cour de cassation juge à l’inverse qu’il s’agit bien d’un sous-traitant en se fondant sur les critères suivants :
- il n’y avait pas de contrat entre l’entreprise et le maître de l’ouvrage, ce que ce dernier n’ignorait pas ;
- l’entreprise était intervenue sur devis adressé au premier bureau d’études défaillant auquel elle avait d’ailleurs présenté ses factures avant qu’il ne fasse l’objet d’une procédure collective ;
- le mandataire du groupement avait proposé au maître de l’ouvrage de régulariser la situation en concluant un contrat de sous-traitance. L’absence de réaction du maître de l’ouvrage a été lourde de conséquences en l’espèce !

Le maître de l’ouvrage ne peut même pas tenter d’engager la responsabilité du mandataire du groupement qui avait parfaitement joué son rôle en présentant le sous-traitant, en demandant son agrément et en suggérant de formaliser la situation en concluant un contrat en bonne et due forme.

Julie RAIGNAULT Avocat associée Barreau de Paris GRAMOND & ASSOCIES www.gramond-associes.com