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Crazy Horse : une Show Manager obtient que sa prise d’acte produise les effets d’un licenciement sans cause et des dommages-intérêts pour harcèlement moral. Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : lundi 19 février 2018
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C’est un arrêt un peu Crazy.

Devant la cour d’appel de Paris, la show manager du Crazy a revisité le Code du travail ; elle réclamait le paiement d’heures supplémentaires, le non-respect des durées maximales quotidiennes et hebdomadaires et une indemnité pour travail dissimulé, elle demandait aussi que sa prise d’acte de rupture produise les effets d’un licenciement ainsi que des dommages intérêts pour harcèlement moral.

(CA Paris 13/02/2018)

1) Rappel des faits

Madame X a été engagée en qualité de danseuse nue sous contrats à durée déterminée par la société CRAZY HORZE ADVENTURE sarl ce du 16 juillet 2001 au 16 juillet 2002, du 17 juillet 2002 au 16 juillet 2003, du 17 juillet 2003 au 16 juillet 2004, du 17 juillet 2004 au 16 juillet 2005, du 17 juillet 2005 au 16 juillet 2006 (les quatre derniers contrats comprenant des avenants, dont le premier en date du 15 juillet 2002, visant sa production à Las Vegas à partir de 2001).

Un avenant au contrat de travail à durée déterminée du 17 juillet 2005 a été signé entre Madame X et la société CRAZY HORSE ADVENTURE le 24 avril 2006 aux termes duquel elle assurait les fonctions de consultante artistique du 1er avril au 30 juin 2006 et devait analyser à ce titre les contraintes de la présentation du spectacle du Crazy Horse à l’étranger.

Madame X a signé avec cette dernière société un nouveau contrat à durée déterminée pour la période du 17 juillet 2006 au 17 janvier 2007 en qualité de danseuse nue.

Un autre contrat à durée déterminée a été signé le 17 janvier 2007 avec la société ALIN et Cie pour la durée de la revue TABOO, qui a fait l’objet d’un avenant visant sa fonction de « super capitaine hors scène » à Lisbonne à partir du 3 avril 2007.

Aux termes d’un avenant du 30 octobre 2009, visant son retour en France à compter de mars 2009, Madame X a pris les fonctions de Show Manager au cabaret de Paris en binôme avec S., sa dernière rémunération mensuelle étant d’un montant brut de 3552,50 euros.

Par lettre du 27 juin 2013, Madame X a pris acte de la rupture de son contrat de travail dans les termes suivants :

Par jugement rendu le 10 novembre 2016, le conseil de prud’hommes de Paris a condamné la société CRAZY ENTERTAINMENT à payer à Madame X les sommes suivantes :
- 20 000 € à titre de rappel de salaire et 2000 € au titre des congés payés afférents,
- 2000 € à titre de dommages-intérêts pour non-respect du repos hebdomadaire,
- 21 315 € à titre d’indemnité pour travail dissimulé,
- 1500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
- débouté Madame X de ses demandes.

Madame X a interjeté appel de ce jugement.

2) L’arrêt du 13 février 2018 de la Cour d’appel de Paris

2.1) Sur la prise d’acte de la rupture qui produit les effets d’un licenciement sans cause

La prise d’acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquements suffisamment graves de l’employeur, empêchant la poursuite du contrat de travail ; si les manquements sont établis, elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’une démission dans le cas contraire.

Madame X opposait à l’employeur le non-paiement d’heures supplémentaires entre le 27 mai 2008 et le 31 décembre 2012, le non-respect des dispositions légales et réglementaires relatives au repos hebdomadaire et au repos journalier, la réduction drastique de ses responsabilités et la modification unilatérale de ses fonctions par le Crazy Horse à compter de janvier 2013, son affectation à une tournée non pérenne et la menace d’un licenciement économique en cas de refus à compter du 6 février 2013, son remplacement par Madame F, un harcèlement managérial.

2.1.1) Sur les heures supplémentaires et le travail dissimulé

S’agissant des heures supplémentaires, aux termes de l’article L 3171-4 du Code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail effectuées, l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Ainsi, si la preuve des horaires de travail effectués n’incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l’employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.

Au regard des documents produits, Madame X a travaillé à Las Vegas de mai 2008 à mars 2009, date à partir de laquelle elle a travaillé à Paris.

