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L’injonction de délivrer une autorisation d’urbanisme : un apport de la Loi Macron. Par Hedy Makhlouf, Avocat.
Parution : lundi 3 juillet 2017
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Depuis la Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite Loi Macron, l’article L.424-3 du Code de l’urbanisme a été assorti d’un alinéa 2, dont l’objet est d’imposer qu’un refus de délivrer une autorisation d’urbanisme mentionne l’intégralité des motifs justifiant cette décision.

La controverse doctrinale se cristallise autour des conséquences de cet alinéa sur la pratique de la substitution de motifs, et les praticiens demeurent dans l’attente d’une position claire de la jurisprudence.

Mais cet alinéa a également des conséquences plus subtiles sur la pratique des injonctions faites au juge. Quid ?

Depuis l’entrée en vigueur de la Loi Macron, l’article L.424-3 du Code de l’urbanisme est ainsi rédigé :

"Lorsque la décision rejette la demande ou s’oppose à la déclaration préalable, elle doit être motivée.

Cette motivation doit indiquer l’intégralité des motifs justifiant la décision de rejet ou d’opposition, notamment l’ensemble des absences de conformité des travaux aux dispositions législatives et réglementaires mentionnées à l’article L. 421-6.

Il en est de même lorsqu’elle est assortie de prescriptions, oppose un sursis à statuer ou comporte une dérogation ou une adaptation mineure aux règles d’urbanisme applicables.".

L’alinéa 2 de cet article a été inséré par l’amendement n°2687, déposé le 23 janvier 2015, pendant l’examen du texte en commission législative. C’est cet alinéa qui retiendra notre analyse.

On le sait, cet alinéa nourrit depuis quelques temps déjà la doctrine sur la portée à lui reconnaître sur l’obligation de motivation des décisions refusant les autorisations d’urbanisme, notamment sur la pratique de la substitution de motifs.

Ce ne sera pas le sujet de notre étude, et nous nous pencherons sur une de ses conséquence tout aussi considérable : l’injonction de délivrer.

A. L’avènement de l’injonction de délivrer.

L’amendement du 23 janvier 2015 a fait l’objet d’un bref exposé des motivations qui ont conduit à sa proposition.

En voici la teneur :
« Afin d’atténuer, voire de supprimer la capacité et l’incitation d’un maire à opposer des refus dilatoires, le Gouvernement a proposé dans l’article 28 de contraindre l’autorité compétente à délivrer une autorisation d’urbanisme manifestement conforme aux prescriptions législatives et réglementaires, soit par injonction du juge, soit par substitution du représentant de l’État.
Or, pour atteindre l’objectif d’accélérer le traitement des projets conformes aux règles, et sans modifier la répartition des compétences de la collectivité territoriale, de l’État et de la juridiction administrative, il suffit de modifier directement l’article L. 424 3 du code de l’urbanisme afin de contraindre l’autorité compétente à se prononcer sur l’ensemble des motifs de refus. Le juge sera par conséquent amené à se prononcer sur toutes les justifications ayant conduit le maire à s’opposer au projet, comme le lui impose l’article L. 600 4 1 du code de l’urbanisme. Cela lui permettra, saisi d’une demande en ce sens présentée sur le fondement des dispositions déjà en vigueur du code de justice administrative, d’enjoindre au maire de délivrer le permis
. »

Plus tard, les travaux en séance publique ont confirmé la portée de cette nouvelle disposition :
« L’article 28 vise à contraindre l’autorité compétente à délivrer une autorisation d’urbanisme manifestement conforme aux prescriptions législatives et réglementaires, soit par injonction du juge, soit par substitution du représentant de l’État. Cet amendement complète le dispositif. [...] » (M.Castaner).

La volonté affichée par le Législateur de contraindre l’autorité administrative à délivrer une autorisation d’urbanisme, au besoin sur injonction du juge, poursuit le travail entamé avec la Loi ALUR : favoriser autant que faire se peut l’urbanisation.

Jusqu’à présent, il était de jurisprudence constante que les magistrats, après avoir annulé un refus de délivrer une autorisation d’urbanisme, pouvaient uniquement enjoindre à l’autorité administrative de réinstruire cette demande, dans un certain délai et le cas échéant sous astreinte (voir en ce sens et très récemment Conseil d’État, 2ème - 7ème chambres réunies, 23/02/2017, n°395274).

Ainsi, il semblerait bien qu’au-delà de la controversée question de la substitution de motifs (tout aussi intéressante cela dit), l’arsenal dont dispose le juge administratif en matière de contentieux de l’urbanisme est perfectionné : sur le visa de l’article L.424-3, il dispose du pouvoir d’enjoindre à l’administration de délivrer une autorisation d’urbanisme.

D’aucuns verront là surgir le spectre de "l’administrateur-juge", criant au scandale et effrayés par la peur de voir l’un des trois Pouvoirs prendre l’ascendant sur l’autre.

Il n’en demeure pas moins que cette disposition sert à la perfection l’objectif de faciliter l’urbanisation dont la Loi ALUR a été précurseur, en sanctionnant un défaut de motivation par la délivrance forcée de l’autorisation d’urbanisme.

