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Vers une généralisation de la médiation dans la fonction publique ? Par David Taron, Avocat.
Parution : jeudi 15 mars 2018
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La médiation a le vent en poupe, les pouvoirs publics promouvant l’émergence d’une société moins conflictuelle, à l’instar de ce qui se pratique dans les pays du nord de l’Europe.

A vrai dire, la médiation procède avant tout du droit de l’Union européenne. C’est d’ailleurs la directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 qui livre la définition légale de la médiation en disposant qu’elle s’entend de « tout processus structuré, quelle qu’en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par la juridiction ».

Procédant d’une initiative européenne c’est fort logiquement que la médiation a vocation à trouver application dans les domaines les plus variés.

Tel est le cas des différends intéressant les fonctions publiques, mais avec quelques particularités qu’il convient de signaler.

La loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 prévoyait que, à titre expérimental et pour une durée de 4 ans maximum à compter de sa promulgation, les recours contentieux formés par certains agents, soumis au statut général des fonctionnaires à l’encontre d’actes relatifs à leur situation personnelle, puissent faire l’objet d’une médiation préalable obligatoire, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État.

Un décret n°2018-101 du 16 février 2018 [1] prévoit que l’expérimentation commencera le 1er avril 2018 et se terminera le 18 novembre 2020.

Notons dès à présent que le caractère obligatoire de la médiation présente une originalité certaine dans la mesure où, par principe, le recours à la médiation repose sur la volonté des parties.

Ceci étant, le décret précité s’avère extrêmement important dans la mesure où il a une incidence certaine sur le régime de recevabilité des recours.

1. Le champ d’application de la médiation obligatoire

Comme le précise l’article 1er de ce texte, doivent être précédés d’une médiation, à peine d’irrecevabilité (dans ce cas le juge statue par voie d’ordonnance), les recours des agents concernant différents sujets tels que, notamment, les rémunérations, la prise en compte des situations de handicap ou bien encore l’aménagement des conditions de travail.

Sont uniquement concernés :
- les agents de la fonction publique d’État affectés dans les services du ministère des affaires étrangères ;
- les agents de la fonction publique d’Etat affectés dans les services académiques et départementaux, les écoles maternelles et élémentaires et les établissements publics d’enseignement situés dans le ressort des académies dont la liste est fixée par arrêté [2] ;
- les agents de la fonction publique territoriale affectés dans un nombre limité de circonscriptions définies par arrêté [3].

Pour une raison qui nous échappe, sont exclus du dispositif les agents de la fonction publique hospitalière.

2. Le régime de la médiation

L’article 3 du décret du 16 février 2018 impose l’engagement de la médiation dans le délai de recours contentieux (deux mois en principe) et ce, par une lettre de saisine émanant de l’agent.

Cette lettre doit être accompagnée de la décision expresse contestée ou, en cas de décision implicite, d’une copie de la demande ayant fait naître cette décision.

Il faut souligner qu’à la différence du « droit commun » de la médiation les parties n’ont pas le choix du médiateur. Selon l’administration d’appartenance, celui-ci sera obligatoirement soit le médiateur des affaires étrangères, soit le médiateur académique territorialement compétent, soit enfin le centre de gestion de la fonction publique territorialement compétent.

La saisine du médiateur est gratuite, conformément à l’article L. 213-5 du Code de justice administrative.

L’administration d’emploi doit obligatoirement informer l’agent de ce qu’il doit saisir le médiateur et lui préciser ses coordonnées. A défaut, le délai de recours contentieux ne court pas à l’encontre de la décision litigieuse (on peut néanmoins penser qu’une décision expresse ne pourra plus être contestée au-delà du délai raisonnable d’un an fixé par la jurisprudence Czabaj [4]).

La médiation interrompt le délai de recours contentieux et suspend les délais de prescription. Cela signifie qu’un nouveau délai de recours - en principe de deux mois - recommencera à courir dès après la fin de la médiation. Ce délai ne sera pas en principe à nouveau interrompu par l’exercice d’un recours gracieux ou hiérarchique, sauf si ce recours constitue un préalable obligatoire.

Par dérogation au principe du privilège du préalable, l’article 5 du décret du 16 février 2018 prévoit que les parties peuvent s’entendre sur la suspension des effets de la décision litigieuse. Cette possibilité offre un réel intérêt pour les différends dans lesquels un agent voit mis à sa charge le paiement d’une somme déterminée.

Il est à noter enfin que la médiation n’est pas bornée dans le temps. L’article 4 du décret prévoit seulement que « soit l’une des parties ou les deux, soit le médiateur déclarent, de façon non équivoque et par tout moyen permettant d’en attester la connaissance par l’ensemble des parties, que la médiation est terminée ». Les abus devraient néanmoins être marginaux, chacune des parties et le médiateur ayant la possibilité de mettre fin à la médiation (cf. article L. 213-6 du Code de justice administrative).

La médiation ainsi prévue se présente donc comme un dispositif souple.

3. Les perspectives offertes.

Qui dit expérimentation dit volonté de généralisation.

C’est dans cet esprit que les articles 7 et 8 du décret du 16 février 2018 prévoient l’établissement de rapports devant permettre d’évaluer les succès et les axes d’amélioration du recours à la médiation.

Gageons que si cette expérimentation s’avère fructueuse, le dispositif sera étendu dès le début de l’année 2021.

Pour qu’il en soit ainsi, deux pré-requis nous paraissent nécessaires :
- il faut, d’une part, que les médiateurs aient les moyens de traiter les dossiers qui leurs seront transmis. Attention donc au risque de submersion ;
- il faut, d’autre part, que les administrations s’avèrent plus enclines au dialogue.

Sur ce dernier point, le législateur semble vouloir provoquer un changement de mœurs.

David TARON Avocat au Barreau de Versailles

[1Ce décret concerne également plusieurs prestations sociales dont le revenu de solidarité active.

[2Arrêté du 1er mars 2018 relatif à l’expérimentation d’une procédure de médiation préalable obligatoire en matière de litiges de la fonction publique de l’éducation nationale (JORF n°0056 du 8 mars 2018).

[3Arrêté du 2 mars 2018 relatif à l’expérimentation d’une procédure de médiation préalable obligatoire en matière de litiges de la fonction publique territoriale (JORF n°0056 du 8 mars 2018).

[4CE Ass., 13 juillet 2016, n°387763.