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Garde à vue : la jurisprudence relative à l’article 803-6 du Code de Procédure Pénale. Par Fabrice Helewa, Avocat.
Parution : vendredi 15 juin 2018
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Le nouvel article 803-6 du Code de Procédure Pénale (relatif au document récapitulant les droits de la personne gardée à vue) fait l’objet d’un contentieux nouveau. Cet article et les droits qu’il prévoit a suscité quelques espoirs dans le contrôle des procédures et la meilleure préservation des intérêts de la défense (Voir précédent article). Après quelques années, la jurisprudence semble se fixer dans le sens d’une interprétation tellement restrictive de cet article que la Cour de cassation, notamment en sa chambre criminelle, limite considérablement la portée de ces nouveaux droits, pourtant issus d’une directive européenne. Actuellement, la jurisprudence semble fixée sur les points suivants.

La remise du document prévu à l’article 803-6 ne peut suppléer au défaut d’énonciation des droits lors du placement en garde à vue : « Attendu que, pour constater l’irrégularité de l’audition recueillie postérieurement à la prolongation de la garde à vue de la personne mise en examen, l’annuler et étendre les effets de cette annulation aux actes énumérés à son dispositif, l’arrêt énonce que si Mme X... a été présentée au magistrat instructeur, qui a prolongé de 24 heures la mesure de garde à vue le 7 mai 2015, et si la notification initiale des droits mentionne l’hypothèse d’une prolongation de cette mesure, l’audition du 7 mai 2015 à 16 heures 10 s’est prolongée le même jour jusqu’à 18 heures 05 sans que les droits attachés à la prolongation de la garde à vue ne fussent notifiés à la personne concernée, qui, de ce fait, n’a pas été mise en mesure de solliciter un second examen médical et un entretien avec son avocat ; que les juges ajoutent que cette absence de notification a nécessairement fait grief à Mme X... et ce, même si son audition a été réalisée en présence d’un avocat qui n’a formulé aucune observation ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, et dès lors que la notification à la personne concernée des droits attachés à la prolongation de la garde à vue est une condition d’effectivité de leur exercice, la chambre de l’instruction a justifié sa décision, sans méconnaître les dispositions légales invoquées. » [1]

La remise du document de l’article 803-6 se déduit des énonciations figurant sur le procès-verbal : « Attendu qu’en statuant ainsi, et dès lors que les mentions portées au procès-verbal de notification des droits émargées par l’officier de police judiciaire et la personne gardée à vue attestent de l’accomplissement, dans une langue comprise par celle-ci, de l’information prévue par les articles 63-1 et 803-6 du code de procédure pénale, la chambre de l’instruction a justifié sa décision ; D’où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa deuxième branche, ne saurait être accueilli ; » [2]

La Cour de cassation rejette le pourvoi contre un arrêt d’appel qui ne sanctionne pas une absence de remise de ce document par le Juge des Libertés et de la Détention en cas de prolongation de la détention provisoire, au motif qu’il ne s’agit pas d’une situation nouvelle de privation de liberté. [3] « Attendu que, pour écarter l’exception de nullité de l’ordonnance entreprise tirée de ce que le juge des libertés et de la détention n’avait pas remis à la personne mise en examen, à l’issue du débat contradictoire, le document prévu par l’article 803-6 du Code de procédure pénale, l’arrêt retient que les dispositions de ce texte ont pour objet d’informer la personne mise en examen confrontée à une situation nouvelle de privation de liberté, ce qui n’est pas le cas de M. X..., détenu depuis quatre mois lors du renouvellement de son mandat de dépôt ;

Attendu qu’en relevant que l’article 803-6 du Code de procédure pénale ne prescrit pas la remise du document d’information qu’il prévoit lors de la prolongation de la détention provisoire, la cour d’appel a fait l’exacte application des textes visés au moyen ; qu’en tout état de cause, le défaut de remise, à la personne mise en examen, de ce document, après le prononcé de son placement en détention provisoire, est sans incidence sur la régularité de cette décision ».

