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Pitcher ou ne pas pitcher ? Par Nasséma Mahmoudi, Avocat.
Parution : lundi 23 avril 2018
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En début d’année, la société Brioche Pasquier Cerqueux a adressé des mises en demeure à des start-up leur rappelant ses droits sur la marque Pitch. Une série d’articles sont parus dans la presse, ainsi qu’un hashtag sur les réseaux sociaux.
Les start-up ne pourraient-elles plus utiliser le terme "pitch" ?

Le terme « pitch » est beaucoup utilisé dans le milieu des start-up. Ce terme fait référence à une courte présentation effectuée pour convaincre des investisseurs notamment.

Les plus gourmands savent aussi que Pitch est une variété de viennoiserie. La société Brioche Pasquier Cerqueux a déposé la marque dans 39 des 45 classes que compte la classification de Nice ! Elle est, en outre, titulaire de la marque la "Pitch Academy, tout se joue dans les 3 premières minutes" déposée le 23 juillet 2014.

Début 2018, plusieurs start-up françaises ont reçu des mises en demeure de la société Brioche Pasquier Cerqueux.

On peut aisément imaginer que la société souhaite protéger ses marques et éviter une dégénérescence du terme « pitch ».

La fonction essentielle de la marque consiste, en effet, à garantir au consommateur l’origine du produit ou du service désigné. Elle permet de distinguer sans confusion un produit ou un service.

Or, aux termes de l’article L714-6 a) du Code de la propriété intellectuelle :

« Encourt la déchéance de ses droits le propriétaire d’une marque devenue de son fait : a) La désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service ».

Ainsi, c’est la passivité du titulaire de la marque qui est sanctionnée en la matière. Il est donc fondamental que les titulaires de marques effectuent une veille de toutes les publications. Ainsi si une marque est utilisée à mauvais escient, le titulaire de la marque concernée doit adresser un courrier pour expliquer que le terme utilisé est une marque. Il peut aussi être utile de demander d’utiliser le symbole ® qui permet de rappeler au public qu’il s’agit d’une marque enregistrée (bien que cela ne soit pas une obligation en droit français).

A titre d’exemple, rappelons que la dénomination "piña colada" a fait l’objet d’une nullité. La Cour de cassation a jugé que la société titulaire de la marque « est intervenue dans certains cas pour s’opposer à l’enregistrement du signe enregistré, elle est restée passive face à l’emploi généralisé de l’expression piña colada pour désigner un cocktail alcoolisé à base de jus de fruits, notamment dans des livres de recettes, sur un site internet, et sur les cartes de bars ou d’entreprises de restauration exploitant de nombreux établissements » [1]

Plus récemment, la Cour d’appel de Nancy a jugé que le titulaire de la marque « bois rétifié » ne rapportait pas la preuve « qu’il a combattu l’usage à titre descriptif des termes « bois rétifié » ou « rétifié » par une campagne menée contre cet usage généralisé de son signe comme nom commun, la marque Bois Rétifié apparaît frappée de dégénérescence par excès de notoriété, peu important les actions isolées menées par le titulaire ». [2]

C’est systématiquement la passivité du titulaire de la marque qui est sanctionné. Il convient, toutefois, de noter qu’il s’agit de l’emploi de la marque dans son usage courant (piña colada pour une boisson par exemple).

A ce jour, une dizaine de décisions ont déjà été rendues par l’INPI sur la base des deux marques précitées de la société Brioche Pasquier Cerqueux. Elle mène donc une politique active de veille.

La majorité de ces décisions sont favorables à la société. Il serait, toutefois, intéressant que les juges du fond soient saisi d’un appel.

La société Brioche Pasquier Cerqueux ne pourra empêcher l’utilisation du terme "pitch" dans son acceptation courante rappelée en introduction.

Rappelons qu’une marque qui n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux durant cinq ans encourt la déchéance. Concernant la marque Pitch, cet argument ne peut pour le moment être évoqué pour la marque "Pitch Academy, tout se joue dans les 3 premières minutes" ayant été déposée en 2014.

A retenir.

Pour éviter la dégénérescence d’une marque, il faut donc :
- Agir contre toute utilisation de la marque qui lui ôterait sa distinctivité ;
- Mener une veille des marques publiées ;
- Alerter les éditeurs de dictionnaires, journaux et autres publications.

Avocat au Barreau de Paris www.avocat-mahmoudi.fr

[1Cass. com., 28 avril 2004, n° 02-10505.

[2CA Nancy, 18 mai 2016, n°2015/01335.