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Le titre et la finance : de la théorie à la pratique. Par Vincent Billette, Avocat.
Parution : mercredi 15 novembre 2017
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La théorie du titre et de la finance régit les rapports entre époux communs en biens quant à la gestion de leurs titres sociaux ; intéressant les professionnels tant du droit des sociétés que du droit fiscal ou du droit de la famille, elle offre des perspectives intéressantes à la condition d’en maîtriser les aspects juridiques et fiscaux.

La théorie du titre et de la finance a été consacrée définitivement par la Cour de Cassation en un arrêt de la 1ère chambre civile du 12 juin 2014 [1]

Rappelons que cette théorie s’applique à des titres sociaux dépendant d’une communauté de biens existant entre des époux et y distingue deux catégories d’attributs :
- les attributs patrimoniaux constituent « la finance » ; la finance – c’est-à-dire en fait la propriété stricto sensu – dépend de la communauté ;
- les attributs personnels constituent « le titre » ; le titre reste au nom du seul époux acquéreur ou souscripteur des parts ou actions : lui seul exercera donc les prérogatives attachées au titre social et notamment le droit de vote et lui seul aura dès lors la qualité d’associé.

Elle a suscité d’abondants débats en doctrine et a stimulé l’imagination d’un certains nombres de praticiens en particulier des ruralistes ; elle est néanmoins susceptible de connaître d’intéressantes applications dans tous les secteurs d’activités.

1 - Fondement juridique de la théorie du titre et de la finance

Le fondement juridique de la théorie distinguant le titre de la finance est parfois flou, cet aspect étant volontiers délaissé par la jurisprudence. Cette théorie repose en fait sur les principes généraux régissant les régimes matrimoniaux.

1.1 - Un mécanisme fondé sur l’article 1421 du Code civil

L’intérêt fondamental de cette théorie est la faculté de substitution offerte aux époux ; celle-ci est une conséquence du principe général de co-gestion des biens communs, lequel se déduit de l’article 1421 du Code civil.

Lorsque les parts ou actions sociaux sont des biens de la communauté, le principe de co-gestion leur est applicable ; les époux pouvant librement et à l’amiable organiser entre eux la gestion de leurs biens communs, ils peuvent ainsi transmettre librement à leur conjoint le soin de gérer de telles valeurs mobilières : il y a alors un transfert du titre, sans transfert de la finance et donc sans mutation au sens patrimonial du terme. Le nombre de parts ou actions dont le titre est transmis lors d’une substitution est libre, de même qu’ils peuvent librement procéder à de telles transmissions autant de fois et aussi souvent qu’ils le désirent.

1.2 - Un mécanisme distinct de celui prévu par l’article 1832-2 du Code civil

Avant d’examiner plus en détails les applications possibles de cette théorie, il convient de rappeler qu’elle se fonde sur l’article 1421 du Code civil et en aucun cas sur l’article 1832-2 ; ceci a plusieurs conséquences pratiques :
- l’article 1832-2 crée au bénéfice du conjoint commun en biens d’un acquéreur ou souscripteur de parts sociales un droit de revendication sur la moitié des parts acquises ou souscrites, y compris contre la volonté de l’acquéreur ou souscripteur : l’exercice de ce droit est un acte unilatéral ; la théorie du titre et de la finance en revanche trouve à s’appliquer dans un contexte d’accord entre les époux et son application repose sur des conventions conclues entre ceux-ci ;
- la renonciation du conjoint à revendiquer la moitié des parts souscrites ou acquises dans un acte antérieur ne fait absolument pas obstacle à une substitution conventionnelle ultérieure ; la renonciation ne vaut en effet que pour la possibilité ouverte par l’article 1832-2 du Code civil de revendiquer unilatéralement la moitié des parts souscrites ou acquises au moyen de biens communs par un des époux ;
- l’article 1832-2 ne s’applique qu’aux parts sociales ; la théorie du titre et de la finance concerne toutes les valeurs mobilières : elle s’applique donc indifféremment aux parts sociales et aux actions – et même, on le verra, à tous titres de créance en général ;
- l’article 1832-2 peut s’appliquer dès lors que l’acquisition ou la souscription est financée au moyen de deniers communs : le critère déterminant est ici l’origine des deniers utilisés ; cela permet au conjoint d’exercer son droit de revendication même sur des parts propres dès lors qu’elles ont été souscrites ou acquises au moyen de deniers communs ; la théorie du titre et de la finance, à l’inverse, s’applique à des valeurs mobilières communes même si elles ont été financées avec de l’argent propre : le critère exclusif est cette fois le statut matrimonial des parts ou actions [2] ;
- la rédaction de l’article 1832-2 ne permet au conjoint de revendiquer que la moitié des parts ou actions souscrites ou acquises : c’est 50 % ou rien ; la théorie du titre et de la finance ne souffre aucune restriction de cette nature : les époux organisant librement la gestion de leurs biens communs peuvent transférer de la tête de l’un des époux vers la tête de l’autre tout ou partie des titres, à leur convenance.

