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L’autonomie de l’entité communale et la gestion de l’urbanisme au Maroc. Par Karim Ait Boughaba.
Parution : vendredi 3 novembre 2017
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La gestion urbaine constitue un thème de réflexion et un champ d’action important dans le contexte du développement local. Dans les pays en voie de développement, notamment le Maroc, la progression de l’urbanisation appelle des questionnements en profondeur sur la nature du phénomène, sur les mécanismes de son développement et son évolution.

Le problème est d’analyser comment s’opère la gestion urbaine dans nos structures décentralisées, déconcentrées, en tant que service public, et en fonction de ce cadre surgissent des rapports qui se nouent entre ses structures. C’est un domaine qui touche le niveau local, avant le national parce que l’espace urbain dans lequel l’homme vit se présente avec ses rues, ses logements, ses équipements, son cadre bâti, c’est un corps social vivant, évolutif, un lieu d’échanges et de décision.
Décentraliser c’est évoquer le problème de répartition des compétences entre le local et le national, décentraliser c’est encourager la démocratie participative, l’autonomie, et le sens des responsabilités et accroitre l’efficacité et l’équité urbaine.

L’objectif de cet article est de définir l’action de la collectivité locale, en tant que service public local de 1er ordre, déterminer sa position dans la sphère locale à travers les concepts de démocratie participative, libre administration, et autonomie, avant de détecter les types d’articulations, de relations complémentaires ou répulsion pouvant exister entre les différents intervenants.

Au Maroc, les textes depuis l’indépendance, attestent de la volonté de doter le pays d’un régime de décentralisation [1]. Mais c’est à partir de 1976 qu’un véritable départ de décentralisation a pu s’exprimer tout en révélant de manière aiguë les ambiguïtés des rapports entre l’État et les communes [2].
Dans le domaine particulier de l’urbanisme, l’intervention des collectivités locales, quoiqu’elle soit placée sous le signe d’une décentralisation, demeure inefficace et souffre de l’imperfection.

L’autonomie locale, comme élément fondamental de la décentralisation, pose problème au niveau de son champ d’action. Cette situation peut être qualifiée d’affaiblissement d’une réelle autonomie due principalement à l’insuffisance de moyens humains et financiers, ce qui nous pousse à s’interroger sur la décentralisation en tant que modalités d’organisation administrative de l’État et le rôle attribué aux collectivités locales.

Une autonomie locale limitée

À partir de 1976, les multiples travaux, colloques et séminaires organisés ont débouché sur le thème des rapports entre l’État et les collectivités locales, en principe, la défense de l’autonomie locale. Car celle-ci paraissait être la clé de voute de la décentralisation et de l’existence même des collectivités décentralisées. Les questions se posent quant au contenu de concept d’autonomie locale, parce que tout dépend de la conception de l’autonomie locale adoptée. Alors que signifie le concept autonomie ?

Si tout le monde s’accorde à définir l’autonomie locale comme étant le pouvoir de gouverner librement, la faculté de faire sa propre loi [3], il n’en demeure pas moins que l’accent se fait également sur le fait pratique des collectivités locales en tant que service public. Cet affaiblissement de l’autonomie locale conduit les élus à revendiquer davantage de responsabilité, mais, dans un domaine si particulier comme l’urbanisme où l’ampleur des problèmes impose à l’État de préserver une sphère d’action qui lui permet d’intervenir d’urgence.
Quoique le processus de décentralisation se soit considérablement renforcé, en effet, les aménagements apportés à la charte communale de 1976, de 2002 et de 2009, versent dans le sens d’une consolidation de la commune et du renforcement de son pouvoir de décision. Cependant, les prérogatives dévolues aux collectivités ne leur sont pas propres par ce qu’ils lui ont été délégués par l’État, détenteur unique du pouvoir. C’est pourquoi l’exercice d’un pouvoir de décision ne peut être que relatif, surtout quand il s’agit du domaine de l’urbanisme caractérisé par la multiplicité d’intervenant.

