Village de la Justice www.village-justice.com

Lutte contre les discriminations : pourquoi tant de haine ? Par Magali Baré, Consultante.
Parution : samedi 17 juin 2017
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/Lutte-contre-les-discriminations-pourquoi-tant-haine,25252.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

La lutte contre les discriminations a bien occupé les parlementaires en fin de législature : quatre lois successives, des erreurs de rédaction et une censure du Conseil constitutionnel. Ces nouvelles mesures peuvent-elles permettre une lutte plus efficace contre les discriminations ?

25 motifs interdits de discrimination, qui dit mieux ?

L’article L1132-1 du Code du travail a été l’objet d’une effervescence législative quelque peu rocambolesque. Ce texte est le fondement légal de l’interdiction des discriminations dans le Code du travail : « aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte … en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs… ». Suivait ensuite la liste des motifs prohibés, différents de ceux de l’article 225-1 du Code pénal.

L’énumération des motifs de discrimination a d’abord été supprimée par la loi de modernisation de la justice du 21ème siècle du 18 novembre 2016, dite J21, au profit d’un renvoi vers la loi du 27 mai 2008, non codifiée qui donne la liste des motifs applicables en droit pénal. Le justiciable devait donc aller lui-même rechercher cette loi pour pouvoir prendre connaissance des motifs de discrimination illicites.

Se rendant compte de la difficulté, la loi « Egalité et citoyenneté » du 27 janvier 2017 réintroduit les motifs dans l’article mais … le législateur s’est trompé de version, ce qui a entrainé la censure du Conseil constitutionnel. C’est finalement la loi du 28 février 2017 relative à l’égalité réelle outre-mer qui a inséré la liste des motifs interdits par le Code pénal dans le Code du travail.

Cet ultime texte en a profité pour ajouter un nouveau motif : la domiciliation bancaire. On voit mal comment un tel critère peut concerner les relations de travail ou les candidats à un emploi. A juste titre car il s’agit en réalité de protéger les ultramarins pénalisés par certaines pratiques des banques et des agences immobilières en métropole.

Les motifs déjà existants ne semblent pas évoluer fondamentalement bien que certaines appellations soient différentes.

L’identité sexuelle devient l’identité de genre. Nous ne rentrerons pas dans le détail, pour les uns c’est la même chose et pour d’autres c’est profondément différent. Surtout c’était inutile car le genre pouvait être inclus dans la notion de mœurs.

Le nom de famille redevient le patronyme. C’est cocasse car ce terme a été abandonné en 2002 car il était jugé sexiste.

Les convictions religieuses deviennent l’appartenance ou non à une religion déterminée. Ça change quelque chose ? Oui, apparemment ça exclut les conflits entre membres d’une même religion.

De nouveaux motifs ont également fait leur apparition car ils n’existaient auparavant que dans le droit pénal et, pour certains leur transposition dans le droit du travail intrigue. La perte d’autonomie par exemple. Ce motif vise les personnes dépendantes, soit essentiellement des personnes âgées, qui ne travaillent pas. Dans quelles situations professionnelles ce critère pourra-t-il être utilisé ? Certains avancent l’idée qu’il concernerait les salariés qui se voit retirer leur permis de conduire. Cela nous paraît peu vraisemblable et nécessiterait de faire évoluer la jurisprudence bien établie selon laquelle l’employeur peut prononcer un licenciement pour trouble objectif au bon fonctionnement de l’entreprise si la perte de son permis empêche le salarié d’exécuter son travail.

Nouveau critère également : la capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français. Cela viserait les locuteurs d’une langue régionale, soupçonnés par l’employeur de vouloir porter atteinte à l’unité républicaine. Les débats parlementaires ont également évoqué les accents… Pour le défenseur des droits, ce critère est « complètement à côté de la plaque par rapport aux vrais critères de discrimination ».

Et encore, nous n’avons échappé à la prohibition des discriminations fondées sur la « grande taille » que grâce à la présence d’esprit d’un député qui s’est ému du sort des gens de « petite taille » !

