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Le licenciement économique dans la fonction publique hospitalière est-il possible ? Par Angélique Eyrignoux, Avocat.
Parution : jeudi 12 avril 2018
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Le 25 octobre 2017, le Conseil d’État a enjoint au Premier Ministre d’adopter le décret d’application relatif à la perte d’emploi dans la fonction publique hospitalière mettant en œuvre l’article 93 de la loi n°86-33 du 9 janvier 1986 portant statut de la fonction publique hospitalière [1].

Impliquant une prise de position sur le licenciement pour motif économique de fonctionnaires, le texte n’a jamais été adopté par un gouvernement. A l’occasion de la loi n°97-1164 du 19 décembre 1997 de financement de la sécurité sociale, le sujet avait été mis sur la table pour être aussitôt écarté, le gouvernement affirmant alors ne pas avoir l’intention d’adopter la moindre disposition susceptible de se traduire par le licenciement d’agents hospitaliers [2].

Aucun décret d’application n’a donc été adopté. La question est restée en suspens, l’article 93 de la loi n’ayant, quant à lui, pas été abrogé.

Trente ans après l’adoption de la loi de 1986, et presque inéluctablement, le sujet revient sur le devant la scène avec, cette fois, une injonction du Conseil d’État sur requête du syndicat interdépartemental CFDT des services de santé et des services sociaux des Hauts-de-Seine.

Cette décision juridictionnelle intervient dans un contexte de recomposition du paysage hospitalier où les réorganisations structurelles, en marche depuis près de 10 ans, continuent de s’accentuer avec la mise en place progressive des groupements hospitaliers de territoires instaurée par la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 et la nécessité de rationaliser la dépense publique pour maintenir un service public de qualité.

Si la CFDT, à l’origine du recours, considère que le décret sécuriserait juridiquement le reclassement des agents. Pour ses détracteurs (syndicats FO et CGT), le décret à venir laisserait à craindre une vague de suppression de postes incompatible avec le statut protecteur de la fonction publique hospitalière, ouvrant ainsi aux établissements publics de santé une possibilité de licencier des fonctionnaires.

Actuellement, les six mois dont dispose le gouvernement pour adopter le décret d’application arrivent à leur terme dans quelques semaines et aucune mesure n’a encore été prise. Le débat sur l’opportunité d’adopter un décret d’application de l’article 93 pour la garantie des droits des fonctionnaires hospitaliers est donc relancé.

En l’état du droit, le licenciement économique d’un fonctionnaire hospitalier est possible, nul besoin d’un décret pour cela (I). Cependant, il semble que la procédure, validée par le juge, gagnerait à être sécurisée, rendant l’adoption d’un décret indispensable (II).

I. Le licenciement économique dans la fonction publique hospitalière existe déjà.

La perte d’emploi pour raisons économiques est rendue possible par chacun des statuts de la fonction publique. Elle est encadrée par des règles et garanties et découle en principe d’une suppression de poste dont les modalités sont prévues par chaque statut.

Pour la fonction publique hospitalière, l’article 92 de la loi n°86-33 du 9 janvier 1986 portant statut de la fonction publique hospitalière prévoit la suppression de poste et l’article 93 organise les modalités du reclassement. Si l’absence de décret rend cet article inapplicable, pour autant, il ne préserve pas les fonctionnaires hospitaliers d’un licenciement économique.

L’absence de décret d’application de l’article 93 n’a pour effet ni d’empêcher la suppression de postes, l’article 92 demeurant en vigueur et applicable, ni de neutraliser le licenciement de fonctionnaires pour raisons économiques ainsi que le Conseil d’État l’a jugé.

Selon la Haute juridiction, l’impossible mise en œuvre de l’article 93 (en l’absence de décret d’application) a pour effet de rendre applicable l’article L. 886 du Code de la santé publique organisant le dégagement des cadres des agents hospitaliers par mesure d’économie .

Le Conseil d’État a ainsi jugé justifié le licenciement économique d’un moniteur éducateur titulaire, cinq mois après la suppression du poste occupé et auquel cinq offres de reclassement avaient été faites. La Haute juridiction a expressément écarté l’article 93 (plus protecteur) dont l’agent se prévalait pourtant [3].

En effet, les fonctionnaires sont des agents statutaires titulaires de leur grade mais pas de leur poste [4]. En cas de suppression d’emploi, et donc du poste occupé, le fonctionnaire est affecté dans un nouvel emploi selon les modalités prévues par le statut dont il relève. En principe, la suppression de poste implique le reclassement du fonctionnaire, s’il refuse le reclassement, le licenciement doit en principe s’envisager à l’issue de trois propositions.

En tout état de cause, cette procédure peut être mise en œuvre alors même que le décret d’application de l’article 93 n’existe pas. Il résulte donc de la jurisprudence du Conseil d’État que les établissements de santé n’ont nul besoin d’attendre le décret pour procéder à des licenciements économiques. En présence d’un motif économique sérieux, il appert qu’en cas de contentieux, le Conseil d’État validera le licenciement.

L’on constate que, jusqu’à présent, le licenciement sur le fondement de l’article L. 886 est une procédure peu utilisée. Les établissements publics de santé procèdent au reclassement de leurs agents mais très rarement à leur licenciement.

Si la mise en œuvre des groupements hospitaliers de territoires pourrait impliquer des suppressions de poste ainsi que les partisans du statu quo semblent le prédire, l’absence de décret ne mettrait pas à l’abri les agents d’un éventuel licenciement économique, le juge validant le procédé.