Ces insuffisances sont généralement d’ordre juridique et d’ordre procédural et demeurent d’une généralité remarquable. Cette généralité des textes juridiques engendre des problèmes se rattachant précisément aux principes garantissant le pouvoir décisionnel communal ; elles paralysent l’action du pouvoir communal et affectant par conséquent son autonomie. C’est ainsi que dans l’exercice de ses prérogatives, les communes n’ont la possibilité de prendre que des décisions d’ordre relative.
Le législateur a voulu conférer à la commune de larges compétences, ce qui a été exprimé dans les dispositions de la dernière charte communale. Quoique le caractère vague prédomine. Cette imprécision et généralité entrainent une confusion des compétences en matière d’urbanisme, multiples acteurs opèrent sur les mêmes espaces pour presque les mêmes objectifs, sans qu’il ait une nette délimitation entre les compétences des uns et des autres, ce qui implique l’existence de recoupement et d’empiétement réciproques.

Nous notons que le pouvoir central ne définit jamais avec toute précision son rapport avec la collectivité communale, en matière de gestion urbaine, il tient à maintenir une zone d’ombre et d’imprécision afin qu’il puisse modifier et interpréter à sa guise l’autonomie effective de l’entité communale.

En résumé, le pouvoir central jouit d’une primauté juridique sur le local, la collectivité quant à elle n’a qu’un simple droit de présenter ses propositions qui seront examinées et étudiées par le centre.

La gestion de l’urbanisme entre l’État et la commune

J.Rivero, écrit : « La décentralisation peut et doit, dans d’autres secteurs, revêtir un sens nouveau, ce n’est pas une division rigide des taches entre l’État et les collectivités locales qui peut la réaliser, mais bien leur association en vue de mêmes tâches » [4]. L’évolution historique traitée auparavant illustre que l’interventionnisme des communes dépasse la traditionnelle franche entre affaires locales et affaires nationales. Cette notion de gestion mixte, suppose donc la concrétisation des rapports nouveaux entre l’État et les collectivités locales.
Il s’avère nettement que les textes, même celles relatives à la décentralisation, n’approchent que sommairement la question de la répartition des compétences. Les communes ne contribuent pas effectivement au pouvoir de décision, à cet égard, plusieurs auteurs se prononcent pour l’attribution à ces dernières de compétences précises et de moyens adaptés [5]. Par contre, ils restent plus directs sur le maintien de la présente de l’État [6].

La gestion urbaine entre la décentralisation et la déconcentration implique une division des compétences entre l’État et les communes d’une part et entre l’État et ses services extérieurs d’autre part, les communes doivent être dotées de pouvoirs plus larges si l’on veut donner un sens à une véritable décentralisation. Mais comment peut-on parler d’une gestion décentralisée de l’urbanisme si ce dernier est complètement encadré par le centre ?
La difficulté d’établir une véritable décentralisation en matière d’urbanisme se résume à trouver le point d’équilibre entre des libertés locales effectives et la cohérence générale de la gestion de l’espace qui ne peut être assuré que de manière centrale.
Les caractères de cette gestion mixte qu’est par excellence l’urbanisme, affectent en effet un espace riche de valeurs et d’intérêts contradictoires qu’une politique urbaine décentralisatrice devrait s’efforcer dans un souci de le gérer rationnellement.

De la planification à la gestion décentralisée de l’urbanisme

L’évolution historique montre que l’État s’efforce d’harmoniser à travers la planification, les différentes politiques publiques, concourant au développement des agglomérations. La sphère de l’action de l’État est particulièrement vaste puisqu’il s’agit d’articuler la planification économique avec la planification spatiale. C’est par le biais d’une politique contractuelle en matière d’aménagement du territoire que l’État peut assurer la cohérence des projets locaux avec les priorités nationales.
La planification est une exigence, bien que la décentralisation puisse la remettre en cause ?