De plus, en contraignant le service instructeur à mentionner l’intégralité des motifs fondant un refus de délivrer un permis de construire, le Législateur met à l’abri le particulier contre le "laxisme" dont pouvait être tentés de faire preuve les autorités administratives, qui n’hésitait pas à faire usage du mécanisme de la substitution de motifs.

Beaucoup de contentieux, longs et coûteux pour le particulier, se sont finalement résolus ainsi, quitte à laisser un désagréable goût d’injustice au particulier.

Ceci étant exposé, nous ne nous aventurerons pas davantage à propos de la substitution de motifs.

L’apport de la Loi Macron et du mécanisme de l’injonction de délivrer est d’autant plus remarquable qu’il renverse la logique qui commandait l’action du juge administratif depuis quelques temps à sauvegarder à tout prix un acte administratif illégal, quitte à mélanger parfois les rôles.

Le Juge administratif, saisi d’une demande en ce sens, pourra sanctionner au lieu de sauvegarder.

Bien entendu, le recul manque encore sur l’utilisation en pratique qui sera faite de cette nouvelle arme.

D’ores et déjà toutefois, on peut être sûr qu’elle aura des conséquences sur l’application des dispositions de l’article L.600-2 du Code de l’urbanisme.

B. Sur les conséquences sur l’article L.600-2 du Code de l’urbanisme.

L’article L.600-2 du Code de l’urbanisme dispose :
"Lorsqu’un refus opposé à une demande d’autorisation d’occuper ou d’utiliser le sol ou l’opposition à une déclaration de travaux régies par le présent code a fait l’objet d’une annulation juridictionnelle, la demande d’autorisation ou la déclaration confirmée par l’intéressé ne peut faire l’objet d’un nouveau refus ou être assortie de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d’urbanisme intervenues postérieurement à la date d’intervention de la décision annulée sous réserve que l’annulation soit devenue définitive et que la confirmation de la demande ou de la déclaration soit effectuée dans les six mois suivant la notification de l’annulation au pétitionnaire".

Pour faire simple, dans l’hypothèse où un refus de permis de construire est annulé, sous réserve que la demande soit confirmée dans les six mois suivant l’annulation définitive, le service instructeur devra réinstruire la demande, et ne pourra la refuser qu’au regard de l’état du droit au jour de la demande initiale.

Ce mécanisme est particulièrement protecteur des particuliers puisqu’il les met à l’abri contre toute modification des dispositions d’urbanisme dans un sens défavorable intervenue postérieurement à la décision qu’ils contestent.

Pour des procédures qui peuvent s’avérer très longues (trop longues selon la CEDH), la tentation était grande pour les autorités administratives de modifier leurs documents d’urbanisme dans un sens qui empêcherait dans tous les cas, la délivrance de l’autorisation.

Sauf que, du fait de l’entrée en vigueur de la Loi Macron, tous les motifs pouvant potentiellement justifier le refus opposé sont réputés avoir été limitativement énumérés au stade du refus initial.

On imagine mal, dans ces conditions, quels nouveaux motifs de refus pourraient être pris en considération une fois la demande confirmée.

Le nouvel alinéa de l’article L.424-3 semblerait in fine ôter tout intérêt aux dispositions de l’article L.600-2, puisque l’autorité administrative, saisie d’une confirmation de la demande initiale, n’aurait pas d’autre choix que de délivrer le permis demandé.

Plus encore, les dispositions de l’article L.600-2 sont d’applicabilité "automatique" : en suite de l’annulation de sa décision, l’autorité administrative est tenue de réinstruire selon les conditions de l’article L.600-2 du Code de l’urbanisme (voir en ce sens CAA Douai, 29 novembre 2007 , n°07DA01071).

Jusqu’à présent, les particuliers pouvaient en outre solliciter une injonction de réinstruire la demande dans un certain délai.

Ceci permettait au particulier de s’affranchir du délai de six mois à compter d’une annulation définitive prévu par l’article L.600-2 à compter duquel une confirmation pouvait être déposée. Ce qui - au demeurant - aboutissait souvent à des situations cocasses, où coexistent deux décision, avec une difficulté pour déterminer laquelle prime sur l’autre.

Avec l’introduction de l’injonction de délivrer, le juge saisi d’une demande en ce sens, ne se bornera plus à enjoindre de réinstruire, mais enjoindra la délivrance de l’autorisation.

Mais qu’adviendra-t-il de l’obligation de confirmer la demande dans le délai de six mois à compter de l’annulation devenue définitive ? Il est bien évident que cette demande de confirmation sera désormais sans objet, et par suite parfaitement inutile.

Ainsi, si la jurisprudence acceptait l’injonction de délivrer, il est probable que l’article L.600-2 serait voué à disparaître. Tôt ou tard.

Les conséquences de l’injonction de délivrer sont multiples, et l’illustration faite sur l’article L.600-2 n’est qu’un exemple comme il en existe potentiellement des dizaines.

Toute l’étendue n’en sera probablement connue qu’au gré de la jurisprudence, qui a, une fois encore, la balle dans son camp.

Hedy Makhlouf - Avocat
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