Aux termes du contrat à durée indéterminé du 16 octobre 2007, ses horaires étaient de 35 heures par semaine et deux jours de repos hebdomadaires consécutifs ou non consécutifs selon les contraintes des plannings.

Madame X produit aux débats un courriel de sa part en date du 18 août 2008 portant mention de ses plannings et visant des horaires journaliers à Las Vegas de 18h à 0h30 les jours de shows et de 15h à 0h30 lorsque s’ajoutaient des répétitions, des relevés de badgeage à Paris permettant de justifier des horaires variables d’entrée entre midi ou 19h selon les répétitions, certains jours étant “off”.

Elle produit également des attestations de danseuses énonçant son travail systématique à raison de six voire sept jours par semaine au lieu de cinq, l’accomplissement de nombreuses heures supplémentaires et sa présence tous les jours d’ouverture et lors des répétitions hebdomadaires.

Face à ces éléments permettant d’étayer la demande, la Cour observe que la production par La société CRAZY ENTERTAINMENT de tableaux relatifs aux salaires versés pour une période limitée de décembre 2011 à juillet 2013 visant uniformément le même nombre d’heures travaillées - ce alors que la salariée explicite dans une lettre circonstanciée du 29 juillet 2013 la limitation de ses horaires à compter du mois de mai 2013 - restent insuffisamment circonstanciés pour justifier les horaires effectivement réalisés par la salariée.

Le jugement du conseil de Prud’hommes, dont les motifs pertinents sont par ailleurs adoptés, a donc lieu d’être confirmé en ce qu’il a condamné la société CRAZY ENTERTAINMENT à payer à Madame X la somme de 20 000 euros de ce chef outre 2000 euros au titre des congés payés afférents.

2.1.2) Le non-respect des repos quotidiens hebdomadaires

S’agissant des repos hebdomadaires, la cour observe dans les mêmes termes que le conseil de prud’hommes, que les pièces susvisées ne permettent pas de constater le respect par la société CRAZY ENTERTAINMENT des repos hebdomadaires visés au contrat de travail notamment lors de son emploi Las Vegas.

Il en est de même s’agissant du respect des repos journaliers à l’étranger et à Paris comme le fait ressortir les termes d’un courriel particulièrement circonstancié de l’intéressée le 7 février 2012.

En conséquence, la société employeuse sera condamnée à lui verser la somme de 1000 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect du repos hebdomadaire et une somme de 1000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect du repos journalier.

Étant observé que les bulletins de salaire de Madame X mentionnent un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli ce, sur une période suffisamment longue pour ne pas avoir échappé à son employeur, le caractère intentionnel du travail dissimulé sera ici retenu, le jugement étant confirmé en ce qu’il a condamné la société CRAZY ENTERTAINMENT à régler à Madame X la somme de 21 315 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé.

2.1.3) Réduction drastiques des responsabilités

S’agissant de la réduction drastique des responsabilités de Madame X et la modification unilatérale de ses fonctions par la société CRAZY ENTERTAINMENT à compter de janvier 2013, Madame X fait valoir que Monsieur L. a décidé de ne pas donner suite en novembre 2012 à la proposition qui lui avait été faite par Monsieur Haber, directeur général, formalisée dans les termes d’un mail du 28 octobre 2012 de devenir directrice du spectacle dans le même temps où elle restait show manager de la scène de Paris.

Il ressort cependant des échanges de courriels entre Madame X et Monsieur L., président, en novembre 2012 que les deux parties n’ont pas trouvé un terrain d’entente quant à l’évolution des fonctions de la salariée au sein de la société CRAZY ENTERTAINMENT, leurs divergences portant sur les logiques d’organisation proposées par l’appelante et le montant du salaire qu’elle souhaitait, l’avenant dont elle fait ici état ne lui donnant d’ailleurs pas satisfaction dans les termes de son courriel du 21 novembre 2012.

La cour d’appel observe qu’il n’y a pas eu de formalisation d’un accord entre les parties, que l’employeur, dans le cadre de son pouvoir de direction portant notamment sur la gestion des carrières, a explicité son choix de ne pas donner suite à la possibilité de confier à Madame X le poste de directrice du spectacle ce, sur la base de critères portant sur l’organisation de celui-ci, la définition qu’il entendait donner aux fonctions de show manager telle qu’exprimée dans un courriel du 14 novembre 2012 et la rémunération de l’intéressée.

