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Réforme du licenciement économique : au secours des TPE-PME ? Par Romain Pagnac, Avocat.
Parution : jeudi 10 mai 2018
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L’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail s’inscrit parmi les cinq ordonnances dites « Macron » et entend modifier les règles applicables en matière de licenciement pour motif économique.

Cette réforme est intervenue par voie d’ordonnance, ce qui n’a pas permis au débat parlementaire d’en amender la rédaction. Peut-être la discussion au Parlement aurait-elle contribué à purger les carences et écueils rencontrés…

Tour d’horizon des enjeux de la réforme applicable aux licenciements pour motif économique effectués à compter du 23 septembre 2017, date de publication au Bulletin Officiel de l’ordonnance applicable.

Définition

La cause de licenciement pour motif économique, dit « licenciement économique », a été intégrée dans notre droit avec l’ordonnance du 24 mai 1945 [1]. Toutefois, c’est par la loi du 3 janvier 1975 que le législateur est venu instaurer un régime juridique propre à ce type de licenciement [2].

Strictement régi par le Code du travail [3], le licenciement économique constitue une procédure qui ne peut être engagée que pour des raisons non-inhérentes à la personne du salarié.

Ce licenciement peut être justifié par des raisons économiques issues soit d’une transformation ou d’une suppression de l’emploi concerné, soit d’une modification d’un élément essentiel du contrat de travail refusée par le salarié.

Subsistance des 4 critères pour licencier

Concrètement, l’article L. 1233-3 du Code du travail liste les raisons économiques sur lesquelles l’employeur peut se fonder, à savoir :
- difficultés économiques ;
- mutations technologiques ;
- réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;
- cessation d’activité de l’entreprise [4].

Avec l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, aucune raison économique n’a été ajoutée ou supprimée.

Cette réforme, compte tenu de ses enjeux, amène à s’interroger sur ses apports et ses conséquences, notamment sur les TPE-PME qui composent très largement le tissu économique français.

Changements apportés

L’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 a modifié certains pans de la procédure de licenciement pour motif économique qui méritent une attention particulière.

Premièrement, des modifications ont été apportées à l’ordre des licenciements en matière de licenciements collectifs pour motif économique [5]. L’application de cette disposition concerne toujours 4 situations :
- les charges de famille ;
- l’ancienneté de service ;
- la situation sociale des salariés ;
- les qualités professionnelles appréciées par catégorie.

Néanmoins, l’ordonnance n°2017-1387 vient définir les conditions dans lesquelles il est permis de délimiter à l’intérieur de l’entreprise, un périmètre réduit pour l’application des critères d’ordre.

Les nouvelles dispositions précisent en effet que le périmètre peut être fixé conventionnellement. En l’absence d’une telle convention, l’ordre des licenciements doit se faire dans la zone dans laquelle sont impliquées les suppressions d’emploi.

Deuxièmement, l’ordonnance vient réduire les délais de recours en cas de contestation d’un licenciement pour motif économique [6]. Désormais, le délai de prescription est porté à 12 mois à compter de la dernière réunion du Comité Social Economique [7] ou à compter de la notification du licenciement.

A noter désormais, qu’à compter de la réception de la lettre de licenciement, le salarié dispose de 15 jours pour demander à l’employeur des précisions concernant les motifs énoncés.

Davantage de prévisibilité est par ailleurs donné aux entreprises par l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 en ce sens qu’un vice de procédure ne pourra plus faire l’objet que d’une sanction sous la forme d’une indemnité forfaitaire versée au(x) salarié(s), pouvant atteindre jusqu’à un mois de salaire. Cette modification traduit selon, certains, tels le Professeur Françoise Favennec-Héry, une « uniformisation du régime du licenciement » entre les TPE-PME et les grandes entreprises [8].

Toutefois, cette volonté d’« uniformisation » trouve rapidement ses limites.

La troisième modification apportée par l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 concerne en effet :
- l’appréciation géographique des difficultés économiques
- ainsi que de la sauvegarde de la compétitivité d’une entreprise appartenant à un même groupe.

Dorénavant, la juridiction prud’homale saisie afin d’apprécier des difficultés économiques rencontrées par une très grande entreprise ou un grand groupe ne doit tenir compte que du périmètre national et non plus international.

Autrement dit, un très grand groupe rencontrant des difficultés économiques au sein de l’une de ses filiales françaises peut désormais procéder à des licenciements économiques quand bien même le groupe, dans son ensemble connaît une augmentation de son chiffre d’affaires (cf. le cas du groupe WHIRLPOOL…).

L’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 donnera sans doute de l’oxygène aux très grandes entreprises ainsi qu’aux grands groupes qui en sont les principaux bénéficiaires. Il est moins évident qu’elle entraîne des changements significatifs pour les TPE-PME.

Enfin, l’ordonnance Macron vient modifier le régime des obligations de reclassement. La réforme maintient les mêmes obligations qu’antérieurement et vient simplement apporter de nouvelles précisions, notamment concernant la notion de groupe ou les modalités de communication des offres de reclassement [9].

Cette absence de simplification est sans nul doute regrettable dans la mesure où le reclassement interne lors d’une procédure de licenciement pour motif économique constitue une obligation lourde et délicate à mener pour les entreprises.

Ces difficultés impactent naturellement davantage les TPE-PME, souvent dépourvues de service RH ou de juristes, en comparaison aux grandes entreprises qui n’ont guère de peine à diffuser une « liste des postes disponibles aux salariés concernés » [10] pour respecter l’obligation de reclassement.

A cet égard, le Professeur Gérard Couturier considère qu’ « il en résultera un recul de l’obligation de reclassement qu’il est sans doute trop tôt pour mesurer exactement » [11].

Vers une reforme d’ensemble ?

Si des avancées sont à souligner au travers des ordonnances Macron du 22 septembre 2017, elles concernent, à leur examen, en réalité davantage les très grandes entreprises que les TPE-PME.

Sans doute aurait-il été préférable que cette problématique essentielle des difficultés économiques et des licenciements afférents s’inscrive dans le cadre d’un plan de réforme plus global qui aurait pu permettre des avancées concrètes pour les petites entreprises en France (simplification de la procédure de reclassement, mutualisation du règlement des indemnités de licenciement…).

Puisse nos parlementaires entendre ces nécessaires préconisations…

Romain Pagnac Avocat au Barreau de Bordeaux - Docteur en Droit Chargé d'enseignement à l'Université de Bordeaux http://burdigala-avocats.fr/

[1Ordonnance n°45-1030 du 24 mai 1945 relative au placement des travailleurs et au contrôle de l’emploi

[2Loi n°75-5 du 3 janvier 1975 relative aux licenciements pour cause économique

[3Art. L. 1233-2 et suivants du Code du travail

[4Les deux dernières raisons économiques ayant été instaurées par la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

[5Art. L. 1233-5 du Code du travail

[6Article L1235-7 du Code du travail

[7Le CSE est une institution entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2018. Il fusionne l’ensemble des représentants du personnel et devra être mise en place dans toutes les entreprises de plus de 50 salariés avant le 1er janvier 2020.

[8Les PME dans les ordonnances Macron, Droit social 2018, p. 46.

[9Art. L. 1233-4 du Code du travail

[10Art. L. 1233-4 du Code du travail

[11Droit social, janvier 2018, p. 17. Les deux dernières raisons économiques ayant été instaurées par la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.