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Facebook et contentieux prud’homal, une question de paramètres ? Par Bénédicte Flory et Margaux Zeisser, Avocats.
Parution : lundi 9 avril 2018
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Dans un arrêt du 20 décembre 2017 [1], non publié au bulletin, la Cour de cassation s’est prononcée sur la consultation d’un compte Facebook d’une salariée, et l’utilisation des données extraites par constat d’huissier dans le cadre d’un contentieux prud’homal, par l’employeur, via le téléphone portable professionnel de l’un de ses collègues de travail.

La cour d’appel d’Aix en Provence [2], faisant droit aux demandes de la salariée, avait écarté la pièce litigieuse des débats et condamné l’employeur au versement de la somme de 800 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l’atteinte à la vie privée.

En effet, cette dernière considérait que « ces informations étaient réservées aux personnes autorisées et l’employeur ne pouvait y accéder sans porter une atteinte disproportionnée et déloyale à la vie privée de la salariée ».

Peu important donc le fait que les informations aient été recueillies «  au moyen d’un téléphone mis à la disposition d’un salarié pour les besoins de son travail » comme le soutenait l’employeur en se fondant sur la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle les éléments dont l’employeur a eu connaissance via un outil mis à la disposition du salarié pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, sauf s’ils sont expressément identifiés comme personnels [3].

Toutefois, la Cour de cassation a rejeté cet argumentaire en faisant sienne la position des juges d’appel : ces informations étaient « réservées aux personnes autorisées », l’employeur ne l’était pas, de sorte qu’il ne pouvait s’en prévaloir.

Dans cette décision, confirmée par la Chambre sociale de la Cour de cassation se prononçant pour la première fois sur la question, la cour d’appel n’a fait qu’appliquer une jurisprudence adoptée par certains de ses homologues ayant déjà eu à se prononcer sur l’utilisation de données extraites de comptes Facebook par l’employeur.

Cet arrêt est donc l’occasion de revenir sur différentes décisions rendues par les juridictions du second degré pour lesquelles Facebook constitue un espace public, accessible à l’employeur, sauf à ce que le salarié soit particulièrement vigilant sur l’utilisation du réseau social.

Ainsi, dans une décision du 15 novembre 2011 [4], la cour d’appel de Besançon a invité les salariés à être vigilants sur le paramétrage de leur compte Facebook en précisant que «  le réseau Facebook a pour objectif affiché de créer entre ses différents membres un maillage relationnel destiné à s’accroître de façon exponentielle par application du principe « les contacts de mes contacts deviennent mes contacts » et ce, afin de leur permettre de partager toutes sortes d’informations ; que ces échanges s’effectuent librement via « le mur » de chacun des membres auquel tout un chacun peut accéder si son titulaire n’ a pas apporté de restrictions ; qu’il s’en suit que ce réseau doit être nécessairement considéré, au regard de sa finalité et de son organisation, comme un espace public ; qu’il appartient en conséquence à celui qui souhaite conserver la confidentialité de ses propos tenus sur Facebook, soit d’adopter les fonctionnalités idoines offertes par ce site, soit de s’assurer préalablement auprès de son interlocuteur qu’il a limité l’accès à son « mur » ».

Dans un arrêt du 9 juin 2010 [5], la cour d’appel de Reims a également affirmé « que nul ne peut ignorer que Facebook, qui est un réseau accessible par connexion internet, ne garantit pas toujours la confidentialité nécessaire » et « que le mur s’apparente à un forum de discussion qui peut être limité à certaines personnes ou non ».

Enfin, la cour d’appel de Lyon a retenu, quant à elle, qu’en « n’activant pas les critères de confidentialité de son compte Facebook (le salarié) a pris le risque que ses propos, qu’il pensait privés soient accessibles à d’autres salariés de la société eux-même titulaires d’un compte Facebook » [6].

En sus du paramétrage de son compte Facebook, le salarié est également invité à s’assurer de celui de son interlocuteur [7].

En effet, même si le compte Facebook d’un salarié est paramétré pour être accessible à ses amis uniquement, les propos qui sont postés sur le mur d’une autre personne sont susceptibles de perdre leur caractère privé puisque leur auteur « s’expose à ce que cette personne ait des centaines d’ " amis " ou n’ait pas bloqué les accès à son profil et que tout individu inscrit sur Facebook puisse accéder librement à ces informations (coordonnées, mur, messages, photos) » [8].