2 - Applications pratiques

La théorie du titre et de la finance a connu dans les sociétés agricoles une fortune considérable ; la plupart des exemples illustrant cette seconde partie seront donc tirés de telles sociétés. La théorie du titre et de la finance peut néanmoins être d’un grand intérêt pratique quel que soit l’objet social.

2.1 - À la souscription

Si la société n’est pas une société par actions, un époux faisant apport de biens communs à souscription fait cet apport seul, à charge pour lui d’en informer son conjoint conformément aux dispositions de l’article 1832-2 du Code civil ; ainsi, si l’on constitue une société entre époux, chacun d’eux doit donc faire seul un apport – en prévenant son conjoint.

Il en est de même dans les sociétés par actions à ceci près que l’article 1832-2 ne s’y appliquant pas, il n’y pas lieu de prévenir le conjoint.

Toutefois, le strict respect de la loi pose un problème si les époux souhaitent une répartition donnée des titres entre eux et que les apports sont faits de biens en nature.

Exemple : supposons qu’ils désirent constituer une EARL entre époux 51/49 en apportant en capital un troupeau d’une valeur de 50 000 € et un tracteur d’une valeur de 150 000 €, tous deux communs : si l’un apporte le tracteur et l’autre le troupeau, la répartition des parts sera en pourcentage de 75/25 ; si l’époux de l’apporteur du tracteur revendique la moitié des parts souscrites par ce dernier sur le fondement de l’article 1832-2, la répartition sera cette fois de 62,5/37,5. Dans les deux cas, on est loin de ce qui est souhaité.

La théorie du titre et de la finance permet de surmonter cet écueil. Il suffit au deux époux d’apporter ensemble les biens communs valant dans notre exemple 200 000 € ; en contrepartie, ils reçoivent des parts indivises dont ils n’ont plus conventionnellement qu’à se répartir le titre conformément à leurs souhaits – toujours en application du principe selon lequel ils organisent librement la gestion de leurs biens communs. Il suffira d’insérer dans l’acte de souscription une clause en ce sens. La liberté étant le principe, n’importe quelle répartition peut être retenue.

On pris comme exemple une constitution de société mais le même raisonnement est tout autant applicable à une souscription dans le cadre d’une augmentation de capital.

La technique de l’apport conjoint est certes courante mais les praticiens omettent souvent de la relier à la théorie du titre et de la finance ce qui a un double effet potentiellement pervers :
- la clause répartissant le titre entre les époux est souvent absente ; en cas de litige ultérieur entre les époux, le risque existe que l’un d’eux prétende que le titre est indivis et non la seule finance... et que son conjoint ne pourrait donc exercer seul le droit de vote, ce qui peut conduire à une situation de blocage au sein de la société ;
- la possibilité de répartir le titre entre les époux de façon inégale – en dépit de son utilité – est fréquemment ignorée, les titres étant trop souvent répartis de façon égalitaire ce qui n’est parfois ni souhaitable ni souhaité.

2.2 - Postérieurement à la souscription

Il est également possible aux époux de modifier en cours de vie sociale les modalités selon lesquelles ils gèrent les titres sociaux dépendant de la communauté.

Ces conventions portent en pratique des intitulés variés : on parle parfois de « reprise à conjoint », de « reprise en gestion de parts » ou de « substitution entre époux » – pour les besoins du présent exposé, c’est ce dernier qui sera employé.

Elles ont pour objet et pour effet de modifier la répartition des titres entre les époux. Il n’y a néanmoins aucune mutation de valeurs mobilières : d’un point de vue patrimonial, celles-ci restent la propriété de l’indivision communautaire ; cela emporte plusieurs conséquences :
- l’opération a pour seul objet la jouissance des parts ou actions et ne modifie en rien leur statut matrimonial ; nul besoin donc de faire appel à un Notaire pour la formaliser ;
- fiscalement, il n’y lieu à aucune taxation ; la convention constatant le transfert du titre pourra éventuellement être enregistrée : elle sera alors soumise au droit fixe de l’article 680 du Code général des impôts ;
- la cession de parts représentatives du capital de certaines sociétés doit être publiée au registre du commerce et des sociétés ; une convention emportant substitution entre époux n’étant pas un acte de mutation de parts sociales, il ne nous semble pas qu’elle doive faire l’objet de telles mesures de publicité ; cependant, dans le cas d’une société où la responsabilité des associés est indéfinie, l’opération si elle emporte perte de la qualité d’associé par un des époux – ou à l’inverse acquisition de cette qualité – requiert une publicité au RCS conformément aux dispositions de l’article R 123-54 du Code de commerce qui impose que soit publiée l’identité des associés ; en outre, les statuts devront être mis à jour au plus tard lors de la plus proche assemblée générale et déposés en annexe du RCS.

