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L’action récursoire des caisses à la suite de l’arrêt de la Cour de Cassation du 24 mai 2017. Par Renaud Deloffre, Conseiller à la cour d’appel de Douai.
Parution : vendredi 23 juin 2017
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Dans un article paru sur ce site en novembre 2016 sur « les perspectives d’évolution du contentieux de la faute inexcusable à la suite des nouvelles règles régissant l’action récursoire des caisses » étaient envisagées les conséquences sur l’action récursoire des caisses en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur de deux événements successifs à savoir l’introduction d’un nouvel article L.452-3-1 dans le Code de la sécurité et surtout le revirement de jurisprudence constitué par l’arrêt de la deuxième chambre Civile du 31 mars 2016 (n° de pourvoi 14-300015 qui permettait de penser que l’action récursoire de la caisse ne se heurtait plus désormais qu’aux motifs d’inopposabilité de fond de la décision de prise en charge.

Un arrêt du 24 mai 2017 de la Cour de Cassation ( numéro de pourvoi 1617644) modifie sensiblement les perspectives qui pouvaient être dégagées à la lecture de l’arrêt du 31 mars 2016 et permet d’envisager non pas la diminution mais la disparition pure et simple des contestations à l’initiative des employeurs destinées à faire échec à l’action récursoire des caisses pour recouvrement à leur encontre des sommes avancées par ces dernières sur le fondement des articles L.453-2 et L.453-3 du Code de la sécurité sociale.

Il convient de rappeler que les caisses de sécurité sociale disposent contre les employeurs ayant commis une faute inexcusable d’une action récursoire prévue par l’article L.452-2 du Code de la sécurité sociale en ce qui concerne la récupération, sous la forme prévue par cet article dans ses versions successives, de la majoration de rente d’accident du travail et par l’article L.452-3 du même Code en ce qui concerne les indemnisations complémentaires revenant à la victime sur le fondement de ce texte.

Jusqu’à l’introduction dans le code d’un nouvel article L.452-3-1, cette action récursoire se heurtait à la reconnaissance de l’inopposabilité à l’employeur des décisions de prise en charge de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle soit pour des motifs de fond tenant à l’absence d’une ou plusieurs conditions requises par le tableau en cause soit pour des motifs de forme tenant aux irrégularités commises par la caisse tant en ce qui concerne la phase d’instruction du dossier que la phase de consultation de ce dernier par l’employeur.

L’article L.452-3-1 du code de la sécurité sociale introduit dans ce code par l’article 86 de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013 prévoit que « quelles que soient les conditions d’information de l’employeur par la caisse au cours de la procédure d’admission du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l’obligation pour celui-ci de s’acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L.452-1 à L.452-3. »

La question se posait de savoir qu’elle était la portée exacte de ce texte dont il semblait clairement résulter que seuls les motifs d’inopposabilité de la décision de prise en charge pour des raisons tenant au non respect de la procédure d’information de l’employeur telle que prévue par l’ancien article R.441-11 puis à partir du 1er janvier 2010 par le nouvel article R.441-14 privent la caisse de son action récursoire pour recouvrement des majorations de rente et indemnités des articles précités L.452-2 et L.452-3 tandis que les motifs d’inopposabilité tenant au non respect des règles relatives à l’instruction des dossiers de déclarations d’accident du travail ou de maladie professionnelle ainsi que les motifs de fond tenant au caractère injustifié de la prise en charge au regard des conditions posées par les tableaux, laisseraient subsister l’action récursoire des caisses sur ces points.

Dans un arrêt du 31 mars 2016, 31 mars 2016 (n° de pourvoi 14-300015) la 2ème Chambre Civile de la Cour de Cassation indiquait dans une formulation tout à fait générale et qui n’était pas rendue au visa d’un texte particulier que « l’irrégularité de la procédure ayant conduit à la prise en charge, par la caisse, au titre de la législation professionnelle, d’un accident, d’une maladie ou d’une rechute, qui est sans incidence sur l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur ne prive pas la caisse du droit de récupérer sur l’employeur, après reconnaissance de cette faute, les compléments de rente et indemnités versés par elle ».

