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L’appel dans la procédure civile italienne. Par Ambrogio Novelli, Avocat.
Parution : mercredi 29 novembre 2017
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Le Code de procédure civile italien, initialement inspiré du Code Napoléon mais largement réformé en 1940 [1], définit et encadre la procédure civile de l’appel [2].
D’un point de vue statistique, durant l’année 2014 plus de 160 000 sentences ont été rendues en degré d’appel en Italie [3] (sentences des Cours d’appel et des Tribunaux confondues). À titre de comparaison ce nombre s’était porté à plus de 235.000 pour les Cours d’appel en France [4]. Il est d’ailleurs intéressant de noter que, sur la même période, l’écart concernant le volume d’affaires dont ont été saisies les juridictions d’appel est relativement plus important (i.e. 219.432 en France pour 125.442 en Italie).

Aussi, d’un point de vue juridique, l’on notera que si la présentation générale de la procédure d’appel en droit italien de la procédure civile (I) ne « dépaysera » probablement pas le juriste ou le justiciable français, l’effet non suspensif du recours en appel révèle pour sa part une logique sensiblement différente de celle connue en France (II), et mérite ainsi notre attention.

I – Présentation générale de l’appel en droit de la procédure civile italien

Le principal recours contre une décision de justice italienne rendue en première instance est, à l’instar du droit français, la voie de l’appel. L’appel consiste à faire réexaminer une décision de justice et a un effet dévolutif limité à l’objet de l’appel principal et, le cas échéant, de l’appel incident.
En vue d’appréhender au mieux cette procédure en droit italien, il convient de présenter successivement les règles de compétence du juge d’appel et les délais d’action à respecter avant de dresser une brève présentation de sont déroulement pratique.

La compétence du juge d’appel

Tout d’abord, l’article 341 du Code de procédure civile italien pose la règle générale de compétence consistant en ce que les appels soient proposés au juge du grade immédiatement supérieur à celui qui a rendu la décision.
Cela signifie donc que la Cour d’appel (« Corte d’appello ») n’est pas systématiquement la juridiction compétente pour juger de la contestation d’une décision de première instance. En effet, la contestation d’une décision du Juge de Paix (« Giudice di Pace  ») devra être effectuée près le Tribunal (« Tribunale Ordinale ») de lieu du ressort du juge ayant statué.
A titre d’exemple, une décision rendue par le Giudice di Pace de Gênes ne sera donc pas contestée en voie d’appel près la Corte d’appello mais devra l’être près le Tribunale Ordinale de Gênes.

Précisons ensuite que si, par principe, il peut être interjeté appel de toutes les décisions rendues par les juridictions de première instance [5], plusieurs exceptions y dérogent.
En effet, d’une part, le Code de procédure civile italien dispose par exemple que, ne sont pas susceptibles d’appel, les décisions rendues en droit du travail ne dépassant pas 25 euros et 82 centimes [6] ainsi que les actes exécutifs [7].

D’autre part, il est possible aux Parties elles-mêmes d’exclure, par leur accord, le recours par voie d’appel. Dans ce cas alors, et aux termes de l’article 360 alinéa 2 du Code italien, la décision reste susceptible de pourvoi en cassation.
Enfin, si le juge de paix a été saisi par les Parties pour juger en équité d’une cause n’excédant pas la valeur de 1.100 euros, il ne pourra être interjeté appel à sa décision qu’en cas de violation des principes de procédure ou des normes constitutionnelles ou communautaires [8].

Les délais pour agir en appel

La déclaration de l’appel d’une décision de justice italienne est encadré dans de stricts délais. Si la décision de première instance a été notifiée à une Partie, ce délai de recours est de 30 jours à compter de la date de notification de la décision [9]. En revanche, si elle n’a pas fait l’objet de notification, ce délai est porté à 6 mois et court à compter de la date de publication de la décision [10]. Ce terme, qui prend en droit italien le nom de délai de « decadenza », était initialement d’une durée d’un an, avant d’être réduit de moitié par une loi de 2009 [11].
Rappelons enfin, par soucis d’exhaustivité, que ces délais sont suspendus durant une période de vacances judiciaires qui s’étend, depuis 2014, à 31 jours allant du 1er au 31 août de chaque année [12].