Par conséquent, pour que les éléments publiés par un salarié sur Facebook relèvent de la sphère privée, il faudrait que son compte, et celui des personnes ayant participé aux échanges, soient privés et que l’accès aux « amis » des « amis » et à des personnes indéterminées ne soit pas permis.

Pour la cour d’appel de Rouen, seul ce défaut de paramétrage est « de nature à faire perdre aux échanges litigieux leur caractère de correspondance privée », étant précisé que pour se prévaloir des éléments récupérés, l’employeur devra démontrer la configuration du compte concerné [9].

Si à la lecture de ces décisions, le réseau social semble tantôt revêtir le caractère d’espace privé tantôt celui d’espace public en fonction des paramétrages effectués par son utilisateur [10] et ses interlocuteurs, certaines cours d’appel s’affranchissent de ce critère pour se concentrer sur la manière dont l’employeur a eu accès au compte Facebook du salarié.

Ainsi, dans une décision récente [11], la cour d’appel de Rouen a estimé que l’employeur n’avait pas eu accès à une information publiée sur un compte Facebook de « manière déloyale ou illicite » dès lors que c’est une autre salariée de l’entreprise, « habilitée à consulter le compte Facebook de la salariée », qui en avait « librement et spontanément » informé l’employeur.

Dans cette affaire, la cour ne disposait d’aucune information permettant d’établir avec certitude le paramétrage du compte Facebook ce qui l’a, semble-t-il, incitée à préciser que « l’éventuelle atteinte à la vie privée alléguée par la salariée est légitimée par l’importance de la propre violation par celle-ci de la vie privée d’un client de l’entreprise » (en l’espèce, la salariée avait publié un avis d’imposition d’un client, sans information nominative).

Dans un autre dossier [12], et sans précision sur le paramétrage du compte, la cour d’appel de Douai a rejeté la demande d’une salariée tendant à voir écarter un extrait de conversation publié sur Facebook en estimant que « la participation à un réseau social exclut tout confidentialité » et qu’il n’était pas « établi que l’employeur ait obtenu de manière déloyale » ces extraits.

En l’espèce, l’employeur avait eu connaissance de ces propos par l’intermédiaire de l’interlocutrice de la salariée.

Dans l’arrêt rendu le 20 décembre dernier par la Cour de cassation, il n’est pas précisé si l’employeur s’est vu remettre spontanément le téléphone portable par le salarié titulaire, ni si ce dernier lui a permis de consulter son compte Facebook (ou si le compte était resté ouvert) de sorte qu’il n’est pas possible d’anticiper la position de la juridiction suprême sur ce point.

En tout état de cause, la Cour de cassation, en soulignant expressément que ces informations étaient réservées à certaines personnes, dont ne faisait pas partie l’employeur, semble entériner le principe de primauté du paramétrage du compte, peu important, semble-t-il, la manière dont l’employeur y a eu accès.

Ceci étant, dans un arrêt du 2 février 2018, soit postérieur à celui de la Cour de cassation, la cour d’appel de Toulouse a considéré que les propos tenus par une salariée sur son compte Facebook « affichés sur l’écran de l’ordinateur de l’entreprise et visibles de toutes les personnes présentes dans le magasin, avaient perdu leur caractère privé » [13].

Le critère du paramétrage du compte a, encore une fois, été exclu au profit de la manière dont l’employeur y a eu accès, contrairement à la position de la Cour de cassation dont la cour n’avait peut-être pas encore connaissance eu égard à la proximité des délibérés.

Afin d’éviter toute difficulté, il est donc recommandé aux salariés de ne tenir aucun propos relatif à leur vie professionnelle sur le réseau social, ou « d’utiliser la boîte mail individuelle de Facebook » [14], et de veiller à se déconnecter de leur compte en cas d’utilisation sur leur lieu de travail.

Enfin, on relèvera que si la majorité des décisions en la matière concerne des procédures de licenciement, les propos tenus sur le réseau social ont également permis de :

- Reconnaître l’existence d’un contrat de travail ;

En l’espèce, des messages émis sur Facebook, « sans restriction de destinataire », par l’appelante, employeur, et dans lesquels elle se disait « déçue par Adeline » (la vendeuse), qui lui cherchait « des noises avec son avocats », après avoir dit dans des messages précédents avoir « viré la vendeuse », démontraient l’existence et la rupture d’un contrat de travail.