L’opération peut en outre ne pas avoir pour seul objet des parts ou actions. Si l’époux transférant est titulaire d’un compte courant d’associé, il est tout à fait concevable que le transfert porte non seulement sur les titres sociaux mais également sur ce compte courant [3].

Le mécanisme trouve tout particulièrement à s’appliquer dans les sociétés professionnelles entre époux lorsque l’un d’eux désire faire valoir ses droits à la retraite et doit corrélativement quitter la société : il suffira alors que son conjoint se substitue à lui en qualité de titulaire de ses titres pour qu’il quitte la société sans frais ni formalisme excessif.

Il est aussi possible de l’utiliser lorsqu’un époux désire transférer la jouissance de ses titres à son conjoint au motif qu’il est temporairement empêché (pour cause de déplacement professionnel, de maladie, d’incarcération, etc.).

L’opération est en apparence fort simple. Elle ne doit pourtant pas être prise à la légère car elle recèle un certain nombre de pièges.

2.2.1 - La valorisation des parts ou actions

Faute de prix et de taxation, il n’est pas nécessaire a priori de déterminer la valeur des parts ou actions et a fortiori de la mentionner en l’acte. Ce principe connaît pourtant deux exceptions.

2.2.1.1 - En cas de conflit entre époux

La mention en l’acte de la valeur des titres sera utile lorsque la convention est conclue dans un contexte de conflit d’ordre privé entre les époux.

Il est hélas courant qu’un tel conflit ait des répercussions au sein d’une société dont ils sont tous les deux associés : le conflit personnel se prolonge alors souvent au sein de cette dernière au point que l’on se retrouve parfois dans une situation de blocage pouvant aller jusqu’à mettre la survie de la société en péril.

Mais il est souvent possible, avant que le conflit ne dégénère complètement, de parvenir à un accord entre les époux d’après les termes duquel un seul d’entre eux conservera la jouissance des titres – sans risque de voir l’autre désormais s’immiscer dans la gestion sociale.

Une telle convention peut d’ailleurs être réalisée alors même qu’une procédure de divorce est en cours, à tout moment de cette procédure jusqu’à la date à laquelle le divorce produit ses effets patrimoniaux telle qu’elle résulte des dispositions de l’article 262-1 du Code civil [4].

Dans la pratique, il sera presque toujours nécessaire de procéder à une estimation de la valeur des parts ou actions objets de la substitution et de mentionner ladite valeur en l’acte, afin d’assurer à l’époux renonçant à son droit de jouissance sur ces biens que ses droit patrimoniaux restent inchangés – puisque les parts ou actions continuent du point de vue patrimonial de lui appartenir pour la moitié de cette valeur.

L’expérience montre en effet que, faute d’une telle valorisation, l’époux transférant refusera purement et simplement l’accord. La préoccupation n’est certes pas ici juridique mais purement psychologique ; mais le résultat sera le même : sans mention de la valeur des parts ou actions, il sera difficile en pratique de parvenir à un accord.

On verra cependant qu’il est possible de prévenir cette difficulté en insérant une clause de substitution à titre préventif dans un pacte d’associés.

2.2.1.2 - En cas de changement de statut des parts ou actions au regard de la réglementation sur la taxation des plus-values

La valorisation des parts ou actions à l’occasion d’une opération de substitution entre époux peut être rendue nécessaire par un impératif d’ordre fiscal.

Rappelons que des valeurs mobilières peuvent être des actifs professionnels, dont la cession ultérieure sera soumise au régime de taxation des plus-values professionnelles, ou des actifs non-professionnels, dont la cession sera soumise au régime de taxation des plus-values privées.

Cependant, ce statut des parts ou actions au regard de la législation fiscale applicable aux plus-values peut évoluer avec le temps : elles peuvent avoir le caractère d’actif professionnel durant une partie de la durée de détention et d’actif non-professionnel pour une autre partie de cette durée ; si elles sont un jour cédées, la plus-value sera donc pour partie taxée selon le régime applicable aux plus-values professionnelles et pour partie selon le régime applicable aux plus-values privées ; mais afin de procéder à cette ventilation, il faudra connaître la valeur des parts ou actions au moment où le changement de leur statut fiscal se sera produit.

