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L’intérêt à agir contre un permis de construire modificatif. Par Tiffen Marcel, Avocat.
Parution : jeudi 22 juin 2017
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Par son arrêt du 17 mars 2017 (CE, 17 mars 2017, req. n°396362), le Conseil d’Etat précise les conditions de recevabilité des recours en excès de pouvoir contre les arrêtés portant permis de construire modificatif : l’intérêt à agir contre un permis de construire modificatif d’un requérant n’ayant pas contesté le permis de construire initial, s’apprécie au regard des seules modifications apportées au projet par ledit permis modificatif.

Depuis plusieurs années, la jurisprudence administrative et les réformes apportées aux dispositions du Code de l’urbanisme vont dans le sens d’un contrôle de plus en plus rigoureux de l’intérêt à agir contre les autorisations d’urbanisme, dans le but, notamment, de prévenir les contestations abusives.

Depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme, les conditions de recevabilité des recours en excès de pouvoir contre les autorisations d’urbanisme sont codifiées à l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme :

« Une personne autre que l’État, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du Code de la construction et de l’habitation ».

Par son arrêt de principe du 10 juin 2015 (CE, 10 juin 2015, req. n°386121), le Conseil d’État a précisé les conditions d’aménagement de la charge de la preuve de cet intérêt à agir :
« Considérant qu’il résulte de ces dispositions qu’il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien ; qu’il appartient au défendeur, s’il entend contester l’intérêt à agir du requérant, d’apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité ; qu’il appartient ensuite au juge de l’excès de pouvoir de former sa conviction sur la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l’auteur du recours qu’il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci ;  ».

A cette occasion, le Conseil d’État a jugé que la seule circonstance selon laquelle le projet contesté serait situé à 700 mètres des habitations des requérants, et directement visible depuis celle-ci, ne suffit pas, par elle-même, à leur donner intérêt à agir contre le permis de construire autorisant le projet :
« Considérant que les circonstances, invoquées par les requérants, que leurs habitations respectives soient situées à environ 700 mètres de la station en projet et que celle-ci puisse être visible depuis ces habitations ne suffisent pas, par elles-mêmes, à faire regarder sa construction comme de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance des biens des requérants ; que, toutefois, ceux-ci font également valoir qu’ils seront nécessairement exposés, du fait du projet qu’ils contestent, à des nuisances sonores, en se prévalant des nuisances qu’ils subissent en raison de l’existence d’une autre station de conversion implantée à 1,6 km de leurs habitations respectives ; qu’en défense, la société Eleclink, bénéficiaire de l’autorisation de construire, se borne à affirmer qu’en l’espèce, le recours à un type de construction et à une technologie différents permettra d’éviter la survenance de telles nuisances ; que, dans ces conditions, la construction de la station de conversion électrique autorisée par la décision du préfet du Pas-de-Calais du 14 août 2014 doit, en l’état de l’instruction, être regardée comme de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance des maisons d’habitation des requérants ; que, par suite, la fin de non-recevoir soulevée par la société Eleclink et par le préfet du Pas-de-Calais doit être écartée ; ».

Par son arrêt du 10 février 2016 (CE, 10 février 2016, req. n°387507), le Conseil d’État a ensuite précisé que la seule qualité de voisin direct d’un projet ne suffit pas non plus, par elle-même, à donner intérêt à agir contre le permis de construire l’autorisant :
« Considérant que les écritures et les documents produits par l’auteur du recours doivent faire apparaître clairement en quoi les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien sont susceptibles d’être directement affectées par le projet litigieux ; qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour justifier de leur intérêt à agir, les requérants se sont bornés à se prévaloir de leur qualité de " propriétaires de biens immobiliers voisins directs à la parcelle destinée à recevoir les constructions litigieuses " ; que, par ailleurs, les pièces qu’ils ont fournies à l’appui de leur demande établissent seulement que leurs parcelles sont mitoyenne pour l’une et en co-visibilité pour l’autre du projet litigieux  ; que, le plan de situation sommaire des parcelles qu’ils ont produit ne comportait que la mention : " façade sud fortement vitrée qui créera des vues " ; qu’invités par le greffe du tribunal administratif, par une lettre du 28 août 2014, à apporter les précisions nécessaires à l’appréciation de l’atteinte directe portée par le projet litigieux à leurs conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de leur bien, ils se sont bornés à produire, le 5 septembre suivant, la copie de leurs attestations de propriété ainsi que le plan de situation cadastral déjà fourni ; que, dans ces conditions, la présidente de la deuxième chambre du tribunal administratif de Marseille a procédé à une exacte qualification juridique des faits en jugeant que les requérants étaient dépourvus d’intérêt à agir contre le permis de construire litigieux ; que c’est sans commettre d’erreur de droit ni méconnaître l’article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ni aucun principe qu’elle a rejeté leur demande comme manifestement irrecevable par ordonnance, sans audience publique, sur le fondement du 4° de l’article R. 222-1 du code de justice administrative ; »