En effet, les interventions publiques sur le sol se propagent dès le lendemain de l’indépendance et leur contenu s’enrichit des préoccupations de plus en plus variées [7], leur objectif commun est de gérer le sol au niveau des besoins générés par les activités humaines dans un souci d’économie, dès lors, la planification apparait comme une cause réductrice de l’autonomie locale, et ce à travers deux aspects :
1- la planification sert de cadre aux décisions locales d’urbanisme comme l’application des opérations d’urbanisme, constructions d’infrastructure…
2- elle doit permettre d’administrer et de maîtriser des intérêts contradictoires des acteurs.

Dans cette logique, il s’avère important, qu’une coordination qui vienne du centre, dont seul l’État peut exiger une certaine logique par son arbitrage, la conciliation entre décentralisation et planification n’est donc pas facile à établir [8]. Cette situation est due au fait que le rôle de la commune au niveau de la planification est purement consultatif, les élus ne peuvent délivrer les autorisations d’occupation du sol, que lorsque le territoire communal est couvert par document d’urbanisme tels un plan d’aménagement et un plan de zonage, ces derniers devront être conformes et compatibles avec les orientations de S.D.A.U (Schéma Directeur d’Aménagement Urbain). En revanche, ces documents restent élaborés par l’État et ses services quoiqu’il fasse appel à une certaine concertation sans aucune obligation légale d’adhérer auxdites propositions. Autrement dit, il faut qu’il ait une parfaite correspondance entre l’autorité qui élabore la règle et celle qui leur permet de délivrer les autorisations d’occupation du sol.

Le dilemme de la planification urbaine décentralisée est de favoriser les libertés locales, tout en préservant la cohérence de l’aménagement par l’intervention de l’État ; c’est au niveau des schémas directeurs que la question se pose. L’objet des schémas directeurs est ambitieux : il s’agit de prévoir sur 25 ans les grandes orientations du développement des agglomérations et d’en assurer l’articulation avec les déterminations économiques définies par le plan.
L’intervention des élus est recherchée tant sur le plan technique pour déterminer les besoins en équipements, que sur le plan de la légitimité, mais, vu l’étendue de l’aire d’un schéma et des objectifs qui lui sont assignés, il se pose un problème de l’exigence de cohérence entre les difficultés affectant l’espace qui ne peut être satisfaite par des décisions proprement locales.

Chevauchements des compétences

Plusieurs études se sont penchées sur l’interrogation des transformations affectant les compétences entre l’État et les collectivités locales. Dans le domaine de l’urbanisme, le poids d’équilibre idéal ne semble pas se faire, car il faudrait constamment réajuster les interventions des uns et des autres en fonction des missions du moment, ce n’est pas uniquement la répartition générale des compétences entre les communes et l’État qui en est la cause de ce chevauchement et confusion. S’ajoute la participation de nombreux acteurs à l’élaboration des documents d’urbanisme qu’est une autre source de confusion. Les procédures de consultation sont nécessaires et permettent une amélioration des projets, mais elles sont insuffisantes parce qu’elles ne donnent pas une image claire de la répartition des compétences, selon l’article 50 la charte communale n°78.00 du 18 février 2009, l’application des lois et règlements de l’urbanisme est une compétence propre du président du conseil communal. Mais, ce pouvoir reste limité par l’intervention de l’État en sa qualité de tuteur des collectivités locales.

De ce fait, la police de l’urbanisme est partagée entre la commune et les autorités locales. Ce qui veut dire que la police de l’urbanisme n’est pas une compétence exclusive du président du conseil communal. En cette matière, le législateur a réservé certaines attributions aux gouverneurs, pachas et caïds l’intervention d’autres instances à côté de l’instance communale dans les domaines réservés à la commune ; c’est parce que dans les villes couvertes par les agences urbaines l’octroi des autorisations, par le président, est subordonné au préalable à l’avis conforme de l’agence conformément de l’article 3 n°1.93.51 du rabia i 1414 (10 septembre 1993) instituant les agences urbaines.

