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Conventions de « management fees » : l’organisation des groupes à l’épreuve des contraintes normatives. Par Bastian Bareste.
Parution : mardi 20 mars 2018
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Les "management fees agreements" présentent la particularité d’être, dans le cadre d’un groupe, un instrument qui comme les pactes d’actionnaires tend à favoriser la contractualisation des rapports sociétaires. En ce sens, leur validité doit s’apprécier tant à la lumière du droit des obligations (qui caractérise la liberté contractuelle entourant ces conventions) que du droit des sociétés (qui exprime la dimension institutionnelle délimitant les frontières péremptoires à cette liberté).

Les conventions de "management fees", qui sont des contrats sui generis [1], s’accommodent avec difficulté des qualifications juridiques traditionnelles. Ce contrat, aux conditions de validité incertaines et à l’efficacité douteuse ne laisse que peu de place à l’improvisation pour son rédacteur. Alors même qu’il repose sur une technique contractuelle simple, il revêt une réalité bien plus complexe qui résulte du contrat lui-même, mais également de l’environnement dans lequel celui-ci s’inscrit.

Résultant du contrat lui-même, la convention de "management fees" présente une nature protéiforme. Cette protéiformité est d’abord due aux diverses dénominations que la pratique leur attribue. Elles sont ainsi aléatoirement qualifiées de conventions d’assistance, de gestion ou de direction, lesquelles évoluent au gré de la pratique des affaires. Cette protéiformité résulte également de la liberté contractuelle dont jouissent les parties cocontractantes dans la définition du contenu de la convention.

Résultant de leur environnement, ces conventions, qui occupent une place essentielle dans la pratique des affaires, présentent une nature multiséculaire et une très grande adaptabilité aux besoins des opérateurs économiques, justifiant leur recours dans une très grande variété de domaines. Elles sont ainsi très usitées en matière de distribution ou en matière sociétaire.

L’étude de ces conventions doit dès lors, pour demeurer pertinente, être sectorielle et délimitée. C’est la raison pour laquelle la présente étude se borne à envisager l’inscription des conventions de management fees dans un groupe de sociétés.

Du point de vue de la technique contractuelle, les "management fees agreements" reposent sur la conclusion, par une société holding, possiblement contrôlée et dirigée par une même personne physique, d’ une convention de prestation de services avec ses filiales. Aux termes de cette convention, la société holding réalise, par l’intermédiaire d’une personne physique et contre rémunération, certaines prestations techniques ou générales (en matières d’assistance et de support administratif, comptable, juridique, fiscal ou encore financier et commercial) au profit de ses filiales opérationnelles cocontractantes. Ces prestations peuvent également porter sur la fourniture de services de direction relevant traditionnellement du mandat social. Dans cette configuration, le dirigeant social de la filiale, qui agit également comme mandataire de la société prestataire, se trouve alors doublement rémunéré au titre du mandat social de manière directe et de la convention de "management fees" de manière indirecte.

Dans le cadre d’un groupe de sociétés, et notamment lorsque l’une des sociétés du groupe est cotée, une corrélation peut être établie entre l’existence de "management fees agreements" et la présence d’un actionnaire de contrôle, souvent organisé sous la forme d’une holding familiale [2]. Dans ce cadre, le recours à ces conventions présente de nombreux intérêts.

Elles présentent d’abord un intérêt organisationnel. En effet, elles permettent, notamment en présence d’un actionnaire de référence, de stabiliser la gestion de la société et d’équilibrer la détention capitalistique au sein de celle-ci. Elles favorisent également l’optimisation de la conduite d’une stratégie de groupe et la rationalisation des compétences au niveau de la holding de tête, permettant ainsi d’éviter le recours trop important par les filiales opérationnelles à des prestataires externes.

Elles présentent également des avantages en termes d’optimisations fiscale et sociale. Sous l’aspect fiscal, le recours à ces conventions permet de faire bénéficier à la holding dite "animatrice" [3] nombreux dispositifs fiscaux de faveur notamment en matière de droits de mutation ainsi qu’en matière d’ISF, désormais substitué par l’IFI [4].
Sous l’aspect social, les conventions de "management fees" permettent aux dirigeants de société d’adapter leur régime social et fiscal à leurs besoins afin d’éviter par exemple l’imposition de leur rémunération directoriale au barème progressif de l’impôt sur le revenu (la holding patrimoniale jouant alors le rôle de cash-box [5]).

En l’absence de disposition légale expresse, la jurisprudence a défini les "management fees agreements" comme "des conventions de prestations de services à titre onéreux permettant d’organiser et de gérer le management commercial et directorial des entreprises" [6].
Néanmoins, la jurisprudence n’a jamais clairement précisé, au détriment de la sécurité juridique des opérateurs, les conditions de validité et d’efficacité de ces conventions. A cet égard, la doctrine fait preuve d’une certaine orthodoxie et souligne l’incertitude entourant ces conventions [7].