Or, une convention de substitution entre époux peut précisément avoir un impact sur ledit statut.

Un exemple tiré des sociétés civiles agricoles sera de nouveau parlant ; dans ces sociétés coexistent deux catégories d’associés : les associés dits exploitants, qui participent aux travaux de l’exploitation agricole dont la conduite est l’objet de la société, et les associés non exploitants qui n’y participent pas et sont de simples apporteurs de capitaux. Les parts ou actions détenues par un associé exploitant sont des actifs professionnels ; les titres détenus par des associés non exploitants sont en revanche des actifs non-professionnels ; si une convention de substitution entre époux intervient entre un époux exploitant et un époux non exploitant, les titres sociaux passeront du statut d’actif professionnel à celui d’actif non-professionnel – ou inversement.

Si la convention ne mentionne pas une valeur susceptible d’être ultérieurement opposée à l’administration fiscale et si le couple cède un jour les parts ou actions, l’intégralité de la plus-value sera soumise au régime de taxation le plus contraignant [5].

Pour éviter cela, il est donc impératif que cette convention non seulement mentionne la valeur des parts ou actions à la date de la substitution mais encore qu’elle soit enregistrée afin d’acquérir une date certaine opposable à l’administration fiscale.

2.2.2 - L’incidence sur le régime d’imposition des bénéfices en SARL

L’une des inconnues que suscitent les conventions de substitution entre époux est l’appréhension par l’administration fiscale du passage d’un régime fiscal à un autre résultant d‘une convention de substitution entre époux intervenant au sein d’une SARL entre époux.

Si une telle société est à l’IS, une substitution ayant pour effet de rendre la société unipersonnelle la fait passer de plein droit à l’IR – sauf bien sûr option pour l’IS afin de maintenir une continuité du régime fiscal.

Il y a donc ici un risque et un intérêt :
- un risque car il est toujours possible de passer à côté de cette conséquence de la substitution ; certes, ce risque existe aussi en cas de cession des parts mais il est ici accru par l’apparente simplicité de l’opération qui peut dangereusement amoindrir la vigilance du rédacteur ;
- un intérêt car bien maîtrisé, le procédé permet de façon simple et licite de neutraliser le principe d’irréversibilité de l’IS.

L’utilisation de la substitution dans un but fiscal peut alors mener à des schémas extrêmes : on pourrait tout à fait concevoir que cette même société repasse ensuite à l’IS… en optant pour ce régime concomitamment à une nouvelle substitution au profit du conjoint non associé portant sur une partie des titres, la société redevenant alors pluripersonnelle ; puis qu’elle repasse à l’IR de plein droit à l’occasion d’une substitution en sens inverse, rendant de nouveau la SARL unipersonnelle et donc soumise de plein droit à l’IR ! Et ainsi de suite...

Il va sans dire qu’un tel schéma rendrait le principe d’irréversibilité de l’option pour l’IS parfaitement illusoire.

Le changement de régime fiscal (que ce soit de l’IS vers l’IR ou inversement) quelle qu’en soit la cause n’est certes pas une opération neutre du point de vue fiscal : il emporte notamment les mêmes conséquences qu’une cessation d’activité et notamment l’imposition immédiate des plus-values afférentes aux éléments d’actif conformément aux articles 202 ter et 221 2° du Code général des impôts.

Mais il n’en est pas moins vrai – outre le fait qu’existent des mécanismes de report de cette imposition – qu’une telle technique sera tentante pour les activités sujettes à une grande volatilité de leur chiffre d’affaires et qui trouveraient là un moyen simple pour passer, à volonté, d’un régime à l’autre. Il va sans dire néanmoins qu’elle serait à haut risque fiscal, susceptible d’être sanctionnée sur le fondement de l’abus de droit ; à notre connaissance, l’administration fiscale n’a pas à ce jour pris position sur ce type de schéma.

2.2.3 - La prise en compte des substitutions par les pactes d’associés et les clauses d’agrément

La relative méconnaissance des incidences pratiques de la théorie du titre et de la finance a pour corollaire son omission à peu près généralisée par les pactes d’actionnaires et les clauses d’agrément.

Il est ainsi fréquent que ces pactes fassent obstacle aux mutations de la propriété des titres mais sans contenir de clause interdisant à un de ses signataires d’en transférer conventionnellement la jouissance à son conjoint en application de cette théorie ; l’effet de cette omission sera redoutable puisque les titres sociaux seront librement transférables à une personne qui n’est pas tenue au respect des obligations résultant du pacte…

La même remarque s’applique aux clauses d’agrément ; il est rarissime en effet que celles-ci soient applicables à une telle convention de substitution entre époux [6].