En ce qui concerne la répression, c’est à l’autorité locale que revient la prérogative de fermer les chantiers ou de procéder aux démolitions sur requête du président du conseil ou du procureur du roi.
Dans ce cas, l’intervention de l’autorité communale en délivrant les autorisations est en quelque sorte embarrassante, parce que dans certains cas les règlements sont violés en connaissance, par clientélisme et préoccupation électorales. Cette action consiste à détecter implicitement l’irrégularité à venir devant laquelle l’administration locale se trouvera désarmée.

Au vu de ce qui a été dit sur le système décentralisé, il en ressort que ce dernier prévoit des limites à l’autonomie des entités territoriales. L’autonomie est conçue, d’abord en fonction des compétences, en fonction de la qualité de ces entités, et en fonction des ressources dont elles disposent. Dire que ce système serait plus avantageux pour le développement des entités locales serait erroné car on relève des points positifs et des faiblesses.
On en conclura seulement que l’autonomie des collectivités locales, en tant que service public chargé de l’application des lois et règlements de l’urbanisme, ne suffit pas à assurer le développement urbain, et que rien ne prouve qu’elle en soit une condition.

Karim AIT BOUGHABA

[1Il s’agit des textes suivants qui dans leur ensemble forment l’ossature d’un vaste projet de décentralisation :
- texte du 23 juin 1960 (B.o. 1960 p :1230), sur les collectivités locales ;
- texte du 12 septembre1963 (B.O.,1963 p :1469 organisant les provinces et les préfectures du royaume, abrogé et remplacé par la loi n° 79.00relative à l’organisation des collectivités préfectorales et provinciales (en 2002) ;texte du 16 juin 1971 sur les régions (région économique).
- texte du 30 septembre 1976, formant la charte communale, abrogée et remplacée par la loi n°78.00 portant charte communale (en 2009) ;
- texte relatif à l’organisation régionale loi n°47.96.
- et les lois organiques 111.14 sur les régions et 112.14 relative aux préfectures et provinces et 113.14 relative aux communes.

[2Selon P.G. REMOIN : « les rapports entre l’Etat et les communes s’avérant plus dynamique et contradictoires à la fois », in le pouvoir périphérique , Edition du SEUIL,1976, p :54.

[3G.JELLINK précise : « l’autonomie consiste non seulement dans la faculté d’avoir des lois propres, mais aussi la faculté d’obéir conformément à ces lois, dans les limites qu’elles imposent », l’Etat moderne et son droit, tome II, Théorie juridique de l’Etat, paris 1913, p :152

[4J. RIVERO : « la décentralisation : problèmes et perspectives », études, janvier 1950, p : 55.

[5J.CHAPUISAT : « Les affaires communales » AJDA ,1976,p :477

[6Ce maintien de la présence de l’Etat est surtout demandé quand il s’agit de domaines où il s’avère difficile de délimiter le champ d’intervention de chaque acteur. Les autorités étatiques interviennent par le biais des circulaires, instructions, inspections… voir PONTIER, l’Etat et les collectivités locales : la répartition des compétences », op, cit,p :146 et suivant.

[7J.RIVAUD et X.DELCROS insistent ainsi sur la variété des « thèmes normatifs généraux » qui constituent des finalités de l’intervention publique sur le sol, l’aménagement du territoire, politique foncière, in les institutions administratives française, tome 2, le fonctionnement, paris, Dalloz, 1986 , p :112 ,212.

[8Cette idée a été déjà signalé par un certain nombre d’auteurs, voire G.VEDEL et P. DEVOLVE, Droit démonstratif , paris , Thémis 1990, 11eme édition , tome 2 , p :406, Y.JEGOUZO , des compétences dans le domaine de l’aménagement et de l’urbanisme, in vers la réforme des collectivités locales , les cahiers de l’IFSA, 1977, n°15,p :18 et suivant.