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Agent commercial : une faute grave exclut l’indemnité même si elle n’a pas justifié la rupture ? Par Magalie Borgne, Avocat.
Parution : lundi 19 mars 2018
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La question de l’indemnité de fin de contrat d’agent commercial est centrale. L’article L 134-12 du Code de commerce prévoit qu’en cas de cessation des relations entre l’agent commercial et la société qui l’a mandaté, cette dernière doit lui verser une indemnité de fin de contrat qui est souvent fixée souverainement par les juges sur la base de deux ans de commissions.

Il existe trois exceptions à ce principe (article L 134-13 du Code de commerce) parmi lesquelles figure l’hypothèse de fautes graves commises par l’agent commercial provoquant la cessation du contrat.

Il appartient à la société de prouver que l’agent commercial a commis de telles fautes, si elle n’entend pas lui verser l’indemnité de fin de contrat.

A titre d’exemple, des sociétés ont signifié à leur agent commercial la résiliation du contrat d’agence commerciale pour les motifs listés suivants :
- non respect du minimum de commandes requis pour effectuer les animations en magasin entraînant une baisse de rentabilité à l’encontre de la politique commerciale,
- absence de retours d’informations ni de suivi des litiges en cours,
- mauvais suivi du linéaire des produits, le défaut répété du remplissage du rayon ayant entraîné le déréférencement de cette gamme dans un magasin,
- mauvaise gestion des campagnes saisonnières, un client ayant fait part de son mécontentement,
- retards d’information sur les avoirs.

Les sociétés ont estimé que ces fautes étaient graves et justifiaient l’absence de versement d’une indemnité de fin de contrat.

L’agent commercial a contesté avoir commis de telles fautes et leur a réclamé le versement de cette indemnité.

S’en suit une procédure judiciaire, au cours de laquelle les sociétés ont ajouté aux fautes susvisées, la commercialisation par l’agent commercial sans leur accord de produits concurrents aux leurs, cet agissement ayant été découvert postérieurement à la résiliation.

Elles ont considéré qu’il s’agissait d’un manquement à l’obligation de loyauté pesant sur l’agent commercial.

En effet, l’agent commercial ne peut accepter la représentation d’une entreprise concurrente de celle de l’un de ses mandants sans accord de ce dernier (article L 134-3 du Code de commerce).

Néanmoins, la cour d’appel de Paris a décidé de faire droit aux demandes de l’agent commercial, estimant que les fautes susvisées n’étaient pas caractérisées et que la commercialisation par l’agent commercial de produits concurrents ne pouvait constituer une faute grave dès lors qu’elle avait été découverte par les sociétés postérieurement à l’envoi de leur lettre de résiliation.

Par un arrêt rendu le 14 février 2018 (n°14-22018), la Cour de cassation casse cette décision au motifs qu’il n’était pas contesté que le manquement à l’obligation de loyauté reproché à l’agent commercial, qui était susceptible de constituer une faute grave privative d’indemnités, avait été commis antérieurement à la rupture du contrat, peu important que, découvert postérieurement par les sociétés l’ayant mandaté, il n’ait pas été mentionné dans leur lettre de résiliation.

Selon cette décision, l’agissement susceptible de constituer une faute grave ayant été commis avant la rupture par l’agent commercial, les juges du fond auraient dû en tenir compte et juger s’il pouvait constituer une telle faute privative de l’indemnité de fin de contrat.

La lettre de résiliation ne fixe pas le litige, et de nouveaux agissements commis antérieurement peuvent être ajoutés même s’ils ont été découverts postérieurement à son envoi.

Certes, cette position n’est pas nouvelle, la Cour de cassation ayant déjà rappelé qu’une faute grave est privative de l’indemnité de cessation de contrat, peu important qu’elle n’ait été découverte que postérieurement à la rupture des relations contractuelles et ne soit pas mentionnée dans lettre de résiliation, dès lors qu’elle a été commise antérieurement à la rupture (notamment, Cour de cassation arrêts des 1er juin 2010 n°09-14115 et 24 novembre 2015 n°14-17747).

Mais, elle a le mérite de la clarté et de la constance.

Magalie BORGNE Avocat en droit des affaires / Droit des successions Cabinet ELOQUENCE