C’est le risque des définitions sous forme de liste : chacun veut bénéficier de la protection reconnue aux autres et la liste ne cesse de s’allonger au risque de devenir incompréhensible. L’incapacité à conceptualiser les comportements que l’on veut bannir et la méconnaissance du rôle du juge, chargé d’appliquer des règles générales à des faits qui lui sont présentés, conduisent à des listes à la Prévert inapplicables. Pourquoi ne pas tout simplement énoncer qu’une discrimination interdite est le fait de traiter différemment deux personnes sans raison objective ?

Action de groupe : On est loin de la « class-action »

La loi J21 a donné la possibilité aux organisations syndicales représentatives ainsi qu’aux associations de lutte contre les discriminations, ou œuvrant dans le domaine du handicap, d’introduire une action collective devant le juge lorsque plusieurs personnes estiment être victimes de discrimination.

La procédure est assez complexe pour des résultats plutôt décevants. Le but de cette action n’est pas d’obtenir l’indemnisation intégrale des salariés victimes mais en premier lieu de faire cesser le manquement de l’employeur. Mais pas tout de suite, car avant de saisir un juge, l’organisation syndicale doit mettre en demeure l’employeur de faire cesser la discrimination et attendre 6 mois avant de saisir le Tribunal ou le refus formel de l’employeur. C’est au moins l’occasion d’amorcer un dialogue dans l’entreprise sur les pratiques jugées illicites par certains.

Lorsque l’action de groupe a pour objectif de faire cesser une discrimination, le juge, s’il en constate l’existence, va enjoindre au responsable d’y mettre un terme, éventuellement sous astreinte (au profit du Trésor public). Lorsqu’il s’agit d’obtenir une indemnisation, le juge va statuer sur l’existence de la discrimination, puis définir les critères de rattachement au groupe et fixer un délai pour que les personnes concernées puissent le rejoindre et demander une réparation de leur préjudice.

Au terme de ce parcours du combattant, que peut espérer obtenir un salarié qui s’estime victime d’une discrimination ? Pas grand-chose. Le préjudice indemnisable est uniquement celui qui est né après la demande de cessation du manquement dans la mise en demeure du syndicat. La réparation du préjudice passé suppose une nouvelle action devant le Conseil de prud’hommes car il n’existe pas de passerelle entre les deux procédures. Le salarié doit tout recommencer. Son intérêt à rejoindre une action de groupe va être assez faible lorsque la discrimination est ancienne.

L’action de groupe sera ce qu’en feront ceux qui ont le pouvoir de la déclencher. Les situations injustes existent et il faut y mettre un terme. Le lanceur d’une telle procédure, ciblant une entreprise en particulier, ne manquera pas d’attirer l’attention des médias, véhiculant ainsi l’image d’un mauvais employeur peu respectueux des personnes. Cet éclairage sur une situation est parfois souhaitable, parfois pure instrumentalisation. Souhaitons que ceux qui ont le pouvoir d’allumer cette mèche, auront à cœur de défendre les intérêts des personnes et pas seulement de s’auto-attribuer à bon compte des médailles de redresseur de torts.

La première action de groupe a été lancée le 23 mai 2017 par la CGT qui y met les moyens : pour la représenter un pool de quatre cabinets d’avocats spécialisés et une annonce faite dans une conférence de presse organisée à son siège de Montreuil. Capitalisant sur son expérience et un certain nombre de victoires en matière de discrimination syndicale, elle a adressé une mise en demeure au PDG d’une société appartenant à un grand groupe concernant 34 élus et mandatés CGT de différents sites qui contestent leur évolution de carrière et s’estiment victimes de discrimination.

Le sujet souverain en matière de lutte contre les discriminations demeure donc indétrônable. A juste titre, car la discrimination syndicale a bel et bien existé et est encore présente. Mais ce n’est pas la seule. Les discriminations entre hommes et femmes ou celles qui sont liées aux origines, premier motif de saisine du Défenseur des droits, demeurent notables en France et méritent aussi d’être combattues avec les mêmes moyens et la même énergie.

Magali Baré Consultante Cabinet IDée Consultants www.ideeconsultants.fr