- Corroborer l’existence d’actes de concurrence déloyale et de détournement de clientèle de la part d’un salarié.

En l’espèce, une salariée, employée dans un institut de beauté, disposait d’un compte Facebook professionnel, nécessairement ouvert à tout utilisateur du réseau social, pour une activité d’esthéticienne « à domicile ».
Pour établir l’existence d’une concurrence déloyale, et d’un détournement de clientèle, l’employeur versait des captures d’écran du compte Facebook démontrant l’exercice d’une activité dans le même secteur géographique mais également l’abonnement de certaines clientes, ou anciennes clientes de l’institut ayant résilié leur contrat, au site Facebook de cette salariée.

A l’inverse, la cour d’appel de Montpellier [15] a refusé de qualifier des commentaires « moqueurs et dégradants » sur le prénom et le poids d’une salariée, par des supérieurs hiérarchiques et collègues de travail, de harcèlement moral dès lors que les propos avaient été tenus « dans un cadre de vie strictement privée des salariés et hors du temps et lieu de travail […] dans le cadre d’une conversation privée qui n’avait pas, pour vocation, à être partagée et à être portée à la connaissance » de la salariée.

En l’espèce, la salariée avait eu connaissance des propos en créant un compte Facebook sous un faux identifiant, ce qui démontre que les conversations n’étaient pas tenues sur des profils « publics » auxquels la salariée avait accès.

Si tel avait été le cas, l’on peut supposer que les propos tenus sur Facebook par les salariés de l’entreprise, envers leur collègue de travail, auraient pu être rattachés à la vie de l’entreprise [16] et être considérés comme constitutifs d’un harcèlement moral au travail.

Compte tenu de l’utilisation généralisée des réseaux sociaux, il serait intéressant de suivre l’application de cette décision par les juges du fond, mais surtout que la Cour de cassation se prononce de manière définitive sur l’accès aux comptes Facebook, des salariés, par l’employeur et la recevabilité des éléments qui en sont extraits.

Dans l’intervalle, les décisions des cours d’appel sont unanimes sur un principe : Facebook est un espace public, salariés et employeurs se doivent d’être vigilants quant au paramétrage de leur compte, mais surtout quant aux propos qu’ils y tiennent, ces derniers étant susceptibles d’être visibles, par ricochet, par une persona non grata.

Bénédicte Flory, Avocat associée et Margaux Zeisser, Avocat collaboratrice Cabinet DIXHUITBOETIE www.dixhuitboetie.fr

[1Cass. soc., 20 décembre 2017, n° 16-19.609

[2CA Aix en Provence, 28 avril 2016, n° 14/03374

[3Cass. com., 10 février 2015, n° 13-14.779, à propos des SMS reçus sur un téléphone professionnel ; Cass. soc., 12 février 2013, à propos d’une clé USB personnelle connectée à l’ordinateur professionnel ; Cass. soc., 9 juillet 2008, n° 06-45.800, à propos des connexions internet via l’outils informatique.

[4CA Besançon, 15 novembre 2011, n° 10/02642

[5CA Reims, 9 juin 2010, n° 09/03205

[6CA Lyon, 24 mars 2014, n° 13/03463

[7CA Besançon, 15 novembre 2011, n° 10/02642

[8CA Reims, 9 juin 2010, n° 09/03205

[9CA Rouen, 15 novembre 2011, n° 11/01827

[10CA Rouen, 15 novembre 2011, n° 11/01827

[11CA Rouen, 24 avril 2016, n° 14/03517

[12CA Douai, 26 janvier 2018, n° 16/00688

[13CA Toulouse, 02 février 2018, n° 16/04882

[14CA Reims, 9 juin 2010, n° 09/03205

[15CA Montpellier, 14 mars 2018, n° 14/09173

[16Voir, pour exemple, Cass. soc., 19 octobre 2011, n° 09-72.672 : licenciement pour faute grave, pour harcèlement sexuel, à la suite de messages électroniques envoyés hors du temps et du lieu de travail.
En l’espèce, la Cour de cassation a considéré que ces faits avaient été commis envers des personnes avec « lesquelles l’intéressé était en contact en raison de son travail ». Par conséquent, ils ne relevaient pas de sa vie personnelle et pouvaient être sanctionnés par un licenciement disciplinaire.