II. L’adoption d’un décret d’application permettrait d’organiser un système plus protecteur que celui actuellement en vigueur.

Si l’article 93 qui organise les modalités de reclassement n’est pas applicable, les dispositions relatives à la suppression de poste sont quant à elles effectives, l’article 92 de la loi n°86-33 étant en vigueur et le licenciement économique possible par une application par défaut de l’article L. 886 du Code de la santé publique.

Le système actuel permet le licenciement économique des fonctionnaires hospitaliers selon des modalités peu protectrices.

D’abord, la suppression de poste est organisée par la loi. L’article 92 relatif à la suppression de poste dans les établissements publics de santé prévoit qu’un emploi ne peut être supprimé qu’après avis du comité technique paritaire. Lorsque la suppression d’emploi concerne plusieurs établissements, les assemblées délibérantes des établissements concernés doivent être consultées ainsi que les organisations syndicales.

La suppression de poste prévue par la loi n°86-33 du 9 janvier 1986 implique une procédure dont le respect est, en cas de contentieux, soumis à un contrôle très rigoureux du juge administratif qui vérifie la réalité du motif économique invoqué par l’établissement.
A défaut, de motif économique véritable, la procédure est annulée [5]. Cependant, dans l’hypothèse où le motif économique est sérieux, les modalités de reclassement sont plus souples que celles prévues par l’article 93 et a fortiori que celles qui pourraient être prévues dans le décret à venir.

Ensuite, en application de l’article L. 886 du Code de la santé publique, une fois la suppression de poste effectuée, le fonctionnaire peut être reclassé et à défaut licencié. Précisément, l’article L. 886 du Code de la santé publique prévoit :
« En dehors de l’application d’une sanction disciplinaire, le dégagement des cadres d’un agent hospitalier ne peut être prononcé qu’à la suite de suppression d’emploi décidée par mesure d’économie.
L’agent licencié dans ces conditions sans avoir droit à pension, peut prétendre à un reclassement par priorité dans l’un des emplois vacants similaires des établissements publics d’hospitalisation, de soins ou de cure sous réserve qu’il remplisse les conditions d’aptitude nécessaires
 ».

Il résulte d’une acception stricte de ces dispositions, qu’en présence d’une suppression d’emploi, l’obligation de reclassement de l’établissement pourrait se limiter à une seule proposition de poste. Si ces dispositions pourraient être interprétées plus favorablement, rien n’est moins sûr. Jusqu’à présent, il semble que le juge n’ait pas statué sur cette question.

L’article 93 est plus protecteur.

En cas de suppression de poste, l’article 93 met à la charge de l’établissement une obligation de reclassement plus précise (que celle de l’article L. 886 précité) impliquant qu’au moins trois postes vacants (et non un) soit proposé au fonctionnaire concerné selon un ordre de priorité géographique et dans un délai à déterminer.

Également, l’article 93 prévoit que l’agent devrait disposer d’un délai pour accepter chaque poste de reclassement proposé. A l’issue de trois refus, le licenciement pour motif économique pourrait être engagé. L’article 93 prévoit un délai global de six mois pour cette procédure.

Dans la décision précitée du Conseil d’État du 13 février 2004, le fonctionnaire avait d’ailleurs tenté de se prévaloir de l’article 93 en invoquant l’incompatibilité des postes proposés avec sa vie personnelle et l’absence de prise en compte par le centre hospitalier de la moindre contrainte géographique. Faisant application de l’article L. 886, le Conseil d’État avait écarté ces arguments, l’article 93 n’étant pas applicable.

Avec le dispositif actuel (article 92 + L. 886), l’agent ne peut se prévaloir des dispositions de l’article 93 et ne peut donc bénéficier ni d’un minimum de proposition de reclassement ni d’une priorité géographique.

Pour l’heure, le statut de la fonction publique hospitalière est le seul des trois statuts à ne pas disposer d’une procédure de reclassement encadrée. Le statut de la fonction publique territoriale et celui de la fonction publique d’État organisent les modalités du licenciement économique dont la mise en œuvre implique le respect d’une procédure plus protectrice favorisant notamment la reconversion professionnelle et dont l’objectif n’est pas le dégagement des cadres, lequel intervient en dernier recours.

Avec la mise en place des groupements hospitaliers de territoire en application de la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 impliquant une mise en commun de fonctions entre établissements publics de santé afin de rationaliser leur fonctionnement tout en veillant à maintenir un service public de qualité, l’adoption du décret d’application de l’article 93 de la loi n°86-33 du 9 janvier 1986 pour encadrer les modalités de reclassement des fonctionnaires et accompagner la suppression de poste est rendue impérieuse.

Angélique EYRIGNOUX Avocat - Docteur en droit #Droit de la Fonction publique www.eyrignoux-avocat.com

[1CE, 25 octobre 2017, n°405239.

[2Question n°15967, JOAN 22 mars 1999.

[3CE, 13 février 2004, n°243594

[4Article 12 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

[5CE, 27 janvier 1993, Centre hospitalier régional de Nice, n°104205 (licenciement économique d’un fonctionnaire hospitalier intervenu en application de l’article L. 886 du Code de la santé publique mais dont la suppression de poste pour motif économique a été annulée par le juge) ; CAA Nantes, 24 mai 2017, Centre hospitalier intercommunal des Andaines, n°16NT01099.