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Employeurs : attention à la rédaction des protocoles d’accord transactionnel. Par Caroline Heubès, Avocat.
Parution : mardi 19 juin 2018
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Dans une décision publiée du 30 mai 2018, la Cour de cassation casse l’arrêt rendu par la cour d’Appel de Paris qui avait déclaré recevable l’action d’un ancien salarié qui sollicitait le versement d’une retraite supplémentaire alors même qu’il avait signé une transaction quelques années auparavant à la suite de la rupture de son contrat de travail. Cet arrêt démontre une nouvelle fois l’importance d’être vigilant lors de la rédaction des protocoles d’accord transactionnel.

1. Les clauses de renonciation au sein des protocoles d’accord transactionnel.

1.1. Rappel de la portée de la transaction.

L’article 2049 du Code civil dispose : « Les transactions ne règlent que les différends qui s’y trouvent compris, soit que les parties aient manifesté leur intention par des expressions spéciales ou générales, soit que l’on reconnaisse cette intention par une suite nécessaire de ce qui est exprimé. »

Le principe est donc le suivant : les transactions se referment sur leur objet.

Il résulte de ce principe que le salarié, en renonçant à tous droits, actions et prétentions, ne renonce en réalité qu’aux droits, actions et prétentions sur lesquels il a transigé.

La transaction intervient postérieurement à la rupture du contrat de travail et a vocation à régler les conséquences de cette rupture. Dès lors, ne sont pas compris dans la transaction les autres droits du salarié dès lors que cela n’est pas mentionné dans la transaction ou a minima, qu’il n’existe pas de clauses de renonciation très large.

Ainsi par exemple, dans un arrêt récent du 14 février 2018, la Cour de Cassation a décidé recevable l’action d’un salarié qui demandait le paiement de primes, rappels de salaires et dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat, à défaut pour la transaction de comporter la renonciation du salarié à toute action relative à l’exécution de son contrat de travail. [1]

1.2. La rédaction des clauses de renonciation.

La Chambre sociale de la Cour de cassation a pendant longtemps dénié tout effet aux clauses de renonciation larges et a développé une jurisprudence privant d’effet ces clauses.

Ainsi, elle a pu décider que lorsque le protocole d’accord transactionnel ne comportait pas de disposition emportant expressément renonciation à la clause de non-concurrence, cette clause n’entrait pas dans l’objet de la transaction. [2]

De même, elle a jugé qu’en dépit de l’insertion d’une formule très générale, la transaction, qui ne faisait état que d’un litige portant sur la rupture du contrat de travail, n’incluait pas la réparation des actes discriminatoires allégués par le salarié. [3]

Cette jurisprudence avait d’ailleurs conduit les rédacteurs de protocoles d’accord transactionnel à adopter une rédaction prudente en listant précisément les droits couverts par le versement de l’indemnité transactionnelle.

La Chambre sociale a finalement opéré un revirement de jurisprudence en 2014 [4], confirmé en 2017 par une décision du 11 janvier 2017. Dans cette affaire, la Cour de cassation déclare irrecevable l’action d’un salarié au titre du préjudice d’anxiété, ce dernier ayant, plusieurs années auparavant, signé une transaction aux termes de laquelle il déclarait « être rempli de tous ses droits et ne plus avoir aucun chef de grief quelconque à l’encontre de la société du fait de l’exécution ou de la rupture du contrat de travail. » [5]

La Cour confirme aujourd’hui encore très clairement cette position en admettant même que la transaction puisse couvrir un litige intervenant plusieurs années après la signature de la transaction. En l’espèce, un salarié licencié en 2005 pour motif économique signe une transaction avec son employeur. Il prend sa retraite en 2012 et sollicite la société afin d’obtenir le versement d’une retraite supplémentaire.