Le déroulement du procès d’appel.

Avant toute chose, il doit être porté une attention particulière à la citation en appel qui doit répondre, sous peine d’irrecevabilité, à des conditions particulières. Celles-ci consistent notamment en la mention des modifications requises en ce qui concerne la mauvaise reconstitution des faits ou les circonstances desquelles dérive la prétendue violation de la loi, qui ont été commises par le juge de première instance.
Une fois ces prérequis respectés, il faudra que la citation en appel soit réalisée dans un certain délai avant la première date d’audience [13]. Ce délai est de 90 jours si le lieu de sa notification se situe en Italie et s’étend à 150 jours s’il est à l’étranger [14]. Dans les dix jours suivant cette notification, l’appelant devra se constituer auprès de la Cancelleria (l’équivalent des Greffes des juridictions françaises) et ainsi, procéder au dépôt du dossier d’appel et à l’inscription au rôle de la juridiction. L’intimé devra, pour sa part, se constituer dans les 20 jours précédant la date de la première audience.

La procédure d’appel peut varier selon qu’elle se déroule devant le Tribunal ou la Cour d’appel. Par exemple, alors que la Cour siège en formation collégiale, le Tribunal statue pour sa part à juge unique. Mais pour l’essentiel, son déroulement est le même. D’ailleurs, la procédure d’échange des conclusions devant la Cour d’appel est formellement calquée sur celle en vigueur en premier ressort auprès du Tribunal [15].

La première audience, dite « audience d’instruction », consiste à vérifier préliminairement la régularité de l’appel. Elle passe notamment par le contrôle de la bonne constitution des Parties et du respect du principe du contradictoire. Durant cette même audience, le juge d’appel peut initier une tentative de conciliation en ordonnant la comparution personnelle des Parties. À son terme, la juridiction décide soit du renvoi de la cause devant la juridiction de première instance, soit du renvoi pour conclusions des Parties.
La procédure est une procédure écrite qui passe par l’échange de conclusions entre les Parties. Des audiences orales sont exceptionnellement possibles à la demande des Parties, elles sont alors fixées par le juge dans un délai de 60 jours. Le dépôt des conclusions est orchestré par le juge et répond à des délais codifiés par le Code, à savoir que les conclusions récapitulatives (« comparse conclusionali ») doivent être déposées dans un délai péremptoire de 60 jours à compter de la remise de la cause au collège et les mémoires de réplique le seront dans les 20 jours qui suivent.

Sur le fond, il n’est pas permis, au stade de l’appel, de présenter de nouvelles demandes ni d’apporter de nouveaux moyens de preuve. Si cela advenait, le juge pourrait les déclarer irrecevables d’office [16]. Précisons enfin que la sanction du défaut de comparution de l’appelant est, au terme de la deuxième non comparution successive, l‘irrecevabilité de la demande d’appel [17].
En pratique, enfin, le juge d’appel se révèle être un juge plus exigent et sévère que ses homologues de premier grade. Il convient donc de consacrer à l’élaboration des conclusions la plus grande précision juridique et qualité rédactionnelle.

II – Le caractère non suspensif de l’appel en droit italien

La différence la plus notable avec le droit français de la procédure civile est que les décisions dont il est fait appel sont, par principe, immédiatement exécutoire puisque la citation en cause d’appel ne suspend pas ce caractère exécutoire.
À l’inverse, il est possible de demander la suspension de l’exécution de la sentence de première instance. Cette possibilité peut être invoquée de deux manières par l’appelant. La première consiste en la présentation de la demande dans le corps de l’acte d’appel [18], la seconde en demandant la suspension préalablement à l’instance d’appel, par voie d’urgence [19].

