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De l’irrecevabilité du second appel contre la même décision. Par Kodjovi Sedjro, Avocat.,
Parution : vendredi 19 mai 2017
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Le 11 mai 2017, la Cour de cassation a approuvé une cour d’appel d’avoir jugé qu’est irrecevable le second appel relevé contre la même décision alors que l’instance initiée par le premier appel était encore pendante (Civ. 2e, 11 mai 2017, n° 16-18464).

Le 11 mai 2017, la Cour de cassation a approuvé une cour d’appel d’avoir jugé qu’est irrecevable le second appel relevé contre la même décision alors que l’instance initiée par le premier appel était encore pendante (Civ. 2e, 11 mai 2017, n° 16-18464, en cours de publication).

La diffusion que la Haute juridiction entend faire de cet arrêt, notamment sa publication au Bulletin, sa diffusion aux chefs de cours d’appel et sa mise à disposition sur l’Internet, dénote de son importante valeur normative.

Les faits à l’origine de cet arrêt, au demeurant assez banals, n’ont été jugés au fond qu’en première instance. Les péripéties que la procédure a connues sont davantage plus intéressantes.

En effet, Madame X exerce son activité sous le nom commercial Y. Elle a obtenu, du président du tribunal de commerce, une ordonnance portant injonction de payer contre la société Z. Le tribunal, statuant sur opposition, a condamné la société le 2 mai 2014.

Cette dernière a relevé appel de la décision par déclaration du 2 juin 2014 et signifié le 24 juillet 2014 ses conclusions à Y en lieu et place de Madame X, au motif que le jugement mentionne le nom commercial Y comme demandeur.

Après avoir relevé que les écritures de la société Z ont été signifiées à une personne qui n’est pas partie à l’instance, Madame X a conclu, le 14 novembre 2014, à la caducité de l’appel pour absence de conclusions dans le délai de 3 mois prévu à l’article 908 du Code de procédure civile.

La société Z a alors introduit un incident. Elle demandait au conseiller de la mise en état de déclarer irrecevables les conclusions du 14 novembre 2014 de Madame X parce qu’elle ne serait pas partie à l’instance et qu’elle a conclu tardivement.

Madame X a rappelé qu’elle est l’intimée telle que l’indique la déclaration d’appel et a réitéré sa demande de caducité de l’appel.

Par ordonnance du 12 mars 2015, le conseiller de la mise en état a considéré que la société Z a interjeté appel à l’encontre d’une personne et signifié ses conclusions à une autre. Alors que l’appel a été interjeté contre Madame X, la société Z aurait dû, le cas échéant, solliciter l’annulation du jugement qui l’a condamnée au profit d’une personne non partie au procès au lieu de signifier ses écritures à Y. Il a donc constaté la caducité de l’appel et déclaré irrecevables les conclusions d’incident.

Pressentant sûrement l’issue de la procédure, la société Z a, de nouveau, interjeté appel dès le 13 février 2015. Elle a régulièrement signifié ses conclusions.

Madame X a alors introduit un incident devant le conseiller de la mise en lui demandant de déclarer irrecevable le second appel. D’une part, elle prétendait que la Société Z a relevé appel une seconde fois du même jugement alors qu’aucune décision n’est intervenue dans la procédure mise en route par le premier appel et qu’ainsi, le second appel était irrecevable par application du principe « appel sur appel ne vaut ». D’autre part, se fondant sur les articles 31 et 546 du Code de procédure civile, Madame X soutenait que la Société Z a interjeté appel le 2 juin 2014 du jugement. Cette procédure n’a pris fin qu’à la suite de l’ordonnance de caducité du 12 mars 2015 du conseiller de la mise en état. Or, la société Z avait déjà relevé un second appel du même jugement contre la même intimée le 13 février 2015. De ce fait, l’appelante n’avait pas d’intérêt, à cette date, à agir une seconde fois contre la même décision alors qu’un autre appel était déjà en cours.

Le conseiller de la mise en état a fait droit à sa demande le 12 octobre 2015 en considérant que « les appels du 2 juin 2014 et du 13 février 2015 ont été signifiées tous deux à l’encontre de la même personne et de la même décision ; qu’après que le conseiller de la mise a déclaré caduc le premier appel sur le fondement de l’article 908 du Code de procédure civile, le droit d’appel de la société Z s’est trouvé éteint en application du principe "appel sur appel ne vaut ».

La Cour, statuant sur déféré, a confirmé l’ordonnance le 2 février 2016.

La société Z a alors formé un pourvoi. Elle fait grief à l’arrêt d’avoir déclaré l’appel irrecevable parce que, d’abord, dès lors que le délai n’est pas expiré, il est toujours possible de former appel. Ensuite, aucun texte, ni aucun principe, n’est à l’origine de l’adage « appel sur appel ne vaut ». Enfin, un second appel peut être formé, peu importe que la caducité d’un premier appel n’ait été prononcée.

Il revenait à la Haute juridiction de juger si une partie ayant déposé une déclaration d’appel susceptible d’être déclarée caduque peut être admise à former un second appel avant même le prononcé de la caducité du premier.

Il est vrai que les textes faisant référence à l’adage « appel sur appel ne vaut » sont assez anciens. Bénigne Poncet écrivait que « (…) ce que les voies contre les jugements ont encore de commun, c’est d’être, si l’on peut parler ainsi, exclusives d’elles-mêmes, en ce sens que lorsqu’elles ont été employées, il n’est plus possible d’y avoir recours une seconde fois, dans la même cause, entre les mêmes parties, en la même qualité ; c’est ce qu’on exprime dans la pratique, par ces mots : opposition sur opposition ne vaut, ni appel sur appel, ni tierce opposition sur tierce opposition, ni requête civile sur requête civile, ni cassation sur cassation, ni enfin prise à partie sur prise à partie » (Bénigne Poncet, Traité des jugements, Dijon, 1822, pp. 207 et 469).

De même, les décisions des juges du fond faisant application de l’adage ne sont pas légion. La cour d’appel de Paris a néanmoins déjà jugé que « l’appel est dénué de toute portée, à partir du moment où [la] décision avait déjà fait l’objet d’un appel antérieur, au regard de la règle, "appel sur appel ne vaut" » (CA Paris, 14 nov. 2013, n° 10/02545). De même, a été déclaré irrecevable le second appel d’une même décision (CA Paris, 12 févr. 2015, n° 15/00476 – CA Paris, 05 nov. 2015, n° 15/04010), en l’occurrence, l’appel de l’époux formé à la suite de celui de son épouse, dont il était codéfendeur (CA Toulouse, 15 mai 2013, n° 10/06995) ou le second appel de la même décision interjetée quelques jours après le premier par le même justiciable (CA Toulouse, 22 janv. 2014, n° 12/05151).

Par l’arrêt du 11 mai 2017, la 2e chambre civile de la Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir considéré que le second appel était irrecevable, non par application du principe « appel sur appel ne vaut » mais plutôt sur le défaut d’intérêt à agir. Ce qui, en réalité, aboutit à la même solution.

Cette décision modifiera, à n’en pas douter, la pratique qui consiste à réitérer des déclarations d’appel dans le but de contourner les stricts délais de procédure ou de réparer les éventuelles erreurs ou négligences de la première déclaration. Il est donc théoriquement toujours possible d’interjeter appel autant de fois que souhaité tant que le délai d’appel reste ouvert. C’est le chevauchement de procédures que sanctionne la Cour régulatrice.

Kodjovi SEDJRO, Avocat
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