Dans cette affaire, l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur avait été engagée le 2 septembre 2011 devant le Tribunal des affaires de Sécurité Sociale et les dispositions de l’article L.452-3-1 du Code de la sécurité sociale ne s’appliquaient pas, ce nouveau texte ne concernant que les actions en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur introduite devant les tribunaux des affaires de sécurité sociale à compter du 1er janvier 2013.

Il s’ensuivait que la Cour de Cassation avait entendu poser la règle générale selon laquelle les irrégularités de procédure ne privent pas la caisse de son action récursoire et que cette règle générale se substituait en quelque sorte, pour les actions concernées, aux dispositions de l’article L.453-2-1 dont on pouvait penser qu’elle les rendait sans objet.

Il convenait de relever que la formulation retenue par la Cour de Cassation ne faisait pas référence, comme l’article L.452-3-1 du Code, aux irrégularités commises par la caisse dans l’information de l’employeur mais, de manière générale, aux irrégularités de procédure et que l’on pouvait donc penser, au vu de cette formulation, que toutes les irrégularités de procédure commises par la caisse laissaient subsister l’action récursoire de cette dernière, qu’elles résultent de la méconnaissance par elle des règles d’information de l’employeur posées par les articles R.411-11 puis R.411-14 du Code de la sécurité sociale mais également de ses obligations en matière d’instruction des dossiers.

L’on pouvait également penser, au vu de la même formulation de l’arrêt, que les inopposabilités des décisions de prise en charge pour des motifs de fond tirés de l’absence d’une ou plusieurs des conditions requises par un tableau des maladies professionnelles continuaient à faire obstacle à l’action récursoire de la caisse, la réponse positive semblant s’inférer de l’expression « irrégularité de procédure » employée par la Cour de Cassation puisque l’absence d’une des conditions en question ne semble pas devoir s’analyser en une telle irrégularité.

Un arrêt rendu par la 2ème Chambre Civile de la Cour de Cassation le 24 mai 2017 sous le numéro de pourvoi 1617644 semble remettre en cause ces conjectures.

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt en question, un jugement irrévocable d’un Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale avait déclaré inopposable à l’employeur la décision de prise en charge pour le motif tiré du caractère définitif à l’égard de ce dernier de la décision initiale de refus de prise en charge qui lui avait été notifiée par la caisse.

Après avoir rappelé les dispositions de l’article L.452-3-1 du Code de la sécurité sociale, les juges d’appel avaient retenu que l’inopposabilité ainsi jugée n’était pas la conséquence de l’absence de caractère professionnel de la maladie ce dont ils avaient déduit qu’elle ne faisait pas obstacle à cette action récursoire.

L’employeur faisait valoir, tant en cause d’appel qu’en cassation, que le caractère définitif de la décision initiale de refus de prise en charge de la maladie s’opposait à ce que la caisse puisse exercer cette action.

La Cour de Cassation confirme l’arrêt déféré mais en substituant la motivation suivante aux motifs retenus par les juges d’appel :

Mais attendu qu’ayant pour objet exclusif la prise en charge ou le refus de prise en charge au titre de la législation professionnelle, de l’accident, de la maladie ou de la rechute, la décision prise par la caisse dans les conditions prévues par l’article R. 441-14 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, est sans incidence sur l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur ;
Et attendu que la cour d’appel était saisie d’une demande de la caisse tendant à récupérer, sur le fondement de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, les préjudices alloués à la victime et à ses ayants droit en réparation de la faute inexcusable de la société ;
Qu’il en résulte que l’inopposabilité à la société de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle ne faisait pas obstacle à l’action récursoire de la caisse à l’encontre de la société ;

Il semble résulter de la formulation de cet arrêt que la Cour de Cassation a entendu instaurer une totale étanchéité entre la procédure suivie devant la caisse au titre de la prise en charge de la maladie déclarée et l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, laquelle ne serait en conséquence aucunement affectée par la décision de la caisse ni en ce qui concerne la caractérisation de la faute inexcusable ni en ce qui concerne ses conséquences indemnitaires.