Pour prétendre à la suspension de l’exécution provisoire de la sentence dont il est fait appel, il faut que le demandeur expose des motifs graves et justifiés (« gravi e fondati ») comme par exemple la possible insolvabilité d’une des Parties [20]. Le respect de ces conditions est soumis à l’interprétation discrétionnaire du juge d’appel [21] et il convient par ailleurs de porter un intérêt particulier à leur respect car, en cas de demande abusive, le demandeur s’expose à une sanction pécuniaire pouvant s’élever entre 250 et 10.000 euros.
La suspension est finalement prononcée par ordonnance du Président du collège de la Cour d’appel, ou par le juge du Tribunal le cas échéant, lors de la première audience d’appel [22]. Dans ce cadre, c’est un « procès dans le procès » qui s’ouvre alors, puisque les Parties sont convoquées par décret devant la chambre du conseil pour procéder à l’échange des vues sur le sujet. La suspension de l’exécution de la sentence peut être totale ou partielle et peut être accompagnée de la prononciation d’un cautionnement judiciaire.

Il apparaît donc que la logique soit totalement inversée à celle que connaît le droit français [23] où il faut requérir l’exécution provisoire près le président de la Cour d’appel compétente, et cela même si quelques exceptions existent, comme pour les ordonnances rendues en référé ou les ordonnances de non conciliation en matière de divorce [24].
Mais, à dire vrai, le droit italien retenait originellement une solution identique à celle consacrée aujourd’hui encore dans le Code de procédure civile français. Aussi, ce n’est en réalité que depuis la Legge n.353 du 26 novembre 1990 [25] que, pour des motifs tenant à éviter les abus de droit, le droit italien retient cette solution.

Références :
- Diritto processuale civile, Luisa Agliassa, disponible sur https://www.tesionline.it/v2/appunto-sub.jsp?p=139&id=846
- Codice di Procedura Civile
- La sospensione della provvisoria esecutività della sentenza di primo grado dopo le ultime riforme osservazioni a margine di appello”, Napoli, 24 settembre 2015, Gianluca Cascella, 25/10/15, disponible sur http://www.ilcaso.it/articoli/829.pdf

Ambrogio Novelli Avocat au barreau de Gênes Studio legale Novelli - http://www.studiolegalenovelli.it/?l=fr

[1« Le Code de procédure civile italien », Yvette Lobin, Revue internationale de droit comparé, année 1958 , vol. 10, n°3, pp. 525-539.

[2Art. 339 et s. du Codice di Procedura Civile

[3« Numero procedimenti civili », I.Stat, periodo 2014, disponible sur : < http://dati.istat.it/Index.aspx?DataSetCode=DCAR_NUM_PROC_CIV#>

[4« Les chiffres-clés de la Justice 2015 », Affaires terminées en 2014, Sous-direction de la Statistique et des Études, Ministère de la Justice, disponible sur : < http://www.justice.gouv.fr/publication/chiffres_cles_20151005.pdf >

[5Art. 339 du Codice di Procedura Civile.

[6Art. 440 du Codice di Procedura Civile.

[7Art. 618 du Codice di Procedura Civile.

[8Art. 339 du Codice di Procedura Civile.

[9Art. 325 et 326 du Codice di Procedura Civile.

[10Art. 327 du Codice di Procedura Civile.

[11Legge n.69, 18 giugno 2009.

[12Decreto-Legge n.132, 12 settembre 2014.

[13Art. 342 du Codice di Procedura Civile.

[14Art. 163 du Codice di Procedura Civile.

[15Art. 347 du Codice di Procedura Civile.

[16Art. 345 du Codice di Procedura Civile.

[17Art. 348 du Codice di Procedura Civile.

[18Art. 283 du Codice di Procedura Civile.

[19Art. 351 du Codice di Procedura Civile.

[20Art. 283 du Codice di Procedura Civile.

[21Corte di Cassazione, n. 4060/2005.

[22Art. 351 du Codice di Procedura Civile.

[23543 Code de Procédure Civile français

[24514 al.2 Code de Procédure Civile français.

[25Article 33.