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Transformation d’une obligation naturelle en obligation civile : illustration en matière successorale. Par Aubéri Salecroix, Avocat.
Parution : lundi 6 novembre 2017
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L’engagement unilatéral de volonté permet d’opérer la transformation d’une obligation naturelle en obligation civile.
La notion d’obligation naturelle suscite un contentieux important quant à son champ d’application.

(Civ. 1re, 11 oct. 2017, no 16-24.533)

La Cour de cassation a déjà rendu des arrêts d’un grand intérêt permettant d’en dessiner les contours et d’en apprécier sa mutation en obligation civile (v. par ex. à propos du versement d’une pension alimentaire entre époux, Civ. 1re, 23 mai 2006, no 04-19.099). En matière successorale, un arrêt de la première Chambre civile en date du 11 octobre 2017 a retenu notre attention.

En l’espèce, un homme est décédé le 12 mars 2002 au Canada, laissant pour lui succéder ses trois enfants, deux filles « légitimes » et un fils naturel reconnu. Aux termes d’un acte sous seing privé du 5 octobre 2002, les deux filles ont exprimé la volonté que les actifs successoraux recueillis dans la succession de leur père soient répartis par tiers et en parts égales entre elles et leur frère. Par lettres du 18 octobre 2002 adressée au notaire qui a reçu l’acte et des 15 et 22 mars 2009, une des filles a réitéré cette intention.

Néanmoins, des difficultés se sont élevées lors des opérations de liquidation et de partage de la succession par acte sous seing privé, les deux sœurs soutenant qu’en l’absence d’exécution volontaire, la reconnaissance d’un devoir moral ne constitue pas une obligation civile.

Condamnées en appel à exécuter leur engagement, les deux sœurs formèrent un pourvoi en cassation.

La question se posait donc de savoir si l’exécution forcée de l’acte sous seing privé était envisageable, ce qui impliquait nécessairement de s’interroger sur l’existence d’une obligation naturelle puis sur son éventuelle mutation en obligation civile par la volonté unilatérale de ses débiteurs.

Pour mémoire, l’obligation civile contraint en droit et l’obligation naturelle ne contraint qu’en conscience (Civ. 1re, 14 févr. 1978, no 76-11.428). En effet, l’obligation naturelle a pour origine un devoir de conscience (C. civ., art. 1100, al. 2 ; V. not., Civ. 1re, 4 janv. 2005, no 02-18.904). Elle est soumise à un régime particulier : elle n’est pas susceptible de faire l’objet d’une exécution forcée, le créancier n’a pas le pouvoir d’agir en justice pour obtenir sa dette. Toutefois, un engagement unilatéral de l’exécuter suffisamment réfléchi et dépourvu d’équivoque (Civ. 14 janv. 1952) permet de la transformer en lui faisant quitter le ressort de la morale pour accéder à la condition d’une dette civile. Il en va de même lorsqu’elle fait l’objet d’une exécution spontanée par le débiteur, lequel ne peut pas alors le répéter.

La Cour de cassation confirme la cour d’appel et rejette le pourvoi en énonçant que, ayant souverainement estimé que l’engagement sous seing privé et sa réitération caractérisaient l’existence d’une obligation naturelle et d’un devoir de justice des deux sœurs envers leur frère, omis du testament litigieux rédigé avant la reconnaissance paternel et donc exclu de la succession canadienne du défunt, la cour d’appel en a exactement déduit que l’établissement et la signature de l’acte du 5 octobre 2002 avaient transformé cette obligation naturelle en obligation civile.

Ainsi, la première Chambre civile, pour retenir l’existence d’une obligation naturelle, a identifié un devoir de justice. Elle justifie alors la remise par deux sœurs d’une part de l’actif successoral de leur père à leur frère, exclu de la succession. Pour conclure en la mutation de cette obligation naturelle, la Haute juridiction se fonde sur la réitération et l’établissement de l’intention, concrétisés par la signature d’un acte sous seing privé et l’envoi de lettres.

Cet arrêt est intéressant en ce qu’il rappelle que l’engagement unilatéral de volonté permet d’opérer la transformation d’une obligation naturelle en obligation civile. Il respecte les « prescriptions de Gény », pour qui il y a lieu de « déclarer obligatoires, non pas toutes promesses unilatérales, mais celles-là seulement qui paraîtront indispensables pour atteindre un résultat socialement désirable et impossible à réaliser pratiquement par une autre voie » (F. Gény, Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif, tome 2, LGDJ, 1954, p. 164).

Aubéri Salecroix Avocat asalecroix.avocat@gmail.com https://www.facebook.com/Cabinet-davocat-Aub%C3%A9ri-Salecroix-1914523838761774/ Droit de la famille Droit pénal
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