La Cour ne distingue d’ailleurs aucunement l’inopposabilité tenant à l’irrégularité de la procédure de celle tenant à l’absence de caractère professionnel de la maladie dans les rapports entre la caisse et l’employeur puisqu’elle pose le principe selon lequel l’inopposabilité, sans autre précision, ne fait pas obstacle à l’action récursoire de la caisse.

Il résulte en outre de cet arrêt que la décision de refus initial de prise en charge s’analyse en définitive comme un moyen d’inopposabilité de la décision de prise en charge finalement intervenue et qu’à ce titre elle ne fait pas obstacle à l’action récursoire de la caisse.

Il est ainsi hautement vraisemblable que la Cour ait entendu décider que l’action récursoire de la caisse s’exercerait en toute hypothèse et qu’elle ne pouvait désormais plus être tenue en échec ni par une décision d’inopposabilité, quel qu’en soit le motif, ni par une décision initiale de refus de prise en charge.

Si cette jurisprudence se confirme, on peut penser qu’ il n’y a aucune raison logique qu’elle reste cantonnée aux procédures d’instruction régies par l’article R.441-14 nouveau au visa de laquelle elle est intervenue et il est vraisemblable qu’elle s’appliquera également aux procédures régies par les dispositions de l’ancien article R.441-11 du Code dans leur rédaction antérieure à l’entrée en vigueur du décret du 29 juillet 2009, dispositions qui, aux termes d’un arrêt du 24 janvier 2013 au Bull Civ II n° 15, restent applicables aux procédures d’instruction engagées par la caisse avant le 1er janvier 2010.

Bien qu’ils ne présentent sans doute pas un intérêt comparable à celui faisant l’objet des développements qui précèdent, il n’est pas inutile de mentionner deux arrêts rendus à la même date sous les numéros 16-17.726 et 16.17.728 dans lesquels la Cour reprend presque à l’identique la formulation de l’arrêt du 31 mars 2016 telle que reproduite ci-dessus mais en la faisant précéder du visa des articles L.452-2, L.452-3 et R.441-14 du Code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue du décret du 29 juillet 2009.

Une lecture a contrario de ces arrêts effectuée indépendamment de l’arrêt 1617644 précédemment rendu pourrait amener un commentateur rapide à considérer que le maintien de l’action récursoire de la caisse ne vaut que dans le cadre de l’article R.441-14 nouveau et qu’il ne s’appliquerait donc ni aux procédures d’instruction engagées dans le cadre de l’article R.441-11 ancien ni aux moyens d’inopposabilité portant sur le défaut de respect du contradictoire en méconnaissance des dispositions de l’article R.441-11 nouveau.

Force est cependant de constater que les règles posées par ces deux arrêts sont parfaitement compatibles avec l’interprétation qui précède de l’arrêt 1617644 puisque si l’on retient que ce dernier pose le principe du maintien sans exception de l’action récursoire de la caisse, il s’en déduit en toute logique que les irrégularités de la procédure suivie en application du nouvel article R.441-14, au même titre que toutes les autres irrégularités tant de forme que de fond entraînant l’inopposabilité de la décision de prise en charge, ne privent pas la caisse de son action récursoire.

En l’état des décisions récemment rendues, l’on peut donc penser que la Cour de Cassation s’oriente clairement vers un maintien en toute hypothèse de l’action récursoire de la caisse en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.

Il faut espérer que la Cour aura prochainement l’occasion de se prononcer sur les conséquences sur l’action récursoire de la caisse d’une inopposabilité de fond d’une décision de prise en charge pour que la jurisprudence en la matière puisse être considérée comme durablement stabilisée.

Renaud Deloffre Conseiller à la Chambre Sociale de la Cour d’Appel de DOUAI Docteur de troisième cycle en sciences juridiques