Par son arrêt du 13 avril 2016 (CE, 13 avril 2016, req. n°389798), la juridiction suprême a finalement considéré que le voisin immédiat d’un projet bénéficiait d’une présomption d’un intérêt lui donnant qualité pour agir dès lors qu’il fait état d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction :

« (…) qu’égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d’un intérêt à agir lorsqu’il fait état devant le juge, qui statue au vu de l’ensemble des pièces du dossier, d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction ;  ».

La question se posait toujours de savoir si l’intérêt à agir contre un permis de construire modificatif devait s’analyser au regard du projet global tel que résultant des différentes autorisations d’urbanisme successives, ou uniquement au regard des modifications apportées au projet par le permis de construire modificatif attaqué.

Par son arrêt du 17 mars 2017 (CE, 17 mars 2017, req. n°396362), le Conseil d’État apporte un élément de réponse à cette question en énonçant :
« 5. Il résulte de ces dispositions qu’il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien. Lorsque le requérant, sans avoir contesté le permis initial, forme un recours contre un permis de construire modificatif, son intérêt pour agir doit être apprécié au regard de la portée des modifications apportées par le permis modificatif au projet de construction initialement autorisé. Il appartient dans tous les cas au défendeur, s’il entend contester l’intérêt à agir du requérant, d’apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l’excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l’auteur du recours qu’il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci. Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d’un intérêt à agir lorsqu’il fait état devant le juge, qui statue au vu de l’ensemble des pièces du dossier, d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction.

6. En jugeant, pour rejeter leur demande comme manifestement irrecevable, que M. et Mme D...ne justifiaient pas d’un intérêt à agir contre le permis de construire modificatif attaqué, alors qu’ils avaient établi être propriétaires d’une maison à usage d’habitation située à proximité immédiate de la parcelle d’assiette du projet et avaient produit la décision attaquée, de laquelle il ressortait que le permis litigieux apportait des modifications notables au projet initial, affectant son implantation, ses dimensions et l’apparence de la construction, ainsi que divers clichés photographiques, pris depuis leur propriété, attestant d’une vue directe sur la construction projetée, la présidente de la 1ère chambre du tribunal administratif de Toulon a inexactement qualifié les faits de l’espèce. »

Par cet arrêt, le Conseil d’État précise donc que lorsqu’un requérant n’a pas contesté le permis de construire initial, son intérêt à agir contre le permis de construire modificatif doit s’apprécier au regard des seules modifications apportées par celui-ci au projet initialement autorisé.

Une question reste cependant sans réponse :

Lorsqu’un requérant a contesté le permis de construire initial et que la recevabilité de son recours a été reconnue par la juridiction, ce requérant est-il, par principe, recevable à agir contre le permis de construire modificatif ou, au contraire, dans l’hypothèse où le permis de construire modificatif réduirait l’ampleur du projet, son recours pourrait-il être jugé irrecevable ?

Si le Conseil d’État n’apporte pas de réponse précise à cette question, cette jurisprudence semble en tout cas aller dans le sens d’un contrôle de plus en plus strict de la recevabilité des recours contre les permis de construire.

Tiffen Marcel Avocate au barreau de Paris [->tiffen.marcel@obsalis.fr] [->https://www.obsalis.fr/]