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L’association "holding" ou comment concilier intérêt général et efficacité économique ? Par Colas Amblard, Avocat.
Parution : lundi 5 mars 2018
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Actuellement en pleine mutation, le concept d’entrepreneuriat subit de plein fouet la montée en puissance du secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS), symbolisée par la promulgation de la loi du 31 juillet 2014 [1]. Sur le terrain économique, le secteur associatif n’est pas en reste dans la mesure où il représente actuellement l’un des tous premiers employeurs en France (1 salarié du privé sur 10) et pèse 80 milliards d’euros de budget annuel cumulé, soit 3,5% du PIB [2]. Davantage que l’agriculture et l’agroalimentaire réunis.

L’augmentation croissante des associations à caractère économique s’explique notamment par le processus de professionnalisation engagé par ce secteur au cours des dernières années. En effet, il n’est désormais pas rare de voir un actionnariat détenu par un collectif organisé sous la forme d’une institution sans but lucratif (ISBL) [3] dans l’unique but de servir une cause d’utilité sociale voire même d’intérêt général [4]. De prime abord, une telle démarche peut paraître antinomique. Or, au contraire, en se dotant des outils nécessaires leur permettant de pallier la diminution des subventions publiques, ces ISBL entendent plus que jamais concilier intérêt général et efficacité économique. Décryptage de ce qui pourrait être l’entreprise du futur.

1. - Créer une filiale commerciale pour optimiser ses ressources lucratives

Pour un certain nombre d’associations, créer une filiale commerciale est devenu une nécessité. D’abord, parce qu’elles disposent d’un savoir-faire spécifique leur permettant de vendre des biens ou, le plus souvent, des prestations de service sur le marché concurrentiel (exemples : une association œuvrant dans le domaine de la prévention du VIH par la commercialisation de la mise en place de plateformes d’écoute téléphonique ou encore un syndicat local professionnel par l’exploitation d’une activité de voyage). Ensuite, parce que le chiffre d’affaires HT généré par ce secteur lucratif dépasse le seuil de franchise commerciale de 62.250 euros (pour 2018) et/ou risque de devenir prépondérant [5] sur le plan fiscal. Enfin, parce que ces associations souhaitent conserver leur qualité d’organisme non assujetti aux impôts commerciaux – impôt sur les sociétés (IS), taxe sur la valeur ajoutée (TVA), contribution économique territoriale (CET) – pour préserver leur cœur de métier « non lucratif » du risque de globalisation fiscale.

Un tel mode d’organisation est optimal pour une association, une fondation ou un fonds de dotation dans la mesure où la distribution de dividendes à son seul profit peut échapper à l’IS [6] si l’ISBL remplit un certain nombre de condition [7] et opte par ailleurs annuellement pour le régime « mère-fille » [8]. En revanche, il est impératif que l’activité de gestion de titres fasse l’objet d’une sectorisation comptable [9] dans le cadre d’une détention capitalistique majoritaire entraînant une gestion active de la filiale.

Lorsque ces conditions sont réunies, les bénéfices tirés de l’exploitation d’une ou plusieurs activités lucratives par la filiale commerciale permettent de financer le cœur d’activité de l’ISBL, à savoir son secteur non lucratif prépondérant (pour reprendre les exemples précédents : la prévention du VIH pour l’association et la défense des intérêts de ses membres pour le syndicat local professionnel).
En définitive, le risque le plus important pour l’ISBL dans le cadre d’un tel schéma organisationnel pourrait résider dans l’existence de liens économiques privilégiés [10] qu’elle pourrait entretenir avec sa filiale, laquelle en retirerait un avantage concurrentiel. Dans cette hypothèse, la fiscalisation globale de l’ISBL aux impôts commerciaux serait alors immédiate en cas de contrôle de la part de l’administration fiscale.

Sur le plan de la gouvernance, l’adoption de statuts de type société anonyme simplifiée (SAS) permet d’adapter l’organisation interne de la filiale commerciale aux souhaits de son actionnaire unique ou majoritaire, à savoir l’ISBL. Cette liberté statutaire conférée par cette forme juridique de société permet à l’ISBL – en sa qualité de personne morale – de conserver la présidence de la filiale tout en mandatant une ou plusieurs personnes physiques pour gérer cette structure conformément aux objectifs fixés qu’elle s’est fixée. Un conseil de surveillance peut même être prévu pour s’assurer que ces objectifs soient correctement remplis au cours de l’exercice. Dans l’hypothèse – la plus probable – où l’activité lucrative a été développée au sein même de l’ISBL, il convient de procéder par voie d’apport partiel d’actif. En d’autres termes, l’ISBL recevra les titres de la société filiale en contrepartie de l’apport à cette dernière de l’activité lucrative qu’elle aura déployée. Lorsque cette opération de restructuration respecte les conditions posées aux articles 210 A et B du code général des impôts (CGI), l’apport est exonéré d’IS sur les plus-values constatées au moment de l’opération, seul un droit d’enregistrement de 375 euros étant normalement dû [11].

Par la suite, l’ISBL pourra fonctionner en articulant en son sein deux secteurs comptables distincts [12] :
- un secteur regroupant l’ensemble des activités non lucratives qui continuera de représenter son « cœur de métier » ou « métier de cœur » : s’il demeure prépondérant, ce secteur continuera d’être non assujetti aux impôts commerciaux ;
- un secteur regroupant l’activité gestion de titres… : s’il demeure non prépondérant, seul ce secteur comptable sera assujetti à l’IS dans les conditions de droit commun [13].

Dans cette hypothèse, les ressources financières permettant la poursuite du cœur de métier de l’ISBL pourront être les suivantes : les recettes tirées de l’exploitation d’une ou plusieurs activités de vente de biens ou de services non assujetties à l’IS (en cas d’activités non concurrentielles ou conformes aux critères des « 4 P » [14]), les cotisations, les subventions, les dons manuels voire le mécénat (dons et legs) dans le cadre de la réalisation d’une activité d’intérêt général [15].

2. - Créer un fonds de dotation pour financer ses activités d’intérêt général

En marge de sa filiale commerciale, l’association pourra également créer un fonds de dotation [16]. Cette « filiale d’intérêt général » aura pour objectif la recherche de financements privés dans le cadre de la gestion des activités d’intérêt général déployées par l’association « holding ». Pour cette dernière, la formule présente de nombreux avantages [17]. D’une part, elle permet de recueillir des libéralités (dons et legs) exonérés de droits de mutation [18] tout en offrant aux donateurs (particuliers et entreprises éligibles) la possibilité de bénéficier de réductions d’impôt sur le revenu ou sur les sociétés auxquelles donne droit le régime de mécénat [19]. D’autre part, elle rend possible l’exonération d’IS sur les revenus patrimoniaux [20] pour l’ensemble des biens et droits apporté par l’« association holding » au fonds de dotation (à dotation non consomptible) [21] .

Pour que l’« association holding » puisse être bénéficiaire des ressources de mécénat issues de son propre fonds de dotation, il convient au préalable de faire reconnaître son métier de cœur comme étant d’intérêt général [22], voire au sein de ce cœur de métier une seule de ses activités comme étant d’intérêt général [23]. Dans cette dernière situation, il est conseillé d’engager au préalable une procédure de rescrit spécial [24] afin de sécuriser cette opération de restructuration [25].

Étant par principe une personne morale unipersonnelle, le fonds de dotation sera dirigé par au moins trois administrateurs [26] nommés par l’« association holding » au moment de sa constitution, ce qui garantit la prédominance de cette dernière dans la gouvernance de la « filiale d’intérêt général ».

3. - Le « triptyque entrepreneurial » : entreprise du futur ?

Consacré par la loi « Hamon » du 31 juillet 2014 [27], le rapprochement entre le monde de l’entreprise capitaliste classique et celui des institutions sans but lucratif (ISBL) se construit ainsi jour après jour. En favorisant la création de formes juridiques hybrides [28] appartenant aux deux univers, les frontières existantes entre logique économique et logique sociale tendent à disparaître. Les coopérations économiques combinent de plus en plus des démarches entrepreneuriales (lucratives – non lucratives) hier encore opposées et qui, aujourd’hui, apparaissent parfaitement adaptées au contexte économique. Désormais, les associations et autres ISBL (fondations, fonds de dotation, syndicats) n’hésitent plus à prendre des participations dans le capital de sociétés commerciales en procédant par voie de filialisation de leur(s) activité(s) lucrative(s) [29] . Ceci dans un double objectif : sécuriser le statut fiscal (non lucratif) de leur « métier de cœur » et diversifier leurs ressources (distribution de dividendes [30] – mécénat) pour compenser la baisse des financements publics.

L’apparition de ce nouveau « triptyque entrepreneurial » – association holding, filiale commerciale, fonds de dotation – entraîne de profonds bouleversements dans le pacte social de ces groupements, notamment en ce qui concerne les rapports entretenus entre bénévoles et salariés [31]. D’une part, parce que ces deux composantes humaines se trouvent dans l’obligation de développer des formes de coopération de plus en plus étroites (règles d’assiduité pour les administrateurs, co-gestion intégrant les salariés, création de commissions ad ’hoc réunissant l’une et l’autre des composantes…). D’autre part, parce que les contours du bénévolat et du salariat deviennent actuellement de plus en plus flous à l’intérieur de ces structures, dans la mesure où les dirigeants associatifs peuvent désormais percevoir une rémunération (sous une forme dérogatoire) [32] et les salariés accéder aux fonctions dirigeantes de l’association [33].

