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Comment établir son lien de filiation paternelle à l’égard de l’enfant ? Par Aurélie Thuegaz, Avocat.
Parution : samedi 17 juin 2017
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Si le lien de filiation de la mère à l’égard de l’enfant est établi sans grande difficulté, par la désignation de la mère dans l’acte de naissance de l’enfant, qu’elle soit mariée ou non, et sans qu’elle ait besoin de faire la démarche de la reconnaissance (article 311-25 du Code civil), l’établissement de la filiation du père peut s’avérer plus problématique, or, le lien de filiation a un réel impact sur l’autorité parentale.

En droit français, il existe quatre modes d’établissement de la filiation : l’établissement non contentieux (par l’effet de la loi, par une reconnaissance volontaire ou par la possession d’état constatée dans un acte de notoriété) et l’établissement contentieux (par un jugement).

L’établissement de la filiation paternelle par l’effet de la loi : la présomption de paternité.

L’élément essentiel s’agissant du domaine de la présomption de paternité est qu’elle bénéficie uniquement au père marié. Les pères non mariés doivent toujours reconnaître l’enfant ou faire constater la possession d’état pour établir le lien de filiation.
Cette présomption de paternité est prévue par l’article 312 alinéa premier du Code civil, lequel dispose que « l’enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari ». L’enfant est donc couvert par la présomption de paternité s’il est né pendant le mariage, ou conçu pendant le mariage mais né 10 mois après la dissolution de celui-ci (article 311 du Code civil).

L’exclusion de la présomption de paternité.

Si l’on se trouve dans la situation où l’enfant est couvert par la présomption de paternité, celle-ci est néanmoins exclue lorsque l’enfant a été conçu dans des circonstances rendant peu probable la paternité du mari. Ces circonstances sont prévues par l’article 313 du Code civil, lequel en expose deux :
- La personne qui a déclaré la naissance à l’officier d’état civil n’a désigné le mari en qualité de père.
- L’enfant a été conçu pendant une période de séparation légale, c’est-à-dire lorsque les parents ont fait une demande en divorce ou en séparation de corps.

Dans ces deux hypothèses, la présomption de paternité, qui aurait dû normalement s’appliquer car l’enfant est bien « conçu ou né pendant le mariage », est exclue et la filiation paternelle n’est pas établie.

Le rétablissement de la présomption de paternité.

Si la présomption de paternité avait dû jouer, mais est exclue en raison de circonstances rendant peu probable la paternité du mari, elle peut néanmoins être rétablie de trois manières différentes :
- L’établissement d’une possession d’état à l’égard du mari ;
- La reconnaissance de l’enfant par le mari. Cette solution est à privilégier car il est plus simple de reconnaître un enfant que de faire dresser un acte de notoriété constatant la possession d’état.
- L’action en rétablissement de la présomption de paternité : prévue par l’article 329 du Code civil, cette action peut être exercée par les parents pendant la minorité de l’enfant, puis par l’enfant majeur pendant 10 ans. Il s’agira alors de prouver que le mari est le père biologique (une expertise biologique pourra être ordonnée).

L’établissement de la filiation paternelle par la reconnaissance de paternité.

Dans l’hypothèse où le père biologique de l’enfant n’est pas marié à la mère, le plus simple pour établir le lien de filiation du père est de procéder à une reconnaissance de paternité, c’est-à-dire de déclarer, dans un acte authentique (établi par le notaire ou l’officier d’état civil), sa paternité à l’égard de l’enfant.

Cette reconnaissance présente deux avantages.
Premièrement, aucun délai n’est imposé pour procéder à une reconnaissance. Elle peut donc subvenir à tout moment : avant la naissance de l’enfant (l’article 316 du Code civil consacrant expressément la reconnaissance prénatale), après sa majorité ou même après son décès.
Deuxièmement, la reconnaissance de paternité est libre donc elle n’est pas soumise au consentement de l’enfant ou de la mère et, en principe, elle n’est pas obligatoire. Il faut cependant noter que les juges semblent parfois admettre que celui qui sait être le parent d’un enfant, mais qui ne le reconnaît pas, engage sa responsabilité délictuelle (c’est dans ce sens qu’ont statué les juges de la cour d’appel de Colmar, le 23 juin 2005, la cour ayant estimé « qu’en ne procédant pas à la reconnaissance d’un enfant qu’il savait être le sien et en ne lui conférant pas le statut et les avantages attachés à une filiation légalement établie, le père a agi avec désinvolture et irresponsabilité et manqué à ses devoirs élémentaires vis-à-vis de son enfant, ce qui est constitutif d’un comportement fautif même s’il n’existe pas de texte stigmatisant ce type d’attitude »).

L’établissement de la filiation paternelle par la possession d’état.

