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France Télévisions peut-elle valablement licencier l’animateur Tex ? Par Frédéric Chhum et Camille Bonhoure, Avocats.
Parution : jeudi 28 décembre 2017
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Le 14 décembre 2017, FRANCE TELEVISIONS a annoncé le licenciement de Tex, animateur phare de l’émission les Z’amours depuis 17 ans. En cause, la blague sexiste de l’animateur humoriste le 30 novembre 2017, lors de l’émission C’est que de la télé sur C8.
FRANCE TELEVISIONS peut-elle valablement licencier un animateur pour une blague sexiste ?

1) Les faits : licenciement de TEX suite à une « blague » faite en direct sur C8

Le 30 novembre 2017, lors de l’émission C’est que de la télé, sur C8, Tex a créé un malaise sur le plateau après une « blague » sexiste et déplacée sur les femmes battues : « Les gars, vous savez ce qu’on dit à une femme qui a déjà les deux yeux au beurre noir ? Elle est terrible, celle-là ! On ne lui dit plus rien ! On vient déjà de lui expliquer deux fois ! ».

Cette « blague » lancée en direct, a fait réagir les réseaux sociaux, Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et… FRANCE TÉLÉVISIONS, diffuseur des Z’amours.

Selon Madame Caroline Got, Directrice Exécutive de France 2, cette « blague » serait « la blague de trop », TEX ayant fait l’objet de plusieurs remarques quant à son comportement au cours des précédentes semaines.

Le 8 décembre 2017, SONY PICTURES TELEVISION FRANCE, producteur des Z’amours et employeur de Tex aurait « mis à pied » le présentateur en réaction à ses propos déplacés.

Par la suite, le 14 décembre 2017, FRANCE TELEVISIONS, par l’intermédiaire de Caroline Got, a annoncé le licenciement de Tex.

Sur quel motif SONY peut-elle valablement licencier l’animateur phare des Z’amours, après 17 ans ?

2) Motif du licenciement : des comportements fautifs intervenus en dehors du temps et du lieu de travail peuvent-ils justifier un licenciement ?

Pour justifier le licenciement de Tex, SONY s’appuie sur des faits intervenus en dehors du lieu et du temps de travail.

Cependant, des faits intervenus en dehors de l’entreprise peuvent-ils justifier un licenciement ?

2.1) Un comportement fautif relevant de la vie privée ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire

L’article 9 du Code civil pose pour principe que « Chacun a droit au respect de sa vie privée ».

Se fondant sur cette disposition, la Chambre sociale de la Cour de cassation considère qu’un fait de la vie personnelle du salarié ne peut justifier un licenciement disciplinaire.

En effet, et sauf exception, « les faits commis par un salarié qui ne sont pas en corrélation avec son activité salariée ne peuvent pas être considérés comme fautifs » (Cass. soc. 5 mars 2000 n°98-44022).

Seul peut constituer un motif de licenciement disciplinaire le manquement, par le salarié, à une obligation découlant du contrat de travail, telle que l’obligation de discrétion ou de réserve.

La Cour de cassation adopte néanmoins une appréciation très restrictive du fait fautif commis en dehors du temps et du lieu de travail.

En l’occurrence, le manquement de Tex à une obligation contractuelle pourrait difficilement être validé par la Cour de cassation.

En tout état de cause, Tex était l’invité de C8, chaîne du Groupe CANAL +, en sa qualité d’humoriste et non en sa qualité d’animateur des Z’amours.

La « blague » de Tex n’est donc pas en corrélation avec son activité salariée et ne peut donc, à notre sens, justifier un licenciement disciplinaire.

Les propos de Tex peuvent-ils néanmoins justifier un licenciement ?

2.2) Un fait relevant de la vie privée peut justifier un licencier en cas de trouble caractérisé au sein de l’entreprise

La Cour de cassation permet de prendre en compte des faits relevant de la vie privée d’un salarié, non pas pour sanctionner le comportement « fautif » du salarié en lui-même, mais pour prendre en considération les répercussions de ce fait sur l’entreprise.

Ainsi, tout fait tiré de la vie personnelle du salarié peut justifier un licenciement dès lors que, compte tenu des fonctions du salarié et de la finalité propre de l’entreprise, il cause un trouble objectif au sein de celle-ci.

Dans un arrêt du 14 septembre 2010, la Cour de cassation a ainsi considéré que « si, en principe, il ne peut être procédé à un licenciement pour un fait tiré de la vie privée du salarié, il en va autrement lorsque le comportement de celui-ci a créé un trouble caractérisé au sein de l’entreprise » (Cass.soc., 14 septembre 2010, n°09-65.675).

Pour que le « trouble caractérisé » soit retenu, il convient de prendre en considération la nature des fonctions occupées par le salarié et la finalité propre de l’entreprise.

En l’espèce, Tex anime, depuis 2000, l’émission les Z’amours diffusée sur FRANCE 2.

Il représente donc FRANCE TELEVISIONS auprès du public.

Or, les propos tenus sur C8 ont eu de fortes répercussions dans les médias et sur les réseaux sociaux, la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes ayant également saisi le CSA.

Dès lors, le public associant inévitablement Tex à FRANCE TELEVISIONS, ses propos impactaient la relation de son employeur, SONY, avec l’une de ses clientes et créaient donc un trouble caractérisé au sein de l’entreprise.

Le licenciement de Tex pourrait donc apparaitre comme justifié, au regard de ce trouble caractérisé.

La blague sexiste de Tex est bien évidemment condamnable mais est-ce qu’elle constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement ?

Reste à savoir si la liberté d’expression dont dispose tout salarié ne permettrait pas à Tex d’obtenir la nullité de son licenciement.

3) Tex peut-il se retrancher derrière la liberté d’expression de l’humoriste pour obtenir la nullité de son licenciement ?

Tout salarié bénéficie, dans l’entreprise et en dehors, de sa liberté d’expression.

Il ne peut y être apportée que des restrictions qui sont « justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché » (article L.1121-1 du Code du travail).

Cependant, le salarié ne peut abuser de sa liberté d’expression en tenant des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs.

Ont notamment pu être reconnus comme excessifs des propos par lesquels un salarié tournait en dérision les instructions données par son employeur et dénigrait systématiquement les méthodes commerciales mises en place dans l’entreprise (Cass.soc., 5 mai 2004, n°01-45.992).

Cependant, à la lecture des arrêts relatifs à la liberté d’expression des salariés, il apparait que les propos en cause sont toujours en lien, directement ou indirectement, avec l’entreprise.

Or, en l’espèce, les propos tenus par Tex ne mettent en cause ni FRANCE TELEVISIONS, ni SONY et ont été tenus sur C8, chaîne privée du Groupe CANAL +.

En outre, bien que contestables, ces propos ont été tenus par Tex en sa qualité d’humoriste, et non d’animateur télé.

On peut donc s’interroger sur la validité du licenciement de Tex, prononcé en raison de propos tenus en dehors du lieu et du temps de travail, sans aucun lien avec l’entreprise et dont le ton humoristique n’était pas à démontrer.

A notre sens, le licenciement de Tex pourrait être reconnu comme nul, car intervenu en violation d’une liberté constitutionnelle.

La liberté d’expression, et son pendant, le droit à l’humour, l’emporteront-ils sur le trouble caractérisé au sein de l’entreprise ?

A notre connaissance, la Cour de cassation ne s’est pas encore prononcée sur ce point particulier.

Il est intéressant de savoir comment les magistrats trancheraient.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum