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La difficile protection des slogans. Par Julie Pierre, CPI.
Parution : vendredi 22 juin 2018
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Le slogan est un outil de communication efficace consistant en une phrase, généralement assez courte mais surtout precutante et répétitive, qui relaye une idée dans l’objectif de marquer les esprits pour que les consommateurs le retiennent. « L’Oréal parce que je le vaux bien »® « Carglass répare, Carglass remplace », « Il a Free, il a tout compris »®… Qui n’a pas en tête ces fameux slogans qui caractérisent L’Oréal, Carglass ou encore Free ?
Or il est difficile de protéger un slogan, car il n’existe pas de droit du slogan.

Il est donc important de pouvoir bénéficier d’arguments supplémentaires en cas de difficulté notamment en se prévalant de droits d’auteur ou de droits de marque. Toutefois, nous allons voir ici que la mise en œuvre de ces outils n’est pas si évidente et mérite de s’y attarder en amont afin de définir la protection la plus adaptée en fonction du type de slogan et de la protection recherchée.

I. La protection a posteriori par la mise en œuvre d’une action contentieuse en concurrence déloyale et/ou parasitisme.

En premier lieu, notons que la reprise par une société d’un slogan utilisé par une société concurrente, peut-être constitutif d’une faute caractérisant une concurrence déloyale et/ou parasitaire.

En présence d’un cas de reprise à l’identique par un concurrent direct, la faute est souvent constituée (ex. Cour D’Appel de Paris, 15 novembre 2016 ; « L’optique d’aujourd’hui avec les yeux de demain ») à moins que le slogan ne soit d’une banalité affligeante. Par exemple, la reprise du slogan « Chaque jour manger cinq fruits et légumes à moins de un euro chacun - moins de un euro le kilo ou la pièce tout l’été » a été jugé conforme aux usages loyaux par la Cour de Cassation dans la mesure où le slogan se bornait à reprendre une prescription à vocation non commerciale poussé par le ministère de la santé publique associée à des termes d’une banalité non discutable (Cour de Cassation, 9 juillet 2013).

Toutefois, lorsque l’on se situe sur le terrain de l’imitation d’un slogan, il est plus difficile de parvenir à caractériser la faute du concurrent indélicat, même direct…

…À moins que l’effort de modification soit quasi-nul - la Cour de Cassation a confirmé, par un arrêt du 9 juin 2015, que l’usage par Auchan des slogans « gros volumes à prix mini » et « prix mini sur gros volumes » constituait une concurrence déloyale envers le groupe Cora qui utilisait depuis plusieurs années le slogan « gros volume = petits prix ». En effet, autant la Cour d’Appel que la Cour de Cassation, ont estimé que l’usage d’une formulation identique, voire de termes identiques (en particulier pour un de ces slogans où Auchan s’est contenté de remplacer « à » par « = » et « mini » par « petit »), ou encore ayant une résonnance très proche, caractérise une faute au titre de la concurrence parasitaire.

…Ou que le slogan soit suffisamment « original » ; la formule "sitôt vues, sitôt vendues..." était une imitation punissable du slogan "sitôt cueillis, sitôt Daucy" (CA Versailles, 27 avril 1989).

Si tous les acteurs du marché pouvaient les utiliser librement ou s’en inspirer, le consommateur serait totalement perdu, créant la confusion dans son esprit, et l’intérêt du slogan perdrait tout son sens.
En l’absence de droits sur un slogan, il est toujours possible de mener des actions en concurrence déloyale et/ou parasitisme à l’encontre des acteurs indélicats mais cette action est soumise à un certain nombre de conditions, parfois difficiles à remplir, pour être recevable.

En effet, l’usage du slogan « Tout pur, tout doux, Monsavon protège tendrement votre peau » n’est pas fautif vis-à-vis du slogan antérieur « Encore plus pur, encore plus doux » ; de même que le slogan « De jour comme de nuit, devant votre porte appelez taxi » ne constitue pas une imitation du slogan publicitaire : « Appelez Radio-Taxi, à votre porte, jour et nuit à votre service ».

Devant ces difficultés, l’idéal est d’anticiper en amont et de se protéger par d’autres voies afin de pouvoir choisir ensuite la meilleure base en cas de différend.

II. La protection a priori par le droit d’auteur.

L’un des moyens de protéger un slogan, c’est le droit d’auteur. Pour ce faire, aucune formalité n’est requise si ce n’est de conserver des preuves pertinentes permettant de dater sa création (parfois bien avant la divulgation du slogan publicitaire) et de justifier l’identité de l’auteur.

La difficulté du droit d’auteur réside en revanche dans les conditions puisque, pour pouvoir revendiquer une telle protection, encore faut-il démontrer l’originalité du slogan c’est-à-dire rapporter la preuve qu’il porte l’empreinte de la personnalité de son auteur.

