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Le maire, le chef de service et le lycéen face au ramadan. Par Pierrick Gardien, Avocat.
Parution : jeudi 8 juin 2017
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Le maire, le chef de service et le lycéen sont chacun concernés par le mois de ramadan (رَمَضان), troisième pilier de l’islam, et plus particulièrement par la fête de l’Aïd el-Fitr (عيد الفطر) qui célèbre la fin du jeûne. Le premier est sollicité pour la mise à disposition de salles communales (1), le deuxième pour l’octroi d’autorisations d’absence (2), et le troisième pour les épreuves du baccalauréat (3).

1/ La mise à disposition de salles communales pendant le ramadan

Devant l’afflux de fidèles, et ne disposant souvent pas de locaux adaptés, il est fréquent que les associations musulmanes sollicitent du maire la mise à disposition de salles communales ou de gymnases afin de fêter l’Aïd el-Fitr à la fin du jeûne.

Il n’est pas rare que les maires refusent la mise à disposition sollicitée, arguant de l’impossibilité pour une collectivité de subventionner un culte, sur le fondement de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, ce qui a parfois été validé par des juridictions de première instance (pour un exemple, voir TA Versailles, ordonnance du 18 septembre 2015, Association des musulmans de Mantes Sud, n°1506105).

On conseillera toutefois aux maires d’être prudents en la matière.

En effet, le Conseil d’État considère qu’une commune doit accéder aux demandes de mise à disposition exceptionnelle d’une salle communale pour la célébration d’un culte tel que l’Aïd el-Fitr, sur le fondement des libertés de réunion et de culte, et de l’article L. 2144-3 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) (voir CE, ordonnance du 23 septembre 2015, Association des musulmans de Mantes Sud, n° 393639).

Cet article permet en effet à une commune d’autoriser, dans le respect du principe de neutralité à l’égard des cultes et du principe d’égalité, l’utilisation d’un local qui lui appartient pour l’exercice d’un culte par une association, dès lors que les conditions financières de cette autorisation excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte (c’est à dire en faisant payer l’association en contrepartie).

Cette position du Conseil d’État devra donc être prise en considération. Il n’en demeure pas moins que l’article L. 2144-3 du CGCT dispose également que les nécessités de l’administration des propriétés communales, du fonctionnement des services publics et du maintien de l’ordre public peuvent justifier un refus de mise à disposition. Un refus pourra par conséquent toujours s’envisager si des circonstances locales particulières le justifient. Que l’on pense par exemple à l’utilisation nécessaire des gymnases par les écoles, collèges et lycées publics, aux réservations antérieures de salles communales pour des spectacles, ou aux contraintes liées à la préservation de l’ordre public, dans le contexte contraint de l’état d’urgence. Les conditions élémentaires de sécurité et la réglementation applicable aux établissements recevant du public peuvent enfin s’opposer à la mise à disposition de certaines salles communales inadaptées à l’accueil de milliers de fidèles.

En tout état de cause, l’autorisation délivrée (le cas échéant) ne saurait qu’être exceptionnelle, strictement limitée dans le temps (seulement quelques heures) et en contrepartie d’une participation financière.

2/ Les autorisations d’absence pour la célébration des fêtes religieuses

Un certain nombre d’agents publics musulmans souhaitent bénéficier d’une autorisation d’absence afin de célébrer l’Aïd el-Fitr. Ne figurant par définition pas au calendrier chrétien, cette fête n’est pas considérée comme un jour férié en France. Les chefs de service sont par conséquent souvent confrontés à un afflux de demandes d’autorisations d’absence fin juin.

La circulaire du ministre de la fonction publique du 10 février 2012 relative aux autorisations d’absence pouvant être accordées à l’occasion des principales fêtes religieuses des différentes confessions dispose que trois fêtes musulmanes peuvent donner lieu à des autorisations exceptionnelles d’absence :

En application de ce texte, les chefs de service peuvent donc accorder aux agents qui la demandent une autorisation d’absence pour célébrer l’Aïd el-Fitr.

L’absence de l’agent pour la célébration de l’Aïd el-Fitr est conditionnée par la délivrance préalable, par le chef de service, de cette autorisation d’absence, qui n’est toutefois pas un droit pour l’agent : des motifs liés au fonctionnement normal du service public peuvent justifier un refus d’autorisation.

On note sur ce point que la date exacte de l’Aïd el-Fitr est souvent fixée à la dernière minute par les autorités religieuses (oulémas) puisqu’elle est arrêtée par l’observation du ciel et dépend de la position de la lune lors de la « Nuit du doute ». Si l’autorisation d’absence peut prévoir en son sein un décalage de dates possible, il n’en demeure pas moins que cette connaissance tardive et immédiate du jour de la fête peut être de nature à désorganiser le service public (que l’on pense par exemple au service public hospitalier) et justifier légalement un refus d’autorisation d’absence par le chef de service.

Enfin, les autorisations exceptionnelles d’absence ne concernent bien évidemment que les trois fêtes religieuses susvisées, et un agent public ne saurait pouvoir prétendre à des autorisations systématiques d’absence pendant tout le mois de ramadan.

3/ La conciliation du baccalauréat et du ramadan

Comme en 2016, le ramadan tombe pendant les épreuves du bac 2017 (RTL).

Bien évidemment, aucun report d’épreuve, aménagement ni autorisation d’absence ne saurait pouvoir être accordé aux lycéens sur ce fondement. En application du principe de laïcité, les convictions religieuses ne sauraient en effet pouvoir être opposées à l’obligation d’assiduité ni aux modalités d’un examen.

S’agissant spécifiquement de la fête de l’Aïd el-Fitr, qui coïncide souvent avec les épreuves orales de rattrapage du bac (début juillet), certains chefs d’établissement s’appuient sur une circulaire du 18 mai 2004 pour reporter les oraux des élèves concernés (FranceInfo). Le texte dispose en effet que :

Ce report d’épreuve est toutefois très exceptionnel et n’est pas de droit pour les élèves. Si une demande adressée au chef d’établissement est toujours possible, on incitera les lycéens à la plus grande prudence en la matière.

Pierrick Gardien Avocat Droit Public Barreau de Lyon [->contact@sisyphe-avocats.fr] 07 80 99 23 28 http://www.sisyphe-avocats.fr/ http://twitter.com/avocatpublic
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