Partant, il semble alors pertinent, afin de cerner davantage leur régime, les risques et les contraintes qui y sont attachées, d’adopter une nouvelle perspective, fondée non seulement sur la convention elle-même [8] ou les risques qu’elle suscite [9], mais également sur les contraintes résultant de l’environnement dans lequel celle-ci s’inscrit. En effet, leur régime se bâtit aujourd’hui autour d’une double dynamique fondée sur une jurisprudence obscure et un environnement juridique évolutif.
L’évolutivité de cet environnement juridique résulte essentiellement de la contractualisation progressive du droit des sociétés [10], en rupture avec la jurisprudence traditionnelle, du renouvellement du droit des obligations et de l’émergence d’un nouveau cadre social fondé, notamment dans les sociétés cotées, sur la transparence de la gouvernance sociétaire.

Les conventions de "management fees", loin de constituer une simple technique contractuelle d’organisation interne aux groupes, illustrent également les problématiques résultant de l’enchevêtrement entre droit des sociétés et droit des contrats. En effet, le recours grandissant à cette convention traduit de manière manifeste le phénomène croissant de contractualisation irriguant aujourd’hui le droit français des sociétés.

D’un côté, se trouve la liberté contractuelle, largement soutenue par le développement aux instruments de soft law dans la régulation de l’organisation interne des groupes. De l’autre, se trouve l’ordre public sociétaire, destiné à protéger l’institution qu’est la société, mais également ses actionnaires.

Les "management fees agreements" constituent aujourd’hui un contrat de premier plan au sein des groupes de sociétés, à côté des conventions d’omnium de trésorerie et des pactes d’actionnaires. Pourtant, le droit, loin de se désintéresser de ces conventions, les stigmatise en ne garantissant pas la sécurité juridique résultant des attentes légitimes auxquelles peuvent prétendre les parties cocontractantes. En effet, ces dernières s’engagent sur une économie contractuelle dont la viabilité n’a finalement vocation, en contrariété avec toute cohérence juridique, à n’être appréciée que lorsque surviennent les difficultés dans l’exécution des engagements souscrits.

Pourtant, les parties, lorsqu’elles négocient de tels contrats, ne s’affranchissent pas des risques s’attachant aux contraintes normatives en vigueur et opèrent entre elles une répartition logique de la charge en résultant. Similairement, ces risques, touchant à l’économie du contrat de management fees ou au cadre contextuel dans lequel celui-ci s’inscrit, sont de nature variable et évolutive.

La raison de ce paradigme trouve peut-être sa source dans la même volonté que celle sous-tendant les évolutions récentes du droit des sociétés : soit améliorer et renforcer la transparence de la gouvernance sociétaire au profit d’intérêts autres que des seuls intérêts traditionnels existants au sein de la société.

Peut-être la difficulté réside-t-elle d’ailleurs à cet endroit précis, relatif à la définition des intérêts qu’il convient de protéger contre la commission d’abus. C’est d’ailleurs en ce sens que les contraintes entourant aujourd’hui ces conventions seront peut-être appelées à évoluer.

Les rédacteurs de "management fees agreements", insusceptibles de s’affranchir des intérêts social et actionnarial que le droit reconnait aujourd’hui comme légitimes de protection, devront peut-être bientôt prendre mêmement en considération la légitimation de nouveaux intérêts, élargis à toutes les parties prenantes au projet sociétaire et concourant à la création de valeur [11].

Bastian Bareste CrocLawyers.com

[1A. Riéra, Le contrat de gestion d’entreprise ou de management : l’art de travailler avec l’argent des autres ?, AJ Contrat 2017, p. 56 s.

[2Tel est notamment le cas des sociétés Alten, Bic, Bouygues, Sodexo, LVMH, Biomérieux, Faurecia etc.

[3CGI, art. 150-0 D, 1 quater, B, f. de

[4V. en ce sens l’article rédigé par J. Crochet et disponible sur le site Croclawyers ; É. Pornin, Suppression de l’ISF et devenir de la holding animatrice de conventions de management fees, La revue fiscale du patrimoine n° 4, avril 2017, 4.

[5G. Semanedi, La rémunération d’un dirigeant par l’intermédiaire de sa holding patrimoniale, Opt. D. Aff., 16 décembre 2013, n° 2.

[6CA Lyon, 27 novembre 2014, n° 13/01347.

[7P. Merle, Contrat de management et organisation des pouvoirs dans la société anonyme, D. 1975. chron. 245 ; A. Lienhard, Rémunération du directeur général : convention de prestation de services, Revue des sociétés, 2010, p. 462 note sous Cass. com. 14 septembre 2010, F-D, n° 09-16.084.

[8S. Schiller et a., Les conventions réglementées dans les conventions de management fees de sociétés, Actes Pratiques et Ingénierie Sociétaire, n° 142, juillet 2015, dossier 4, § 28-29 ; § 112-113.

[9B. Lacombe, Haro sur les management fees ?, petites affiches, 23 mai 2014, 103, p. 4 s.

[10Voir en ce sens l’excellent article de C. Coupet, Contrat de management et organisation sociétaire, AJ Contrat, 2017, p. 61 s.

[11Le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) ambitionne de donner aux entreprises les moyens d’innover, de se transformer, de grandir et de créer des emplois. En l’état actuel, le projet de loi du gouvernement est encore en cours de préparation et devra être débattu au parlement au printemps 2018. Il a notamment pour ambition de redéfinir l’article 1832 du Code civil en vue d’y incorporer la notion anglo-saxonne de "stakeholders". L’intérêt social ne serait plus seulement constitué par l’intérêt de la société et l’intérêt commun des actionnaires, mais également par celui de toutes les parties prenantes au projet sociétaire.

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