Ont par exemple été jugé comme exempts de toute originalité, les slogans suivants : « Le marketing du désir » (Cour d’Appel de Paris, 7 novembre 2017), « Le permis libre » (TGI de Paris, 7 juillet 2016), « Laissez-vous impressionner » (TGI de Paris, 5 novembre 2015) ou encore « Se coucher moins bête » (TGI de Paris, 29 août 2014).
Ont en revanche été reconnus originaux les slogans : « Par principe nous ne proposons pas de carte de fidélité », « être fidèle à deux hommes, c’est être deux fois plus fidèle », « On n’a qu’une vie, c’est une bonne raison d’en vivre plusieurs » ou encore « Contrairement à l’antidépresseur, l’amant ne coûte rien à la sécu » (TGI de Paris, 9 Février 2017) ou encore le slogan « Partout dans le monde, unique au monde » (TGI de Nanterre, 9 Octobre 2008).
Au travers de ces décisions, nous pouvons constater qu’en matière de slogans les juges sont plutôt sévères quant à l’appréciation de l’originalité puisqu’ils n’estiment éligibles à la protection par le droit d’auteur que les seuls slogans démontrant, par leur structure ou leur évocation intellectuelle, un effort créatif évident.
De plus, il n’est pas prudent de compter sur le seul droit d’auteur dans la mesure où seul un juge du fond peut affirmer ou infirmer son originalité et qu’il faut ainsi attendre un potentiel litige pour connaître l’efficacité de sa protection.

De plus, un slogan peut parfaitement être dénué de toute originalité mais être pour autant attractif. Dans cette hypothèse, le droit d’auteur se révèle là encore inadapté en termes de protection et le droit des marques devra alors plutôt lui être préféré.

III. La protection a priori par le droit des marques.

Si la protection d’un slogan par la voie des marques permet une plus grande sérénité en termes de protection et d’une plus grande efficacité en termes de défense, faut-il encore que ce dernier satisfasse à tous les critères de validité de la marque et notamment celui de la distinctivité.

En effet, la protection à titre de marque est certes ouverte à des slogans qui ne sont pas originaux au sens du droit d’auteur mais il doit, pour être éligible à la protection par le droit des marques, être distinctif au regard des produits ou des services désignés dans le dépôt c’est-à-dire revêtir un caractère suffisamment arbitraire.

Si le caractère fantaisiste d’un slogan n’entre pas en considération dans l’appréciation du caractère distinctif, la jurisprudence constante considère néanmoins qu’un slogan purement commercial (c’est-à-dire se bornant à ne donner qu’une information exclusivement promotionnelle) n’est pas apte à exercer la fonction de marque puisque le consommateur n’y verra pas un signe de rattachement à une entité donnée.

Tel peut notamment être le cas lorsque ces marques ne se réduisent pas à un message publicitaire ordinaire, mais possèdent une certaine originalité ou prégnance, nécessitant un minimum d’effort d’interprétation ou déclenchent un processus cognitif auprès du public concerné.

Ainsi, les slogans suivants ne semblent pas satisfaire à l’exigence de distinctivité du droit des marques : « Partageons de ondes positives » (INPI, 14 décembre 2017), « Décorez et dégustez ! » (INPI, 17 décembre 2017) ou « Wood you like design » (INPI, 5 décembre 2017).

Toutefois, ont par exemple été jugées valables les marques suivantes : « Un nom pour un oui » (Cour d’Appel de Paris, 17 juin 2011), « Parce que la vie est déjà assez chère » (TGI de Paris, 10 décembre 2010), « Parce ce que je le vaux bien » tout comme le slogan « Le marketing du désir » (Cour d’Appel de Paris, 7 novembre 2017) – jugé dans le même temps non protégeable par le droit d’auteur.

On voit ici que le droit des marques est plus favorable à la protection des slogans que le droit d’auteur même s’il reste évident qu’un slogan qui se bornerait à intégrer des termes courants et ne faisant preuve d’aucun effort de créativité doit rester de libre parcours (sauf à démontrer un agissement parasitaire et/ou déloyal).

Retenons donc qu’en matière de slogans, l’idéal est de combiner, lorsque cela est possible, les différents moyens de protection et de multiplier les fondements en cas de conflit pour augmenter les chances de succès d’une action contentieuse.

En bref :
- Si vous avez choisi un slogan dénué de toute originalité ou autre créativité, il sera difficile d’empêcher vos concurrents de le reprendre (sauf parasitisme manifeste) ;
- Si vous avez un slogan dont l’originalité n’est pas évidente mais qui fait toutefois preuve d’une créativité certaine, mieux vaut miser sur une protection à titre de marque ;
- Si vous avez un slogan original, mieux vaut toujours tenter un dépôt à titre de marque en parallèle des mesures à prendre pour dater son éventuel droit d’auteur.

Julie PIERRE - CPI Marques & Modèles Fondatrice du Cabinet ANNABRAND