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Le Conseil constitutionnel valide le régime d’autorisation préalable à toute exploitation commerciale de l’image des immeubles des domaines nationaux. Par Pierre Favilli, Juriste.
Parution : jeudi 15 février 2018
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Dans une décision du 2 février 2018, n°2017-687 QPC, le Conseil constitutionnel reconnaît la constitutionnalité du régime d’autorisation préalable à l’exploitation commerciale de l’image des immeubles des domaines nationaux, clôturant ainsi les controverses autour de cette innovation portée par la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine.

Tout a débuté lorsque la société Kronenbourg a utilisé en 2010 et 2011 l’image du Château de Chambord dans ses campagnes publicitaires. En réponse à cette exploitation, le brasseur s’est vu assigné par le responsable du domaine en vue du recouvrement d’une redevance de l’ordre de 250 000 €. Dans son arrêt du 16 février 2015, la formation plénière de la cour administrative d’appel de Nantes a refusé de faire droit aux prétentions du responsable du domaine, justifiant ainsi une réaction législative. La loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine a alors inséré au Code du patrimoine un nouvel article, L621-42, qui dispose que : « l’utilisation à des fins commerciales de l’image des immeubles qui constituent les domaines nationaux, sur tout support, est soumise à l’autorisation préalable du gestionnaire de la partie concernée du domaine national. Cette autorisation peut prendre la forme d’un acte unilatéral ou d’un contrat, assorti ou non de conditions financières. »

Le 2 novembre 2017, le Conseil constitutionnel a été saisi par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité, posée par les associations Wikimédia France et La Quadrature du Net, en vue de se déterminer sur la conformité de l’article L621-42 du Code du patrimoine à la Constitution. Les associations requérantes font notamment valoir que l’article L621-42 du Code de Patrimoine :
- Est contraire au principe fondamental selon lequel « l’exclusivité des droits patrimoniaux attachés à une œuvre intellectuelle doit nécessairement s’éteindre après l’écoulement d’un certain délai »
- N’est justifié par aucun motif d’intérêt général et porte une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre
- Viole le principe d’égalité devant la loi, au motif qu’à la seule discrétion des responsables des domaines, les auteurs de clichés pourraient bénéficier ou non d’une autorisation et devoir s’acquitter ou non d’une redevance

A titre liminaire, le Conseil constitutionnel, rappelle que les articles 2 et 6 de la Déclaration de 1789, reconnaissant respectivement la liberté d’entreprendre et le principe d’égalité devant la loi, peuvent souffrir de limitations justifiées par un motif d’intérêt général, tant que proportionnées à l’objectif poursuivi.

Les juges considèrent que l’établissement de ce régime d’autorisation répond à la volonté du législateur de « protéger l’image des domaines nationaux afin d’éviter qu’il soit porté atteinte au caractère de biens présentant un lien exceptionnel avec l’histoire de la Nation », tout en le valorisant, poursuivant ainsi des objectifs d’intérêt général. Le Conseil constitutionnel juge aussi que l’atteinte portée au principe d’égalité devant la loi n’est pas disproportionnée en ce que l’autorisation d’exploitation ne sera refusée qu’en cas d’atteinte à l’image de ces biens. Par ces motifs, le Conseil constitutionnel déclare conforme à la Constitution le régime d’autorisation préalable à l’exploitation commerciale de l’image des immeubles des domaines nationaux instauré par l’article L621-42 du Code du patrimoine.

Si le critère de « l’utilisation à des fins commerciales » présuppose d’exploitations relativement diverses, il ne fait aucun doute que le dépôt de marque s’en trouve visé.Toutefois, malgré la force du monopole reconnu à l’État, celui-ci se trouve limité à l’alinéa 3 de l’article L621-42, qui dispose : « L’autorisation mentionnée au premier alinéa n’est pas requise lorsque l’image est utilisée dans le cadre de l’exercice de missions de service public ou à des fins culturelles, artistiques, pédagogiques, d’enseignement, de recherche, d’information et d’illustration de l’actualité ». En conséquence, seul le dépôt de marque figurative ou semi-figurative reprenant l’image d’un immeuble des domaines nationaux à des fins purement commerciales sera subordonné à une autorisation d’exploitation préalable.

La nature de ces exceptions ainsi que le monopole même accordé à l’État dans l’exploitation de l’image des immeubles des domaines nationaux ne sont pas sans rappeler les caractéristiques inhérentes au droit d’auteur. Bien que n’y faisant pas directement référence, la décision des juges constitutionnels fait d’ailleurs incontestablement planer le spectre du droit au respect et à l’intégrité de l’œuvre.

Pierre FAVILLI Juriste