On pouvait penser, a contrario, qu’en cas de situation nouvelle de privation de liberté (c’est le cas lors du placement en garde à vue), l’absence de remise de ce document pourrait être sanctionnée. La Cour de cassation opte pour une solution plus précise : le défaut de remise ne caractérise pas, en soi, une irrégularité dès lors que la notification des droits intervient régulièrement [4] mais le débat se déplace finalement sur la question du grief : « Attendu qu’en prononçant ainsi, la chambre de l’instruction a justifié sa décision dès lors que l’intéressé, qui a bénéficié, par le truchement d’un interprète, de l’information de l’intégralité de ses droits mentionnés à l’article 63-1 du code de procédure pénale aux différentes étapes de sa garde à vue et renoncé de manière non équivoque à l’assistance d’un avocat, ne démontre aucun grief résultant du défaut de remise du document prévu par l’article 803-6 de ce code dans le temps de la mesure. » [5]

Ainsi le juge doit rechercher si ce défaut de remise démontrait une atteinte à ses droits : « Attendu que, pour mettre fin à cette mesure, l’ordonnance retient que, lors d’une garde à vue, l’absence de remise d’un document écrit dans une langue comprise par l’intéressé, telle que prévue par l’article 803-6 du code de procédure pénale, porte nécessairement atteinte à ses droits, même si la personne était assistée d’un interprète lors de la notification de ceux-ci, et qu’il ressortait de la procédure qu’un document avait bien été remis, mais qu’aucun élément ne permettait d’établir qu’il s’agissait bien d’un document en langue arabe, alors qu’il avait été constaté que Mme A... avait besoin de l’assistance d’un interprète ; Qu’en statuant ainsi, alors qu’ayant relevé que Mme A... avait bénéficié, par le truchement d’un interprète, de l’information de l’intégralité des droits prévus à l’article 803-6 du code de procédure pénale, il lui appartenait de rechercher si l’intéressée démontrait qu’une atteinte à ses droits résultait du défaut allégué de remise d’un document répondant aux exigences de ce même article, le premier président a violé les textes susvisés ; (…) Casse et annule ». [6]

Enfin, de façon logique, la différence de traitement entre une personne gardée à vue parlant le français et une autre ne le parlant pas n’est pas de nature à violer la constitution : « Et attendu que la question posée ne présente pas un caractère sérieux, dès lors qu’il résulte de ses termes mêmes qu’ aucune disparité de droits n’existe entre des personnes gardées à vue s’exprimant en langue française ou en langue étrangère, qu’elles sachent ou non lire, qui, après notification verbale de leurs droits, directement ou par l’intermédiaire d’un interprète, se voient remettre le document énonçant leurs droits prévu par l’article 803-6 du code de procédure pénale, écrit dans leur langue, aux fins de lecture, le cas échéant par l’intermédiaire d’un tiers ou de leur avocat ; (…) dit n’y avoir lieu de renvoyer. » [7]

En conséquence, l’état du droit semble être le suivant : la preuve de remise du document prévu à l’article 803-6 se déduit du procès-verbal d’énonciation des droits, la remise du document ne peut suppléer l’absence d’énonciation des droits, l’énonciation des droits peut pallier l’absence de remise du document, sauf si un grief est tiré de l’absence de remise, lequel doit être alors recherché par le juge.

Le point qui n’est pas encore tranché par la Cour de cassation (pourvoi en cours) concerne l’article 803-6 - 9°, qui consacre un droit nouveau ne figurant pas parmi les droits énoncés oralement.

Fabrice HELEWA, Avocat, Docteur en Droit.

[1Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 1 décembre 2015, 15-84.874, Publié au bulletin.

[2Chambre criminelle Audience publique 21 février 2017 N° de pourvoi : 16-85224.

[3Cour de cassation - Chambre criminelle - Arrêt n° 6045 du 14 octobre 2014 ; 14-85.555 - ECLI:FR:CCASS:2014:CR06045.

[4Cass. crim., 2 nov. 2016, n 16- 81.537 ; Cass. crim., 2 nov. 2016 , n°16-81.540

[5Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 7 février 2017, 16-85.187, Publié au bulletin.

[6Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 8 mars 2017, 16-13.533, Publié au bulletin.

[7Arrêt n° 386 du 21 février 2017 (16-85.224 - Cour de cassation - Chambre criminelle - ECLI:FR:CCASS:2017:CR00386)

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