En intégrant plus de démocratie interne (co-gestion), la prolifération d’ISBL - reconnues d’intérêt général et contrôlant l’actionnariat de filiales de type capitaliste - permettrait de redonner du sens au concept d’entreprise. Par ailleurs, elle consoliderait un modèle entrepreneurial au service de ses acteurs permettant ainsi de lutter contre les dérives liées à la financiarisation de notre économie. Même s’il n’en est qu’au stade des premiers balbutiements, ce nouveau mode de gouvernance capitalistique pourrait, à l’avenir, constituer l’une des manifestations les plus abouties du rapprochement entre l’univers philanthropique et l’univers entrepreneurial classique, bouleversant par là-même les frontières entre désintéressement et lucrativité. À l’inverse de l’entrepreneuriat social, pour partie suspecté de social bashing [34], c’est en réalité la finalité sociale des ISBL qui, dans un tel schéma, exercerait son emprise sur l’entreprise capitalistique, ce qui assurément constituerait un fait nouveau [35].

Colas Amblard Docteur en droit - Avocat associé Cabinet NPS CONSULTING Chargé d\'enseignement à l\'Université Jean Moulin Lyon III

[1L. no 2014-856 du 31 juill. 2014, JO du 1er août ; v. Juris associations n° 506/2014, p. 17 et n° 522/2015, p. 17.

[2F. Bernard, Le secteur économique : ce leader économique insoupçonné, LesEchos.fr, 09 févr. 2018

[3C. Amblard, Le rôle des fondations et fonds de dotation dans la transmission d’entreprise : vers un renouveau du capitalisme en France ?, Lamy Associations, Bull. actu. n° 238, juin 2015

[4C. Amblard, Utilité sociale, intérêt général, utilité publique : optimiser son modèle économique associatif, Juris associations, Dalloz, n°546, 15 oct. 2016, p. 24-26

[5Sur la notion de prépondérance, v. BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP-10-50-20-10 du 1er avr. 2015, § 20 et § 190 s.

[6CGI, art. 145 et 216 : à l’exception d’une quote-part de frais et charges forfaitairement fixée à 5 % du montant brut des dividendes

[7Détention d’au moins 5 % dans le capital de la société soumise à l’IS et engagement de conservation des titres pendant au moins deux ans

[8CGI, art. 210 A et B

[9BOFiP-Impôts préc. § 560 s.

[10Ibidem, § 640 et 650.

[11CGI, art. 816, I, 1o

[12BOFiP-Impôts préc., § 120 s.

[13CGI, art. 206, 1

[14BOFiP-Impôts préc., § 570 à 710.

[15CGI, art. 200 et 238 bis.

[16L. no 2008-776 du 4 août 2008, JO du 5, art. 140 et 141 ; v. JA no 521/2015, p. 16 ; C. Amblard, Fonds de dotation : une révolution dans le monde des institutions sans but lucratif (ISBL) ?, coll. « Axe droit », Lamy associations, 2010.

[17C. Amblard, « L’intérêt pour les associations de créer un fonds de dotation », Lamy associations, Bull. actu. n° 181, avr. 2010.

[18CGI, art. 795.

[19Note 15

[20CGI, art. 206-5

[21L. no 2008-776 préc., art. 140, I, al. 1 et III, al. 7.

[22CGI, art. 238 bis.

[23CGI, art. 200.

[24LPF, art. L 80 C.

[25Pour un dossier d’ensemble sur les restructurations, v. JA no 493/2014, p. 18 ; C. Amblard, « Restructuration des associations : quels enjeux ? », Lamy associations, Bull. actu. n° 186, oct. 2010.

[26L. no 2008-776 préc., art. 140, V, al. 1.

[27L. no 2014-856 du 31 juill. 2014 préc.,

[28Associations à caractère économique, entreprises sociales, coopératives, sociétés coopératives de production (Scop), sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic)…

[29BOFiP-Impôts préc., § 560 s.

[30CGI, art. 245 et 216.

[31Pour un dossier sur les bénévoles et les salariés, v. JA no 499/2014, p. 18 ; C. Amblard, « Associations : un subtil équilibre entre liberté et contrainte (à propos de la relation bénévole – salarié) », interview Rev. Échanges, mai 2011, p. 50.

[32BOFiP-Impôts préc., § 90 s.

[33Ibidem, § 430 à 450.

[34J.-F. Draperi, « L’entrepreneuriat social, un mouvement de pensée inscrit dans le capitalisme », Recma, févr. 2010.

[35Sur l’exemple inverse qui s’est produit dans le domaine du sport professionnel en France : C. Amblard, « La loi “éthique” du 1er février 2012 parachève un long processus de libéralisation du sport professionnel en France », édito, 26 avr. 2012, www.isbl-consultants.fr.