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Le recel de communauté exclut le recel successoral. Par Aubéri Salecroix, Avocat.
Parution : lundi 13 novembre 2017
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Le conjoint survivant qui refuse intentionnellement de communiquer l’existence de fonds communs est l’auteur d’un recel de communauté à l’exclusion d’un recel successoral, son acte n’étant préjudiciable qu’à l’égard de l’indivision post-communautaire.
Civ. 1re, 27 sept. 2017, n° 16-22.150

Classiquement le terme de « recel » évoque la matière pénale et le délit consistant à soustraire volontairement aux recherches, un objet volé ou détourné par un autre.

Toutefois, cette expression s’utilise également en matière civile où elle connait deux formes principales : le recel de communauté et le recel successoral. Le terme de recel s’utilise alors pour désigner le fait de s’abstenir volontairement de représenter un ou des objets soumis à inventaire lors de la liquidation qui précède le partage des biens dépendant d’ une communauté conjugale ou dépendant d’une succession

Concernant le recel de communauté entre époux, l’article 1477 du Code civil prévoit que, lorsque dans le cadre d’un régime communautaire, l’un des époux détourne ou recèle des effets de la communauté, il est privé de la portion de ces biens à laquelle il pouvait prétendre lors du partage. Le recel apparaît généralement lors de la dissolution du mariage et de la liquidation. Il peut prendre des formes variées et notamment consister dans une sous évaluation d’un bien ou d’un ensemble de biens devant être partages. C’est à celui des époux qui a disposé de biens communs, dont la valeur doit être rapportée au compte de liquidation en vue du partage, qu’il appartient de prouver qu’il a informé son conjoint de la valeur réelle des biens dont il a disposé (1ère Chambre civile 1er juin 2011, pourvoi n° 10-30205, BICC n°750 du 1er novembre 2011 et Legifrance).

Concernant le recel successoral, il n’est pas défini dans le Code civil et c’est à la jurisprudence que l’on doit d’en avoir délimité les contours..

Selon elle, le recel successoral se définit comme tout acte, comportement ou procédé volontaire par lequel un héritier tente de s’approprier une part supérieure sur la succession que celle à laquelle il a droit dans la succession du défunt et rompt ainsi l’égalité dans le partage successoral. (Cass. Civ. I, 15 avril 1890, 21 novembre 1955, 20 septembre 2006). Le plus souvent, l’élément matériel consiste à soustraire ou dissimuler des biens dépendant de la succession (retraits de sommes d’un compte bancaire (CA Paris, 2 décembre 1987), ne pas révéler l’existence de donations, de dettes ou encore cacher l’existence de certains biens lors de l’inventaire, dissimuler un héritier, produire un faux testament … En tout état de cause, l’héritier dit avoir été animé d’une intention frauduleuse visant à fausser les opérations de partage à son avantage.

La sanction du recel est quant à elle expressément prévue à l’article 778 du Code civil :
« Sans préjudice de dommages et intérêts, l’héritier qui a recelé des biens ou des droits d’une succession ou dissimulé l’existence d’un cohéritier est réputé accepter purement et simplement la succession, nonobstant toute renonciation ou acceptation à concurrence de l’actif net, sans pouvoir prétendre à aucune part dans les biens ou les droits détournés ou recelés. Les droits revenant à l’héritier dissimulé et qui ont ou auraient pu augmenter ceux de l’auteur de la dissimulation sont réputés avoir été recelés par ce dernier.

L’héritier receleur est tenu de rendre tous les fruits et revenus produits par les biens recelés dont il a eu la jouissance depuis l’ouverture de la succession. »

Si leur distinction est théoriquement claire, la chronologie des faits rend parfois difficile leur identification notamment lorsque le mariage se dissout par le décès d’un des conjoints faisant ainsi succéder au partage de la communauté celui de la succession.

En matière de communauté de biens, le règlement de la succession du de cujus implique nécessairement de liquider préalablement le régime matrimonial des époux.

Les opérations de liquidation portent avant tout sur les biens composant la communauté puis sur les biens de la succession, de sorte que la masse successorale dépend de la consistance des biens de la communauté.

En effet, la succession se compose, par principe, de la moitié des biens communs (résultant du jeu de la présomption de communauté édictée par l’article 1402 du Code civil) auquel il faut y ajouter tous les biens propres du défunt (notamment les biens reçus par succession ou libéralités).

De la consistance du patrimoine commun dépend donc la consistance du patrimoine de la succession.

Lorsqu’un notaire est chargé par l’un ou plusieurs héritiers de régler amiablement une succession, les héritiers – que sont notamment le conjoint survivant et les enfants – ont l’obligation de révéler, spontanément, toutes les libéralités faites par le défunt de son vivant et dont ils ont pu profiter, ceci à peine de recel.

En l’espèce, une veuve avait intentionnellement omis de communiquer le solde des fonds placés sur un livret A personnel. Les héritiers demandaient qu’elle ne puisse donc prétendre à aucune fraction de cette somme dans le cadre de la succession.

Or, ces fonds, en vertu de la présomption de communauté de l’article 1402 du Code civil, avaient vocation à accroître l’indivision post-communautaire et à devenir ensuite, au moins pour moitié, des biens de la succession.

Il appartenait donc aux magistrats de déterminer s’il s’agissait d’un recel de communauté ou d’un recel successoral.

Les juges du fond en optant pour la seconde solution ont exposé leur décision à la censure de la Cour de cassation.

En effet, celle ci retient que la dissimulation intentionnelle de ces fonds constitue un recel de communauté et non de succession. Le recel successoral n’est donc pas applicable au conjoint survivant qui ne communique pas sur le solde d’un compte bancaire où se seraient trouvés des fonds relevant de l’indivision post communautaire, ce conjoint étant seul débiteur des sommes correspondantes envers la seule indivision, non en tant qu’héritier, mais en qualité d’indivisaire tenu au rapport des sommes qu’il a prélevées avant le partage de l’indivision. La victime de son silence est donc l’indivision et non la succession.

La qualification de recel de communauté ou de succession dépend donc du moment de la réticence dolosive, avant ou après liquidation de l’indivision post communautaire.

Cet arrêt de la Cour de cassation met fin à une controverse doctrinale dans laquelle certains auteurs argumentaient en faveur de l’application d’une double peine de recel : l’application du recel de communauté au stade de la liquidation de la communauté et ensuite l’application du recel successoral au stade cette fois-ci de la liquidation de la succession.

Par cette décision, la Cour de cassation vient ici préciser que l’existence d’un recel sur un bien de communauté, a pour effet d’exclure l’existence d’un recel successoral.

La double sanction de recel est donc expressément exclue par les Hauts magistrats.

Aubéri Salecroix Avocat asalecroix.avocat@gmail.com https://www.facebook.com/Cabinet-davocat-Aub%C3%A9ri-Salecroix-1914523838761774/ Droit de la famille Droit pénal
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