Que faire dans l’hypothèse où le père ne veut pas, ou ne peut pas, reconnaître l’enfant ?

Dans ce cas, il est possible d’établir la filiation par la possession d’état qui se définit comme le fait qu’un enfant se comporte et est considéré comme tel. Pour permettre d’établir le lien de filiation, la possession d’état doit être constatée dans un acte de notoriété délivré par le juge des tutelles (article 317 du Code civil) sur la déclaration de trois témoins attestant la réunion des éléments constitutifs de la possession d’état.

Les éléments constitutifs de la possession d’état

Pour constater la possession d’état d’enfant, le juge prendra en compte trois éléments principaux (article 311 du Code civil) :
- Le fait que le père traite l’enfant comme le sien, en pourvoyant à son éducation, son entretien et que l’enfant traite également le père comme le sien.
- Le fait que le milieu social et familial considère le père comme celui de l’enfant.
- Le fait que l’enfant porte effectivement le nom de son père.

Par ailleurs, le fait que le père pourvoit à l’éducation de l’enfant ne suffit pas en tant que tel. Il doit le faire de manière continue, paisible, publique et non équivoque. Ainsi, il doit le faire de manière habituel et pendant une assez longue période. Néanmoins, les juges se montrent particulièrement souples dans leur appréciation et il n’est pas exigé que le père traite l’enfant comme le sien de manière constante, depuis la naissance de l’enfant ou que le père et l’enfant vivent ensemble (Civ.1ère, 3 mars 1992).

Conditions de délivrance de l’acte de notoriété constatant la possession d’état

L’acte de notoriété ne peut être demandé que par la mère, le père ou l’enfant pendant toute la durée de la possession d’état et dans un délai maximum de 5 ans, à compter du jour de la cessation de la possession d’état ou du jour du décès du parent.
Une fois ce délai de 5 ans écoulé, seule l’action en constatation de la possession d’état est envisageable, au profit de tout intéressé, pendant 10 ans à compter de la cessation de la possession d’état ou du décès du parent prétendu (article 330 du Code civil). Il faudra alors démontrer que tous les éléments constitutifs de la possession d’état sont réunis.

L’établissement de la filiation paternelle par l’action en recherche de paternité.

Lorsque l’enfant n’est pas couvert par la présomption de paternité (son père n’était pas marié à sa mère), n’a pas été reconnu par son père et ne dispose pas d’une possession d’état (son père n’est pas présent dans sa vie), la filiation paternelle pourra être établie par le biais d’une action en recherche de paternité.
L’action en recherche de paternité, prévue à l’article 327 du Code civil, peut être exercée par la mère pour le compte de l’enfant dans les 10 ans suivant sa naissance, et par l’enfant à partir de sa majorité et jusqu’à ses 28 ans.
Afin de prouver la paternité, une expertise biologique pourra être ordonnée par le juge.

Quel est l’impact de l’établissement de la filiation paternelle sur l’autorité parentale ?

Il faut bien distinguer l’attribution de l’autorité parentale (le fait d’être titulaire de ce droit) et l’exercice de l’autorité parentale (la mise en œuvre concrète de ce droit).
S’agissant de l’attribution (et donc de la titularité) de l’autorité parentale, celle-ci appartient au père et à la mère et uniquement à eux (article 371-1 du Code civil). Elle résulte donc de l’établissement du lien de filiation de l’enfant. Dès que le père a établi son lien de filiation avec l’enfant, il est titulaire de l’autorité parentale.
S’agissant de l’exercice de l’autorité parentale, il est en principe conjoint c’est-à-dire que le père et la mère prennent ensemble les décisions concernant l’enfant (article 372 du Code civil). Néanmoins, deux exceptions à l’exercice commun de l’autorité sont prévues :
- Lorsque la filiation a été établie à l’égard du père plus d’un an après la naissance de l’enfant ;
- Lorsque la filiation est judiciairement établie à l’égard du père (suite à une action en recherche de paternité, une action en constatation de la possession d’état ou une action en rétablissement de la présomption de paternité).

Ainsi, si par exemple une reconnaissance de paternité a été faite plus d’un an après la naissance de l’enfant, le père sera titulaire de l’autorité parentale mais ne l’exercera pas. Il conserve tout de même le droit de surveiller l’entretien et l’éducation de l’enfant (article 373-2-1 du Code civil) et bénéficie aussi d’un droit de visite et d’hébergement (article 373-1 du Code civil).
Toutefois, même dans ces deux cas, l’autorité parentale peut être conjointe si les parents en font la déclaration au greffe du Tribunal de grande instance ou sur décision du juge aux affaires familiales (article 372 du Code civil).

Aurélie Thuegaz Thuegaz Avocats
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