La Cour d’Appel de Paris avait admis l’action du salarié au motif que la transaction avait pour objet de régler les conséquences du licenciement et qu’il n’était pas fait mention de la retraite supplémentaire du salarié licencié. Elle soulignait qu’à l’époque de la signature de la transaction, il n’existait aucun litige entre les parties concernant la retraite supplémentaire.

La Haute juridiction censure le raisonnement des juges d’appel et déclare irrecevable l’action du salarié dès lors que : « aux termes de la transaction, le salarié déclarait avoir reçu toutes les sommes auxquelles il pouvait ou pourrait éventuellement prétendre au titre de ses relations de droit ou de fait existant ou ayant existé avec la société et renonçait à toute réclamation de quelque nature que ce soit, née ou à naître ainsi qu’à toute somme ou forme de rémunération ou d’indemnisation auxquelles il pourrait éventuellement prétendre à quelque titre et pour quelque cause que ce soit du fait notamment du droit commun, des dispositions de la convention collective, de son contrat de travail et/ou de ses avenants et/ou tout autre accord, ou promesse et/ou découlant de tout autre rapport de fait et de droit. » [6]

Il en résulte que, bien rédigée, la clause de renonciation des protocoles d’accord transactionnel, peut permettre à l’employeur de se prémunir de toute action du salarié, y compris concernant des litiges à naître.

2. La rédaction des protocoles d’accord transactionnel à la suite d’un licenciement pour faute grave.

Outre l’importance de bien rédiger la clause de renonciation, une attention rédactionnelle particulière doit être apportée pour la rédaction des transactions à la suite d’un licenciement pour faute grave.

En effet, il était courant que lors d’un redressement, l’URSSAF considère que la volonté des parties ayant signé une transaction à la suite d’un licenciement pour faute grave, était d’intégrer à l’indemnité transactionnelle un montant équivalent à l’indemnité de préavis et opère un redressement de ce chef.

Dans une décision publiée du 15 mars 2018, la Cour de cassation a considéré que l’indemnité transactionnelle versée à la suite d’un licenciement pour faute grave pouvait être entièrement exonérée de cotisations sociales (dans la limite des plafonds légaux d’exonération).

La Cour considère en effet « que les termes du protocole sont clairs, précis, sans ambiguïté et que la volonté des parties y est clairement exprimée ; que la rupture du contrat de travail reste un licenciement pour faute grave et l’indemnité transactionnelle ne comporte aucune indemnité de préavis et de licenciement. » [7]

Pour échapper au redressement URSSAF, il est convient de rapporter la preuve du caractère exclusivement indemnitaire de l’indemnité transactionnelle.

Les précautions rédactionnelles sont donc fondamentales. Il est par exemple important d’indiquer que la transaction ne remet pas en cause la qualification du licenciement et que l’employeur, s’il accepte de transiger, ne renonce pas pour autant à considérer que le licenciement pour faute grave est bien fondé. Il convient également de mentionner le caractère indemnitaire de l’indemnité transactionnelle et de faire renoncer expressément le salarié au versement d’une indemnité compensatrice de préavis.

Il résulte de ces deux jurisprudences récentes [8] qu’un protocole transactionnel bien rédigé peut permettre à l’employeur d’échapper à un contentieux sur un litige à naître et/ou à un redressement URSSAF.

Caroline Heubès Avocat à la Cour

[1Cass. Soc. 14 février 2018, n°16-29.059.

[2Cass. Soc. 18 janvier 2012, n°10-14.974.

[3Cass. Soc. 24 avril 2013, n°11-15.204.

[4Cass. Soc. 5 novembre 2014, n°13-18.984.

[5Cass. Soc. 11 janvier 2017, n°15-20.040.

[6Cass. Soc. 30 mai 2018, n°16-25.426.

[7Cass. 2ème civ. 15 mars 2018, n°17-10.325.

[8Cass. Soc. 30 mai 2018, n°16-25.426 et Cass. 2ème civ. 15 mars 2018, n°17-10.325

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