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Télétravail et titres-restaurant. Par Jean-Marc Noyer, Avocat.
Parution : samedi 16 juin 2018
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Le télétravail est un dispositif permettant à un salarié de travailler hors des locaux de l’entreprise et ce, en usant des technologies de l’information et de la communication (TIC). Du fait de son essor au cours de ces dernières années, le cadre juridique du télétravail ne cesse de s’étoffer. Il demeure toutefois certaines incertitudes, notamment concernant l’attribution des titres-restaurant aux télétravailleurs.

Au préalable, il convient de rappeler brièvement la règlementation applicable au titres-restaurant (1) avant de s’intéresser plus spécifiquement au télétravail (2).

1) Observations préalables sur la règlementation des titres-restaurant.

Les titres-restaurant sont à ce jour réglementés par les articles L3262-1 s. et R 3262-1 s. du Code du travail.

Il est important de rappeler qu’il s’agit d’un dispositif facultatif [1].

En effet, les titres-restaurant ont été prévus initialement afin de pallier l’absence de restauration d’entreprise sur le lieu de travail du salarié. La délivrance de titre restaurant est ainsi un moyen pour l’employeur de respecter les dispositions de l’article R4228-19 du Code du Travail lequel interdit de laisser les travailleurs prendre leur repas dans les locaux affectés au travail.

2) Titres-restaurant et télétravailleurs.

a) L’interdiction de principe de distinguer les conditions d’octroi des titres-restaurants entre les salariés de la même entreprise.

L’employeur est libre de recourir aux titres-restaurant à la condition toutefois de ne pas prévoir de traitement différencié entre ses salariés.

A titre d’exemple, depuis le 12 juillet 2014 (loi du 10 juillet 2014) l’employeur doit également attribuer des titres-restaurant aux stagiaires [2].

Les télétravailleurs ne font pas exception à cette règle.

En ce sens, l’article 4 de l’accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 sur le télétravail précise que

« les télétravailleurs bénéficient des mêmes droits et avantages légaux et conventionnels que ceux applicables aux salariés en situation comparable travaillant dans les locaux de l’entreprise ».

En outre, tant la commission nationale des titres-restaurants (CNTR) [3] que l’URSSAF approuvent l’attribution de ticket restaurant aux personnels en télétravail. [4]

Le titre-restaurant étant assimilé à un avantage social, il est logique que celui-ci soit accordé de manière égalitaire entre les salariés et de prohiber toute discrimination.

En effet, le dispositif légal en vigueur interdit expressément à l’employeur de prévoir une tarification différente au regard de certaine situation spécifique comme par exemple la catégorie professionnelle.

Est donc impossible la différenciation dans l’octroi de titres-restaurant entre les cadres et les non-cadres placés dans la même situation [5].

b) La possibilité d’exclure le bénéfice des titres-restaurants à l’égard de certains salariés.

Malgré le principe susmentionné, il existe une possibilité pour l’employeur de fixer des conditions d’octroi du ticket restaurant différentes entre ses salariés. Pour ce faire, il est toutefois impératif de se fonder sur des critères objectifs excluant toute discrimination.

Les décisions jurisprudentielles rendues en ce sens ne concernent toutefois pas des salariés en télétravail.

Nous nous intéresserons plus particulièrement à deux critères retenus en jurisprudence.

- Le critère de l’éloignement du lieu de travail.

Pour exemple, un employeur a pu exclure certains salariés du bénéfice des titres-restaurant lorsque leur domicile est situé à moins de 10 minutes de leur lieu de travail au motif que "le faible temps de trajet entre son lieu de travail et son domicile lui permettait sans difficulté de regagner son domicile pour le déjeuner" [6].

En effet, la tarification opérée en fonction de l’éloignement du lieu de travail par rapport au domicile des salariés ne saurait être considérée comme discriminatoire selon la Cour de cassation [7].

Comment interpréter cette solution au regard du télétravailleur ?

Il est nécessaire de rappeler que le télétravail permet au salarié de travailler hors des locaux de l’entreprise.

Le télétravail a lieu principalement au domicile, il peut toutefois s’effectuer dans d’autres lieux (centre d’affaires ; télécentres ; les espaces de coworking).

Naturellement, le télétravail regroupe de nombreuses situations différentes, celui-ci pouvant être permanent, régulier ou temporaire...

Prenons l’hypothèse suivante : un employeur décide d’octroyer des titres-restaurant à ses salariés, précision étant faite que certains exercent en télétravail depuis leur domicile et d’autres depuis un télécentre.

L’employeur décide alors d’exclure du bénéfice des titres-restaurant les salariés habitant à moins de 10 minutes de leur lieu de travail.

Quel raisonnement adopter ?

Faudrait-il distinguer l’ensemble des salariés (télétravailleurs ou non) uniquement selon la distance entre le lieu de domicile et le lieu de travail ? De facto, le télétravailleur exerçant à domicile serait donc dans l’impossibilité de bénéficier de titres-restaurant, ces derniers étant en mesure de déjeuner à leur domicile sans difficulté.

En outre, dans cette hypothèse, cela reviendrait à distinguer les télétravailleurs exerçant dans un local professionnel mis à la disposition par l’employeur et ceux exerçant à leur domicile.

Au contraire, faudrait-il octroyer le bénéfice des titres-restaurant à l’ensemble des télétravailleurs ? Le cas échéant, cela reviendrait à priver les salariés habitant à moins de 10 minutes de leur domicile de titres-restaurant au motif qu’ils peuvent déjeuner chez eux sans difficulté. Or, le télétravailleur exerçant à domicile est également en mesure de déjeuner chez lui et qui plus est sans avoir besoin de se déplacer.

Cette solution n’est donc pas satisfaisante.

- Le critère du nombre de jours travaillés.

Par ailleurs, précisons également que la Cour de cassation a confirmé la possibilité pour un employeur d’imposer à ses salariés, pour bénéficier de titres-restaurant, une condition d’au moins 15 jours de travail au cours du mois [8].

L’employeur est-il donc en mesure d’attribuer des titres restaurant uniquement aux télétravailleurs accomplissant au moins 15 jours de travail au cours du mois ?

L’articulation entre télétravail et les conditions d’octroi des titres-restaurant soulève ainsi de nombreuses problématiques non résolues à ce jour...

Jean-Marc Noyer, Avocat au Barreau de Paris.

[1Cass. soc. 18 juillet 2000 - n° 98-40.402.

[2Article L124-3, al. 3 du Code de l’éducation.

[5Cass. soc. 20 février 2008, n° 05-45601.

[6CA Nîmes 27-3-2012 n° 10-04144.

[7Cass. soc. 22 janvier 1992 n° 88-40.938.

[8Cass. soc. 16 septembre 2009 - n° 08-42.04.

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