On ne saurait trop conseiller aux rédacteurs de pactes d’actionnaires et de clauses d’agrément d’y envisager non seulement les opérations emportant transfert de propriété mais aussi celles ayant pour effet un transfert de jouissance. Cette prudence s’impose d’autant plus que les dispositions des pactes et clauses, qui restreignent la liberté contractuelle des titulaires des parts et actions, sont par voie de conséquence interprétées de façon restrictive par la jurisprudence.

Si toutefois la théorie du titre et de la finance doit inciter ici les rédacteurs à la prudence, elle peut aussi stimuler leur imagination.

L’un des exemples les plus intéressants est sans doute celui de la clause insérée dans des statuts d’une SAS entre époux prévoyant la substitution à son conjoint de celui des époux qui aurait vocation à poursuivre seul l’activité, en cas de rupture de la vie commune et/ou déclenchement d’une procédure de divorce ou de séparation de corps.

Une telle clause permettra de prévenir tout risque de répercussion au sein d’une société dont ils sont tous deux associés d’un conflit survenant entre les époux ; la substitution ne donnera alors lieu à aucun formalisme : elle ne donnera lieu qu’à transcription sur le registre des actions et se produira de plein droit, sans qu’il soit nécessaire d’obtenir le consentement de l’époux transférant.

On conseillera de la formaliser néanmoins au moyen d’un acte unilatéral enregistré mentionnant la valeur des actions… si jamais la substitution emporte changement de leur statut au regard de la réglementation sur la taxation des plus-values.

Cette clause pourra en outre être envisagée dans d’autres sociétés que les SAS, insérée dans un pacte d’associés.

Elle est moins risquée qu’une clause d’exclusion traditionnelle ; la constitutionnalité des lois validant les clauses d’exclusion, on le sait, est parfois contestée au motif qu’elles priveraient l’associé exclu de son droit de propriété sur ses titres sociaux, pour un motif étranger à l’utilité publique – ce qui constituerait une violation de l’article 17 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. Le débat n’a en revanche pas lieu d’être en cas de substitution entre époux puisque la clause n’aura ici pour effet qu’une privation de jouissance et non de propriété.

On conclura en précisant que nombre des principes évoqués ci-avant sont transposables au pacte civil de solidarité, avec deux réserves de taille :
- les cas d’application seront nettement moins fréquents puisque celle-ci suppose l’existence d’une indivision ; or, les partenaires ayant recours au PACS sont par défaut soumis à un régime séparatiste ;
- en cas d‘option pour le régime de l’indivision, il s’agira d’une indivision de droit commun ; d’éventuelles conventions relatives à la gestion des biens indivis seront donc des conventions d’indivision elles aussi soumises au droit commun.

Vincent Billette Avocat Barreau des Deux-Sèvres

[1Cour de Cassation, 1ère chambre civile, 12 juin 2014, n°13-16309.

[2des titres peuvent en effet être propres même s’ils ont été financés avec de l’argent commun, par exemple par le jeu de l’article 1406 du Code civil ; à l’inverse, les titres seront communs même s’ils ont été souscrits ou acquis avec de l’argent propre si l’acte de souscription ou d’acquisition ne comprend pas de clause d’emploi et d’origine des deniers.

[3Voire même exclusivement : rien n’interdit en effet d’envisager une convention ne portant que sur un compte courant et non sur des titres sociaux ; on notera par ailleurs que la substitution peut porter indifféremment sur un compte courant créditeur ou débiteur, la convention ne modifiant pas le gage des créanciers de la communauté.

[4C’est-à-dire, selon le cas, soit à la date de l’homologation de la convention soit à celle de l’Ordonnance de non-conciliation ; il est ainsi très possible de proposer au Juge aux affaires familiales une telle substitution lors de l’audience de non-conciliation.

[5Cette difficulté n’existe pas en cas de cession de parts – et non plus de substitution – puisque l’acte, par définition, mentionne alors un prix et est enregistré.

[6Cette même remarque s’applique également au mécanisme de revendication unilatérale prévu par l’article 1832-2 du Code civil ; il prévoit certes que si la revendication a lieu en cours de vie sociale, la clause d’agrément s‘applique ; mais en réalité, si l’on examine les statuts de la plupart des sociétés et compte étant tenu du principe d’application stricte des clauses d’agrément dégagé par la jurisprudence, dans combien de cas peut-on prétendre que lesdites clauses sont applicables à une telle revendication ?