Dès lors, les manquements opposés par Madame X à son employeur sur ces points doivent être écartés.

S’agissant des nouvelles affectations de Madame X, la menace d’un licenciement économique à compter du 6 février 2013, son remplacement par une salariée en contrat à durée déterminée à compter du 18 avril 2013 et sa mise à l’écart, il résulte d’un courriel du 21 mai 2012 de Madame D, directrice générale, que chacun des shows du cabaret de Paris avait sa show manager assurant la continuité, la qualité et l’intégrité du spectacle et la gestion de la troupe, Madame S. assistant la directrice générale pour le recrutement et la formation des danseuses de tous les shows.

Cependant, par lettre des 18 et 21 mars 2013, la société CRAZY ENTERTAINMENT a proposé à Madame X un avenant à son contrat de travail visant son affectation en tant que show manager tournée, cette lettre ainsi que celle du 30 avril 2013 visant, en cas de refus, l’engagement d’une procédure de licenciement économique rendue nécessaire, aux yeux de l’employeur, par la situation de la société.

Or, il convient d’observer que le procès-verbal de délégation unique du personnel du 8 avril 2013 mentionne, sous la présidence de Monsieur L. qu’aucune suppression de poste n’était alors envisagée.

Il est également justifié que Madame D., précédemment show manager à Las Vegas, a été pour sa part embauchée pour travailler au cabaret de Paris du 18 avril au 25 août 2013 en tant que coordinatrice artistique et notamment formatrice alors que les mentions selon lesquelles Madame X était depuis janvier 2013 chargée de la formation des danseuses (son courrier du 29 juin 2013) ne sont pas ici démenties par la société CRAZY ENTERTAINMENT.

Madame X justifie également de l’annulation d’un certain nombre de galas à l’étranger en avril 2013 sans que la société CRAZY ENTERTAINMENT n’apporte pour sa part des éléments sur la tournée qu’il était demandé alors à Madame X d’encadrer.

L’employeur n’apporte pas d’éléments contraires aux mentions de la lettre du 29 juillet 2013 de la salariée visant la réduction importante de ses horaires de travail à compter du 27 mai dans des termes relayées par les attestations de salariées.

Ces éléments en ce qu’ils démontrent que la prise d’acte de la rupture par la salariée du 27 juin 2013 est fondée sur les manquements graves de l’employeur à lui fournir un travail en adéquation avec les termes de son contrat de travail et sur l’annonce d’un licenciement économique non étayé si elle n’acceptait pas une modification des termes de celui-ci conduiront à lui faire produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

2.2) Sur le harcèlement

La cour d’appel relève que Madame X produit aux débats outre les échanges de mails d’ores et déjà examinés par la cour s’agissant des circonstances de la rupture de la relation de travail, une ordonnance délivrée par un psychiatre en mars 2013 et des arrêts de travail et prescriptions médicales à compter du 29 juillet 2013.

La mise à l’écart de Madame X de ses activités parisiennes pendant plusieurs mois, la menace d’un licenciement économique pendant la même durée sans aucun fondement, sont autant d’éléments laissant présumer d’un harcèlement moral managérial.

La cour d’appel accorde à la salariée 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

2.3) Sur les demandes en paiement à la suite de la rupture

Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à la salariée, de son âge, de son ancienneté, de son retour précaire à l’emploi et des conséquences de la rupture à son égard, telles qu’elles résultent des pièces et des explications fournies, la cour d’appel lui alloue une somme de 40 000 € à titre de dommages-intérêts.

La salariée est déboutée de sa demande de rappel de salaire en qualité de local show manager à Las Vegas.

L’indemnité de licenciement est retenue au montant de 4032,09 euros dans les termes sollicités par la salariée.

En conclusion, la Cour d’appel dans son arrêt du 13 février 2018 :
- confirme le jugement entrepris excepté en ce qu’il a débouté Madame X de ses demandes relatives à la rupture et au harcèlement moral et étant précisé que la somme de 2000 euros est allouée à titre de dommages et intérêts pour non-respect du repos hebdomadaire et journalier ;
- dit que la prise d’acte de la rupture du 29 juin 2013 produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- condamne la société CRAZY ENTERTAINMENT à payer à Madame X les sommes suivantes :

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum