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Vers un enrichissement progressif de la notion de « communication au public » par la CJUE. Par Jonathan Elkaim, Avocat.
Parution : mardi 11 juillet 2017
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La Cour de Justice de l’Union Européenne a décidément fort à faire.

Confrontée à l’essor des nouvelles technologies, la haute juridiction communautaire tente, du mieux qu’elle peut, de combler les lacunes de l’article 3 paragraphe 1 de la Directive 2001/29 qui, comme elle le rappelle si souvent dans ses décisions, ne définit pas la notion de « communication au public ».

(CJUE, 2ème chambre, 26 avril 2017, C-527/15, Stiching Brein /Wullems - CJUE, 14 juin 2017, aff.C-610/15, Stiching Brein / Ziggo BV XS4ALL Internet BV)

Une notion, aussi essentielle, par laquelle découle le régime juridique de la contrefaçon en droit d’auteur, est donc en perpétuelle mouvement, s’appliquant aussi bien à la vente d’un lecteur multimédia permettant de visionner en streaming du contenu protégé par le biais de modules complémentaires qu’à la fourniture et la gestion d’une plateforme de « peer to peer ».

C’est d’ailleurs au regard de ces derniers exemples que la Cour de Justice de l’Union Européenne a dû de nouveau adapter sa définition « de communication au public » tout en s’efforçant de concilier la protection du droit d’auteur avec le respect des autres libertés fondamentales tels que l’accès à l’information.

C’est donc à l’aune de ce jeu d’équilibriste que la Cour de justice enrichit progressivement et au gré des nouvelles technologies cette notion par deux arrêts rendus les 26 avril (C-527/15) et 14 juin derniers (C-610/15).

1. Les faits

Dans la première affaire, une fondation néerlandaise spécialisée dans la défense des intérêts des titulaires de droit d’auteur, a constaté qu’un vendeur commercialisait sur plusieurs sites internet, plusieurs modèles d’un lecteur multimédia permettant de visionner sur un écran de télévision du contenu vidéo (Stiching Brein /Wullems, C-527/15).

Plus spécifiquement, le vendeur avait installé sur les appareils mis en vente, un logiciel libre permettant de lire des fichiers auquel il a intégré des « modules complémentaires disponibles sur internet » renvoyant directement à des sites sur lesquels des œuvres protégées étaient mises à disposition.

Comme le rappelle la haute juridiction communautaire, les liens contenus dans ces modules donnaient accès à des contenus tantôt autorisés par les auteurs tantôt sans leur autorisation puisque leur fonction principale est de « puiser les contenus désirés sur les sites de diffusion en flux continu et les faire démarrer, d’un simple clic, sur le lecteur multimédia ».

La fondation a donc sollicité devant les juridictions néerlandaises la cessation de la commercialisation des modèles de lecteur multimédia devant les juridictions néerlandaises, estimant que le vendeur professionnel avait manifestement effectué « une communication au public » en violation des règles relatives à la protection du droit d’auteur.

Le vendeur excipait quant à lui que la diffusion continue de contenus protégés par le droit d’auteur provenant d’une source illicite relève des actes de reproduction dits « provisoires » tels que prévus par l’article 5 § 1 de la directive 2001/29 et qui seraient accessoires à un procédé technique dont la finalité serait de permettre une utilisation licite d’une œuvre.

La juridiction néerlandaise a toutefois décidé de surseoir à statuer afin que la Cour de Justice de l’Union Européenne se prononce :
- D’une part sur le point de savoir si la mise en vente d’un lecteur multimédia intégrant des modules complémentaires permettant le téléchargement d’œuvres protégées par le droit d’auteur, en l’absence d’autorisation, de leur titulaire constitue une communication au public ;
- D’autre part, si la diffusion « en flux continu » d’une œuvre protégée par le droit d’auteur en l’absence d’autorisation, sur un lecteur multimédia à partir d’un site internet appartenant à un tiers pouvait constituer un acte de reproduction temporaire au sens de l’exemption prévue à l’article 5 § 1 b) de la directive2001/29.

Dans la seconde espèce, la même fondation néerlandaise sollicitait de la Cour suprême des Pays-Bas qu’il soit ordonné à deux fournisseurs d’accès à internet de bloquer les noms de domaine et les adresses IP d’une plateforme de partage en ligne référençant des fichiers « BitTorrent », dont le contenu était protégé par le droit d’auteur et qui pouvaient être librement téléchargés au moyen de liens spécifiques, appelés « liens magnet » (Stichting Brein c/ Ziggo BV, XS4ALL Internet BV - C-610/15).

La Haute juridiction néerlandaise constatait ainsi que les abonnés de ces fournisseurs d’accès pouvaient, par l’intermédiaire de cette plateforme de partage, rendre accessibles des œuvres protégées par le droit d’auteur en l’absence de consentement de leurs titulaires.

C’est donc dans cette perspective que la CJUE fut de nouveau saisi aux fins de savoir si une plateforme de partage en ligne réalise une communication au public des œuvres en créant « un système dans lequel les utilisateurs d’internet se connectent entre eux pour pouvoir partager, par fragments, des œuvres qui se trouvent sur leurs propres ordinateurs ».

2. Les principes posés

Aux termes de ces deux arrêts du 26 avril et 14 juin 2017, la CJUE renforce la protection due aux auteurs en enrichissant la notion de communication au public (i), tout en appréciant strictement les conditions d’exemption (ii).

(i). Un enrichissement de la notion de « communication au public »

Ainsi que le rappelle la CJUE, la notion de « communication au public » doit « être entendue au sens large » et peut donc tout à fait intégrer la vente de matériel tel que visé dans l’instance au principal, dès lors que la finalité de la directive 2001/29 est « d’instaurer un niveau élevé de protection en faveur des auteurs » (Point 27 de l’arrêt Stiching Brein /Wullems, C-527/15).

La Cour qualifie sans difficultés une telle vente comme un acte de communication dès lors que la directive « couvre toute transmission ou retransmission d’une œuvre au public non présente au lieu d’origine de la communication, par fil ou sans fil, y compris la radiodiffusion » (Point 36 de l’arrêt Stiching Brein /Wullems, C-527/15).

Ce faisant, la Cour rappelle au visa de sa jurisprudence (voir en ce sens l’arrêt GS MEDIA du 8 septembre 2016, C-160/15) que l’appréciation de la notion de « communication au public » implique « une appréciation individualisée » associant deux éléments cumulatifs que sont :
- Un « acte de communication » d’une œuvre ;
- La communication de celle-ci à « un public ».

Ainsi et pour que soit constitué un « acte de communication », l’œuvre doit être mise à disposition du public en toute connaissance selon un mode technique spécifique, différent de de celui déjà utilisé jusque-là.

L’utilisateur doit avoir manifestement conscience « des conséquences de son comportement, pour donner à ses clients accès à une œuvre protégée », de sorte que sans son intervention, ses clients « ne pourraient, en principe, jouir de l’œuvre diffusée  » (Point 31 de l’arrêt Stiching Brein /Wullems, C-527/15).

Par conséquent, le seul fait de mettre à la disposition des utilisateurs « des liens cliquables vers des œuvres protégées publiées sans aucune restriction d’accès » constitue un acte de communication au public (Points 37 et 42 de l’arrêt Stiching Brein /Wullems, C-527/15).

Ce raisonnement s’applique également à « la mise à disposition et la gestion sur internet d’une plateforme de partage qui, par l’indexation de métadonnées relatives à des œuvres protégées et la fourniture d’un moteur de recherche, permet aux utilisateurs de cette plateforme de localiser ces œuvres et de les partager dans le cadre d’un réseau pair à pair » (Stichting Brein c/ Ziggo BV, XS4ALL Internet BV - C-610/15).

En outre et s’agissant de la notion de « public », la Cour, rappelle également au visa de sa jurisprudence constante que celle-ci vise un nombre indéterminé de destinataires « potentiels » et « important[s] » (CJUE, 7 mars 2013 ITV Broadcasting C-607/11, 13 février 2014, Svensson C-646/12, 8 septembre 2016, GS MEDIA C-160/15).

Ainsi et s’agissant de la première affaire, la vente des lecteurs litigieux est donc bien destiné à un public, de surcroît qualifié de « nouveau » dès lors qu’il n’a pas « été déjà pris en compte par les titulaires du droit d’auteur  » lorsque la communication initiale de leur œuvre au public avait été autorisée (Point 33 de l’arrêt Stiching Brein /Wullems, C-527/15).

C’est d’ailleurs au visa de cette première affaire que la CJUE en déduit logiquement dans la seconde qu’il « peut être déduit » que la mise à disposition d’une plateforme de partage en ligne constitue également une communication au public dès lors qu’un « utilisateur donne, en pleine connaissance de cause, accès à ses clients à des œuvres protégées » (Stichting Brein c/ Ziggo BV, XS4ALL Internet BV - C-610/15).

En outre et ainsi qu’elle le rappelle clairement dans les deux espèces étudiées, le caractère « lucratif » attaché à cette communication constitue un indice pertinent permettant de la caractériser.

En effet, dès lors que la fourniture de modules complémentaires ou de liens serait motivée par l’aspect financier, la connaissance de l’illicéité de la publication par le vendeur serait alors présumée (CJUE, 8 septembre 2016, GS MEDIA C-160/15, point 51).

Un tel critère nécessite toutefois d’être relativisé dès lors qu’on sait que le caractère lucratif d’une contrefaçon est a priori indifférent à sa qualification et qu’il n’est donc pas évident à déceler dans l’étendue du web.

Le seul fait qu’un site puisse permettre la fourniture de liens à titre gratuit ne signifie pas pour autant qu’il ne génère pas de revenus de manière indirecte, notamment par le biais de la publicité.

C’est d’ailleurs précisément sur la base des recettes publicitaires que la Cour a pu déduire dans la deuxième affaire que la disposition et la gestion d’une plateforme de partage en ligne était réalisée « dans le but d’en retirer un bénéfice » (Stichting Brein c/ Ziggo BV, XS4ALL Internet BV - C-610/15).

Au regard de ces deux nouvelles décisions, la CJUE confirme la solution qu’elle avait déjà dégagée au sujet de liens hypertextes permettant de télécharger des photos protégées au titre du droit d’auteur (cf.CJUE, 8 septembre 2016, GS MEDIA C-160/15), et étend désormais la notion de « communication au public » à des liens installés dans un lecteur multimédia ou à la fourniture et à la gestion d’une plateforme de partage en ligne.

Cette définition extensible ne sert ici qu’un seul but : renforcer davantage la protection du droit d’auteur au regard de l’usage abusif des liens hypertextes et des « add ons » permettant de visionner ou de télécharger des œuvres protégées.

Cette volonté d’instaurer un « niveau de protection élevé en faveur des auteurs  » est d’autant plus affirmée que la CJUE apprécie de manière restrictive l’exemption attachée au droit de reproduction temporaire prévue à l’article 5 §1 de la directive CE 2001/29.

(ii). L’appréciation stricte de l’exemption attachée au droit de reproduction d’une œuvre

Dans la première affaire, la CJUE a dû également rappeler les conditions d’application de l’article 5 §1 au regard des actes de reproduction réalisé sur le lecteur multimédia en cause (Point 59 de l’arrêt Stiching Brein /Wullems, C-527/15).

Le défendeur faisait en effet valoir devant la juridiction interne que la diffusion en flux continu d’œuvres protégées par le droit d’auteur en provenance d’une source illicite relèverait de l’exception d’acte de reproduction temporaire énoncée à l’article 13a de la loi néerlandaise sur le droit d’auteur, lequel est la transposition de l’article 5 § 1 de la directive CE 2001/29.

La Haute juridiction rappelle toutefois qu’un acte de reproduction ne peut être exempté du droit de reproduction que s’il obéit à cinq conditions :
- S’il est provisoire ;
- S’il est transitoire ou accessoire ;
- S’il constitue une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique ;
- Si l’unique finalité du procédé précité est de permettre une transmission dans un réseau entre tiers par un intermédiaire ou une utilisation licite d’une œuvre ;
- S’il n’a pas de signification économique indépendante.

La Cour rappelle que ces conditions sont cumulatives de sorte « que le non-respect d’une seule d’entre elles a pour conséquence que l’acte de reproduction n’est pas exempté » (Point 61 de l’arrêt Stiching Brein /Wullems, C-527/15).

En outre, elle prend également soin de rappeler qu’une telle exemption n’est applicable que dans certains cas spéciaux qui « ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre, ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit  » (Point 66 de l’arrêt Stiching Brein /Wullems, C-527/15).

Or, en l’espèce, la publicité réalisée pour promouvoir le lecteur multimédia litigieux et que « son principal attrait  » réside dans la pré-installation de modules complémentaires démontrent, selon la CJUE, que l’acquéreur accède « de manière délibérée et en connaissance de cause » à une offre contrefaisante et gratuite.

La Cour a pu logiquement déduire des conclusions de l’Avocat Général que les actes de reproduction temporaires sur le lecteur multimédia causaient nécessairement un préjudice injustifié aux intérêts des ayants-droit puisqu’ils incitaient leurs acquéreurs à ne plus recourir aux voies légales pour acquérir une œuvre générant ainsi « une diminution des transactions légales » (Point 70 de l’arrêt Stiching Brein /Wullems, C-527/15).

C’est donc naturellement et de manière méthodique que la Haute Juridiction communautaire s’efforce de rappeler l’importance de protéger le droit d’auteur dans un contexte numérique nébuleux et dont l’accès permet de contourner davantage les situations de contrefaçon plus traditionnelles.

C’est donc face à ce défi inventif constant que la Cour de Justice de l’Union Européenne devra veiller à l’équilibre entre la protection du droit d’auteur et l’accès aux technologies de l’information, ce qui n’en doutons pas, fera l’objet de nouvelles précisions lors des décisions à venir.

Jonathan ELKAIM - Avocat au Barreau de Paris