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Concepteurs de logiciels : savez-vous si votre création est originale ? Par Charlotte Urman, Conseil en PI.
Parution : jeudi 6 juillet 2017
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Compte tenu de l’envergure prise par les créations informatiques dans le business des entreprises, elles constituent de nos jours une valeur que les concepteurs souhaitent souvent protéger. Pour autant, il n’existe pas de protection légale spécialement mise en place pour ce type d’actifs incorporels qui peuvent naturellement être protégés par le droit d’auteur en France.
Si l’on voit bien comment apprécier l’originalité d’une œuvre d’art classique, il est plus difficile d’appliquer cette notion à une création informatique.
Voici donc quelques pistes d’après la jurisprudence en la matière pour réussir à mettre en œuvre le droit d’auteur dans le domaine informatique.

La protection d’un logiciel est assurée en France principalement par le droit d’auteur qui est obtenu sans formalité.

Ceci étant certains éléments du logiciel ne pourront jamais bénéficier de cette protection « automatique », à savoir les éléments à la base du logiciel et de sa logique, par exemple le concept de base, les algorithmes, les procédures et méthodes de fonctionnement/fonctionnalités, le cahier des charges, la documentation d’utilisation du logiciel, etc.

En revanche, le droit d’auteur peut être appliqué aux éléments tels que le code source, le matériel de conception préparatoire, le code objet et l’architecture du programme.

Pour être en mesure d’activer cette protection, encore faut-il être capable de démontrer la date de la création (et ainsi que l’on est antérieur à d’autres), le fait que l’on est bien propriétaire des droits (la titularité) et également que la création logicielle est originale. Car l’originalité est la condition essentielle de cette protection.

# Alors qu’est-ce que l’originalité appliquée au cas spécifique des logiciels et autres créations informatiques ?

Traditionnellement, une œuvre est originale si elle reflète la personnalité de son auteur. On le comprend assez aisément pour les domaines artistiques, comme par exemple pour un roman ou une peinture. Ceci étant, cette définition assez subjective s’accorde difficilement avec l’aspect technique des logiciels.

Aussi, les tribunaux ont opté pour une définition opérationnelle de l’originalité pour le domaine informatique. Elle est désormais définie comme « un effort personnalisé allant au-delà de la simple mise en œuvre d’une logique automatique et contraignante » (Cass., Ass. Plénière, 07/03/1986, Arrêt PACHOT) ou encore « un apport intellectuel propre » (Cass., civ. 1ère, 17/10/2012, n°11-21.641).

Il en ressort que le logiciel original n’est pas tant celui qui reflète la personnalité de son auteur mais celui qui trouve son origine dans l’auteur : il faut donc démontrer que le logiciel n’a pas été copié, que l’auteur a opéré des choix et que ces choix lui sont personnels.

# Comment faire pour le justifier ?

Nous avons répertorié certains axes définis par les juges pour confirmer ou non l’originalité, dans le domaine des créations informatiques.

Dans un premier temps, on ne peut pas se contenter d’affirmer qu’un logiciel est original, mais on doit en rapporter la preuve :
- Démontrer un choix créatif de l’auteur : un choix spécifique dans une configuration particulière, d’offres de simulations de prêts, d’une présentation de ses rubriques, d’un agencement de ses titres, d’une architecture de ses fenêtres, d’une combinaison de couleurs, de l’adoption d’une police de caractères (CA Paris, 4ème chambre, 04/02/2004) ;
- Démontrer l’existence de transformations importantes opérées sur un logiciel antérieur qui ont nécessairement généré une valeur ajoutée en termes de travail intellectuel (CA Versailles, 9ème chambre, 23/02/2005) ;
- Démontrer que le logiciel a été rédigé dans un langage informatique différent de logiciels précédemment créés, dès lors que ce langage a permis de les faire fonctionner avec un certain type de processeur, amélioration qui caractérise l’existence d’un apport intellectuel propre et d’un effort personnalisé (Cass., 1ère civ., 22/09/2011) ;
- Fournir un rapport d’expertise, qui devra décrire les choix personnels opérés par l’auteur et démontrer que ces derniers ne découlent pas d’une logique automatique et contraignante inhérente au développement ou au problème que le logiciel se propose de résoudre.

A noter en revanche que :
- La seule mention dans un contrat que le développeur s’engage à réaliser une œuvre originale est insuffisante (CA Paris, 24 mars 2015) ;
- Le caractère prétendument innovant du logiciel n’est pas en soit suffisant à caractériser la condition d’originalité (CA Montpellier, 2ème chambre, 06/05/2014, n°13/00995) ;
- Il ne suffit pas de démontrer que le logiciel apporte une solution particulière à une problématique donnée (Cass, civ. 1ère, 17/10/2012, n°11-21.641) ;
- Les montants investis par une société pour développer un logiciel ne sont pas de nature non plus à prouver l’originalité de ce dernier (CA Paris, 24/03/2015).

En pratique, on retiendra que :

# L’originalité du logiciel doit résider dans ses éléments protégeables (code source, matériel de conception préparatoire, code objet, architecture du programme).

# Il est essentiel de fournir au juge une copie ou à tout le moins une description des éléments dont on revendique l’originalité pour qu’il puisse se prononcer.

# Il appartient à celui qui invoque l’originalité de démontrer que des choix personnalisés ont été opérés témoignant d’un apport intellectuel propre.

# Il est déterminant de se ménager la preuve de la date de création afin de démontrer son antériorité en cas de litige. A cette fin, il est conseillé de conserver précieusement tous les documents relatifs au développement et de procéder aux démarches administratives et juridiques adéquates en vue de leur donner une véritable valeur probatoire.

Charlotte URMAN - Conseil en Propriété Industrielle, Responsable du département LexComputing au sein d'Inlex IP Expertise. Clotilde CHATELET, Juriste PI. Carole ISOARD, Juriste PI.